Marchés obligataires : un équilibre subtil entre opportunisme et prudence

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> Article paru dans le magazine n°: 834

Avec la baisse généralisée des marchés au plus haut de la crise, les gérants obligataires ont pu saisir des opportunités de rendement. Toutefois, sous l’action des banques centrales, les marchés se sont normalisés et le marché du crédit doit aujourd’hui faire face à la réalité d’une économie mondiale violemment frappée par la crise sanitaire.

Une chose est sûre, les taux d’intérêt ne sont pas près de repartir à la hausse dans les mois à venir. En effet, les banques centrales ont toutes pris les mesures nécessaires pour rassurer les marchés et limiter autant que possible les conséquences économiques de la crise sanitaire.

« Avec la crise de la Covid-19, nous nous enfermons encore davantage dans un univers de taux négatifs. La BCE se retrouve contrainte d’appliquer une politique monétaire toujours plus accommodante car toute remontée des taux mettrait à mal des Etats surendettés. La nécessité d’avoir une Europe unie est aussi toujours plus forte afin que ne réapparaisse pas de stress autour d’un possible éclatement de la zone euro », estime Thomas Giudici, coresponsable de la gestion obligataire d’Auris Gestion.

Une moindre liquidité durant la crise

Lors de la dislocation de marché de ce début d’année, les gérants ont souffert, notamment en raison d’une bien moindre fluidité des échanges. « Durant la crise, à cause d’une faible liquidité qui a sanctionné l’ensemble des valeurs, nous avons subi une correction conséquente, mais moins forte que nos confrères, alors même que nous étions positionnés sur des obligations à court terme et sur des idées aux leviers de performance idiosyncrasiques, observe Jacques Sudre, gérant de Sextant Bond Picking chez Amiral Gestion et gérant de la poche obligataire de Sextant Grand Large. Dans la phase de reprise, nous avons mieux rebondi que le marché, mais avec du retard, car nous étions positionnés sur des valeurs hors indices. Nous disposions notamment d’une poche de 25 % d’obligations convertibles en dehors de la monnaie (c’est-à-dire dont le cours de l’action sous-jacente est largement en dessous du prix d’exercice de l’option). »

Certains gérants ont pu être préservés par la présence de cash en portefeuille. Par exemple, au sein de Sextant Bond Picking : « Au sein du fonds, nous disposions de 30 % de cash en début d’année », indique Jacques Sudre.

Les obligations moins protectrices pour les allocations diversifiées

Pour les gérants multi-actifs, la classe obligataire n’apporte plus les mêmes vertus protectrices qu’auparavant. « Les taux bas offrent moins de protections que par le passé. Si le caractère défensif de l’obligataire est moins probant, la classe d’actifs reste toutefois intéressante en termes de diversification », tempère toutefois Geoffroy Lenoir, responsable gestion obligations d’Etat euro chez Aviva Investors France.

Eric Bertrand, directeur adjoint des gestions chez Ofi AM, abonde dans ce sens et invite les investisseurs à bien appréhender les vertus du High Yield. « Aujourd’hui, la capacité de protection des titres obligataires dans un portefeuille diversifié est devenue moindre du fait des niveaux de rendement contrairement aux dix dernières années. Mais la classe d’actifs, qui reste défensive, conserve son intérêt, notamment dans l’optique du portage, notamment via le High Yield qui permet de se substituer à l’exposition actions d’un portefeuille. En effet, sur cinq ans glissants, la performance de l’Eurostoxx atteint + 7 %, contre + 15 % pour le High Yield. Depuis le début de l’année, les performances sont respectivement de – 15 % et – 5 %. »

Des mesures salvatrices

Sous l’effet des mesures de soutien gouvernementales et des banques centrales, les tensions se sont apaisées et les gérants ont pu saisir des opportunités.

« Les marchés ont connu une extraordinaire remontée grâce aux mesures de soutien budgétaire des Etats et des leviers monétaires puissants actionnés par les banques centrales, expose Jacques Sudre. La Fed a notamment indiqué sa capacité à acheter des obligations qui, du fait de la crise, sont passées d'Investment Grade à High Yield, un élément nouveau, ainsi que des Trackers sur le High Yield. Sur ce second point, on peut d’ailleurs s’interroger sur la logique (ou la morale) de ce type de mesures car sur ce marché, il existe beaucoup d’emprunts liés à des LBO ou des émetteurs qui ont augmenté leur endettement de façon exagérée… »

« Après le choc violent, par son ampleur et sa rapidité (- 20 % sur le High Yield et – 35 % sur les marchés actions), les taux souverains ont ensuite fortement baissé, passant de 2 à 0 % sur les US et allant jusqu’à – 0,90 % pour le Bund, sous l’effet des banques centrales. Ces dernières sont fortement intervenues (même si la communication de Christine Lagarde a, dans un premier temps, été critiquée) pour couper l’hémorragie afin de rassurer les marchés et se prévenir des problèmes de refinancement des Etats et des entreprises via des baisses de taux et les annonces de rachats d’obligations. A cela se sont ajoutées les mesures de soutien des gouvernements. Suite à ces mesures et à des déconfinements qui se sont globalement bien déroulés en Asie et en Europe, les taux se sont donc normalisés et les marchés actions sont repartis à la hausse. Dans ce contexte, dès fin mars, nous avions un sentiment positif qui est ensuite devenu neutre à fin mai, car le scénario d’une croissance en V nous a semblé être acheté trop rapidement par le marché », note pour sa part Eric Bertrand.

Sur le marché du haut rendement, les performances ont par exemple été satisfaisantes. « Le marché du High Yield a connu une bonne performance d’avril à fin juin revenant aux niveaux de spreads de janvier 2019, après l’écartement de décembre 2018 » note Pierre Ceyrac, gérant du fonds Aviva Investors Alpha Yield chez Aviva Investors France.

Le contexte aujourd’hui plus normalisé, les sentiments des gérants (à fin juillet) étaient hétérogènes, mais globalement défensifs, eu égard à la violence du choc pour l’économie mondiale et les entreprises, et avec toujours un risque sanitaire bien présent.

Le sentiment des gérants

Chez Ofi AM

Au sein de l’asset manager français, le rebond des marchés est abordée avec prudence. « La reprise qui a suivi la chute des marchés est, selon nous, un peu rapide, avec des valorisations élevées au regard des difficultés macro et microéconomiques. La situation est complexe. Si le filet de sécurité des banques centrales est fort et qu’elles ont indiqué qu’elles sont prêtes à prendre toutes les mesures nécessaires, et que la tendance haussière peut être soutenue par ceux qui n’ont pas su saisir le rebond de marché à la moindre bonne nouvelle (comme l’hypothèse d’un vaccin), nous estimons que la crise sanitaire reste présente et que le choc économique a été colossal. En effet, le virus circule toujours, le niveau de production de 2019 ne pourra être retrouvé que fin 2021 (voire début 2022) et les résultats des entreprises sont impactés, hormis pour les valeurs de la santé et les technos. D’autres événements continuent également de noircir le tableau, comme le Brexit, les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis ou les élections américaines avec un Donald Trump en posture délicate et un candidat démocrate qui prône une hausse des impôts… Par ailleurs, le ratio dette-PIB des pays a progressé en moyenne de + 20 % dans tous les pays. A ce niveau, cela n’est tenable qu’avec des taux qui n’augmentent pas. Dans ce contexte, les taux devraient donc rester bas pour longtemps, y compris sur la partie longue et pour les pays périphériques de la zone euro, et la chasse au rendement va se poursuivre », analyse Eric Bertrand.

Le risque High Yield correctement rémunéré

Sur les sous-classes d’actifs obligataires, Ofi AM adopte un positionnement plus prudent. Sur l’Investment Grade, après avoir été positif dès mi-mars (notamment sur le court terme) car les entreprises bénéficiaient des plans de soutien des gouvernements, la société est aujourd’hui moins positive. « Nous sommes toujours acheteurs, mais dans une moindre mesure, avec un rendement à 0,6 % à deux ans », indique Eric Bertrand.

En revanche, le gérant se veut plus constructif sur le crédit High Yield depuis mi-mars. « Si des faillites vont survenir, la liquidité est présente sur le marché et le risque est aujourd’hui bien rémunéré. L’aspect rendement du High Yield est en effet puissant : tant que la société est en vie, elle paie ses coupons, et le retour à la moyenne est plus rapide sur le High Yield que sur les marchés actions. En effet, par exemple, en 2008 alors que les marchés High Yield et actions avaient respectivement chuté de – 40 et – 50 %, le retour à 0 s’est réalisé en vingt-deux mois pour les titres obligataires et en huit ans pour les actions ! »

S’agissant du crédit émergent, Eric Bertrand se veut plus nuancé. « Si les mesures de la Fed ont soutenu le marché, certaines devises ont fortement dévissé. De plus, la crise sanitaire est encore bien présente en Amérique latine. Mais le rendement y est toujours attractif (environ 6 %), avec des devises au plus bas. Ainsi, sur le long terme, on peut être constructif ».

Enfin sur les subordonnées bancaires, il privilégie les titres des grandes banques systémiques pour des raisons de rendement et de sécurité : « ce ne serait pas le moment de voir un acteur bancaire tomber… »

Chez Aviva Investors France

Au sein de ses portefeuilles diversifiés, la société est actuellement surpondérée sur l’obligataire, notamment le crédit corporate (High Yield, Investment Grade et dette émergente corporate). En termes de duration, elle est exposée sur les taux US et australiens plus particulièrement. « Nous sommes en effet très prudents vis-à-vis du marché actions, et nous privilégions donc l’obligataire et la recherche de rendement. La sortie de crise sera fragile, avec beaucoup d’incertitudes à l’horizon sur la vigueur de la reprise, l’évolution du chômage ou encore les mesures de reconfinement, explique Geoffroy Lenoir. En effet, notre positionnement actuel vise à diversifier notre portefeuille dans les zones qui offrent des potentiels de protection et de rendement. Si les taux sur la zone euro sont très bas, nous ne sommes pour autant pas sous-pondérés car nous n’anticipons pas une hausse des taux dans un futur proche. Et si hausse il y a, nous pensons qu’elle sera faible. La BCE a multiplié les mesures accommodantes avec des taux directeurs à 0 %, des rachats d’actifs significatifs et des taux de dépôt négatifs. Les banques centrales ont été claires : elles sont présentes et le resteront en cas de besoin. »

Sur les taux souverains, la société de gestion privilégie les pays de l’Europe périphérique, la partie longue des bons du Trésor américain, l’Australie et la Grande-Bretagne.

Surpondéré sur l’Investment Grade

Sur le crédit, Geoffroy Lenoir souligne que « Nous sommes surpondérés sur le crédit Investment Grade et sur le haut rendement dans une moindre mesure. Sur le High Yield, eu égard à la sensibilité de la classe d’actif au marché actions, nous sommes très sélectifs. Ce sont des stratégies que nous mettons en oeuvre dans le cadre de la gestion du fonds Aviva Investors Alpha Yield, notamment. De leur son côté, le crédit corporate Investment Grade des pays émergent a démontré sa bonne tenue durant la crise. Nos positions se veulent ici très diversifiées. »

Plus spécifiquement sur le fonds High Yield, Pierre Ceyrac estime que « Le contexte reste incertain, tant au niveau économique qu’au niveau des émetteurs. Alors que l’année 2020 sera placée sous le signe de la récession, la question se pose alors de savoir si le risque est aujourd’hui bien rémunéré par rapport aux niveaux de spreads actuels. En effet, alors que les taux moyens de défaut estimés à douze mois en janvier 2019 étaient de 2 % aux Etats-Unis et en Europe, ils atteignent aujourd’hui 8 à 10 % aux Etats-Unis et 5 à 7 % en Europe (après être montés jusqu’à 10 à 14 % aux US et 8 à 10 % en Europe en avril) sur le crédit à haut rendement. Or, l’effet des politiques monétaires et les aides gouvernementales ont permis une compression des spreads et la forte demande des investisseurs pour le rendement a soutenu la classe d’actifs. »

Le gérant se veut donc très sélectif, avec un risque de forte dispersion des performances entre les différentes notations. « Des analyses très approfondies sont nécessaires, notamment sur les émissions notées CCC ; tandis que sur les émetteurs notés BB et B, le rendement semble être faible, eu égard au risque pris. Après avoir beaucoup dégradé leurs notations de mars à mai 2020, nous pouvons nous attendre, de la part des agences de notation, à un ralentissement de ces dégradations pendant la deuxième partie de l’année. Enfin, bien que depuis fin juin les émissions à haut rendement sur le marché primaire ont augmenté de manière conséquente, nous nous attendons à une activité modérée d’ici la fin de l’année. »

Chez Auris Gestion

Chez la société de gestion qui a récemment absorbé Salamandre AM, le High Yield est privilégié avec, ici aussi, une forte sélectivité. « Nous adoptons un positionnement prudent pour les prochains mois car l’économie s’est fortement dégradée. Des licenciements et des faillites sont à venir et nous attendons les résultats du deuxième trimestre, sans oublier le risque d’une deuxième vague de contamination. Pour les investisseurs, la course au rendement reste vive et s’oriente donc vers la dette hybride et le High Yield, craint Thomas Giudici, gérant du fonds Salamandre Euro Rendement. En effet, l’Investment Grade à court terme, s’il n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise, reste faiblement rémunérateur ; alors que nous avons retrouvé un peu d’air sur le segment du haut rendement, même si l’écartement des spreads s’est réduit sous l’action des plans gouvernementaux. Toutefois, les taux de défaut anticipés ont fortement augmenté passant de 2,5 à 10–15 % ; des cas d’insolvabilité qui devraient concerner majoritairement des entreprises déjà identifiées comme mal en point avant la crise. »

Le bond-picking reste fondamental

Sébastien Grasset, directeur général adjoint d’Auris Gestion, poursuit : « Chez Salamandre AM, nous n’avons connu aucun défaut grâce à la rigueur de notre analyse fondamentale laquelle a été renforcée récemment via le recours désormais au cabinet indépendant Spread Research. De plus, nous avons rejoint récemment Auris Gestion et notre équipe de gestion taux-crédit a donc été renforcée par Stéphane Chaussat (coresponsable de la gestion obligataire) et Joffrey Ouafqa (directeur des gestions). »

Début juillet, Salamandre Euro Rendement était composé de 30 % de titres High Yield, 20 % d’hybrides corporate, 25 % de subordonnées financières (essentiellement assurantielles) et 10 % de titres non notés, mais de qualité Investment Grade. Une poche de 15 % de cash a été constituée afin de se prémunir d’une hausse de la volatilité et de profiter de certaines émissions. « Les opportunités sont à saisir lors des corrections de marché : la politique monétaire très accommodante de la Banque centrale européenne restera un facteur de soutien », note le gérant.

Les gestionnaires de fonds ont ainsi détecté des opportunités sur les titres à moins de trois ans sur des hybrides corporate (Volkswagen, Total…) et des subordonnées financières. « Il s’agit de sociétés qui sont en capacité de traverser la crise et de bénéficier du soutien des banques centrales », relève Sébastien Grasset.

Sur le High Yield, il juge la classe d’actifs attractive avec un rendement de 4 à 4,5 %. « Nous privilégions les acteurs qui ont moins subi la crise, notamment dans l’e-commerce, ou ceux dont l’activité a déjà bien redémarré. Nous nous écartons donc, par exemple, des secteurs de l’aviation ou du tourisme. »

L’équipe de gestion privilégie également les titres obligataires de maturité courte : « le retour au pair est plus rapide en cas d’écartement violent de marché grâce à la faible duration », observe Thomas Giudici.

Chez Jupiter AM

Chez Jupiter, le fonds Dynamic Bond investit d’un côté dans des obligations souveraines de haute qualité des marchés développés et de l’autre dans des obligations d’entreprises Investment Grade, aux marchés émergents et au High Yield.

S’agissant des obligations souveraines des marchés développés, le gérant privilégie les bons du Trésor américain et les obligations du gouvernement australien. S’agissant des obligations souveraines des marchés émergents, le fonds est positionné sur des obligations souveraines en monnaie locale, à la fois de Chine et de Russie – toutes deux couvertes contre le risque de change. « Nous voulions opter pour une position longue sur les obligations souveraines russes avant la décision de la Banque centrale en juin, car nous considérions que le niveau élevé des taux nominaux était attrayant, tout en estimant que la politique actuelle était beaucoup trop restrictive. Le 19 juin, la Banque centrale de Russie a réduit le taux directeur de cent points de base à 4,5 % et a réitéré son point de vue complaisant en indiquant que les forces désinflationnistes à long terme remplacent les effets pro-inflationnistes à court terme. En Chine, tout comme pour notre allocation sur la Russie, nous considérons le niveau des taux comme une proposition attrayante dans un environnement où de nouvelles mesures d’assouplissement sont probablement imminentes et où la faible démographie agit comme un ancrage structurel pour les rendements à venir », expose Harry Richards, gérant obligataire chez Jupiter.

Sur le crédit corporate, le gérant se veut très sélectif en termes d’entreprises, de secteurs et de qualité du crédit. « Nous avons positionné le fonds dans des entreprises "à travers le cycle" – nous considérons qu’il s’agit là d’un élément essentiel pour générer une surperformance dans les mois à venir. Au cours du dernier trimestre, nous avons augmenté notre allocation au crédit de qualité Investment Grade de manière significative, car nous avons trouvé une pléthore d’opportunités attrayantes pour déployer le capital. Lorsque l’on dissèque l’allocation à haut rendement du fonds, on constate qu’elle est orientée vers des valeurs notées BB et des valeurs de haute qualité notée B simple. De notre point de vue, l’analyse approfondie des flux de trésorerie reste un élément clé. Une partie essentielle de ce processus consiste à avoir une conscience aiguë de l’effet de levier opérationnel intégré et des mouvements de fonds de roulement auxquels les entreprises seront exposées pendant le confinement. Ce travail s’avérera inestimable lorsque l’on cherchera à naviguer dans la saison des résultats des deuxième et troisième trimestres. En outre, nous avons toujours eu une préférence pour les obligations garanties de premier rang dans la stratégie, et c’est particulièrement vrai aujour-d’hui. Les obligations garanties de premier rang, qui bénéficient de privilèges sur des actifs de haute qualité, offrent généralement une protection significative contre les risques de baisse aux investisseurs pendant les périodes d’incertitude élevée. »

Chez Amiral Gestion

« On observe que les marchés ne semblent pas outre mesure endommagés par une situation économique difficile. Cela nous laisse dubitatifs, tant la crise s’annonce violente avec une baisse de – 8,7 % de la croissance européenne estimée par la Commission pour 2020 et une hausse de + 6,3 % pour l’année prochaine ; des bilans de sociétés qui se sont dégradés et des niveaux de dette publique qui sont comparables à celles de temps de guerre… Aujourd’hui, nous sommes assez nuancés sur l’attractivité du marché, assure Jacques Sudre. Sur longue période, les spreads de crédit se sont relevés à 496 bps sur le High Yield européen après avoir touché, depuis deux ans, un minimum de 283 et, en moyenne depuis 2008, à 567. Les spreads sont donc moins comprimés, mais le taux de défaut devrait, lui, fortement progresser (8 % anticipés par les agences à un an, alors qu’il a baissé jusqu’à 2 % avant la crise). Dans ce contexte, les sociétés les plus touchées et déjà fragiles avant la crise réalisent des restructurations de leur dette ou des conversions de celle-ci en capital, comme Hema, Conforama, Travelex ou Solocal. Si les conditions d’investissement sont en moyenne plus attractives qu’avant la crise, la sélectivité est encore plus fondamentale aujourd’hui pour délivrer de la performance. »

Sur le corporate Investment Grade, le potentiel est jugé faible actuellement. « Ce segment de marché est désormais administré par les banques centrales : le rendement moyen en Europe s’élève à 1 % avec une duration de 5,86. Le rendement ne viendrait donc pas absorber une hausse de la sensibilité. Sur les "govies", schématiquement le rendement est négatif ou nul, et le potentiel de perte élevé. »

Etre flexible avant tout

Dans ce contexte complexe, Jacques Sudre se veut opportuniste et réactif. « Il convient d’être flexible afin de pouvoir se positionner sur des profils attractifs. Cette flexibilité nécessite de se positionner sur un large univers d’investissement, que ce soit au niveau géographique ou de sous-segments obligataires (convertibles, non-noté, subordonnées financières…). Il convient également de pouvoir conserver une poche de liquidités pour saisir ces opportunités. »

Au sein du fonds, la poche de 30 % de cash en début d’année a été réduite jusqu’à 11 % et s’élève aujourd’hui à 15 %. « Nous conservons une poche de liquidité importante pour faire face à des marchés qui pourraient réagir vivement face aux problèmes de fluidité des marchés obligataires », estime-t-il. Durant la crise, le gérant a pu, grâce à ces liquidités, investir sur des émissions d’Elis ou Faurecia, dont le rendement proposé durant la crise a été deux à trois fois supérieur. Il a également souscrit à une émission d’EasyJet : « même si sa situation est aujourd’hui compliquée, la société dispose d’un business model rentable et de sa propre flotte d’avions, et peut compter sur des financements publics. La société a, en outre, procédé à une augmentation de capital pour renforcer son bilan », note le gérant.

Autre exemple : Technip qui a émis une obligation de 150 millions d’euros à 4,5 % à échéance 2025, alors que dans le même temps, l’obligation à échéance 2033 rapporte 2.6 %…

Le gérant ajoute : « Aujourd’hui, nous avons toujours une sensibilité faible aux taux (à 1,9), davantage pour avoir une bonne visibilité sur les émetteurs que pour se préparer à une hausse des taux. Notre gestion se veut libre et flexible, avec une grille de sélection sur la qualité fondamentale des émetteurs et le niveau des rendements. Ainsi, la sensibilité aux taux doit être largement absorbée par le rendement délivré par chaque titre. »

Au niveau géographique, le gérant privilégie l’Europe. « Toutes les zones sont polarisées entre les bons risques et les situations précaires, du fait des banques centrales hyper-présentes. Les différentiels de taux de rendement sans risques sont, dès lors, absorbés par la couverture sur les devises. »

Le fonds est assez concentré pour un fonds obligataire avec actuellement cinquante-sept positions : 25 % de l’actif en convertibles en dehors de la monnaie et 49 % de non-noté qui s’apparente à du High Yield. Les subordonnées financières représentent 6,6 % du fonds. Il s’agit de titres à profil, dont la probabilité de call est assez courte et qui sont « disqualifiés » au sens de Bâle II.

Sur Sextant Grand Large, 16 % du fonds est investi dans de l’obligataire, avec un rendement embarqué de 7 %.

« Accéder à une performance correcte sans faire le pari du gérant »

Guy Parent, responsable de la succursale française de Vanguard, explique l’intérêt d’investir sur les marchés obligataires via des ETF.

Investissement Conseils : Pourquoi utiliser des ETF obligataires dans une allocation d’actifs ?

Guy Parent : Si la gestion active et la gestion passive ont toutes les deux leur utilité, l’ETF permet d’accéder à une performance correcte (moyenne du marché) sans faire le pari d’un gérant. Simple d’utilisation et à acquérir, avec des frais de gestion réduits (entre 0,07 et 0,10 %), l’ETF permet de s’exposer sur le long terme pour le coeur de portefeuille sur un univers d’investissement large et de façon très diversifiée. L’autre utilisation est tactique, avec des paris sur des sous-segments obligataires au travers d’ETF plus concentrés. Ce sont deux approches opposées en fonction du choix des ETF, l’une de long terme, et avec un risque réparti sur un large ensemble, l’autre spéculative et ciblée.

Quelles solutions préconisez-vous ?

G. P. : Face au fonds en euro, il convient d’opter pour des solutions très diversifiées, par exemple sur l’univers des obligations Investment Grade au niveau mondial, avec une couverture contre le risque de change. Etre sur l’ensemble des zones géographiques permet de répartir les risques de hausse des taux. Ce type de solution, bien que sans garantie en capital, vient réduire le risque d’une allocation d’actifs trop pointue et permet de capter le surcroît de taux qui peut exister sur certains segments (US Corporate, pays émergents…).

Un ETF à indice large sur le crédit euro est également une solution, avec un potentiel de rendement un peu supérieur aux titres d’Etat et une diversification importante (deux mille trois cents lignes).

Pourquoi les ETF ne sont-ils pas plus utilisés ?

G. P. : La problématique de l’absence de rémunération du distributeur est centrale. Mais eu égard au développement des ETF dans de nombreux pays, y compris européens, je ne vois pas pourquoi cette solution ne connaîtrait pas le même développement en France.

L’intérêt du client, et donc de son conseiller, est de fournir des solutions efficaces, diversifiés et économiques, comme certains ETF, plutôt que de courir après des gérants stars dont la performance future reste souvent aléatoire et coûteuse. C’est vrai pour les obligations comme pour les actions. Il faut trouver une voie qui rémunère justement le conseil, la définition de stratégie de gestion et le choix de la fiscalité appropriée, sans que cela amène à l’éviction des produits économiques au profit de solutions coûteuses. Cela passera par une évolution progressive du modèle vers une rémunération de l’intermédiaire juste et transparente, idéalement directement par les clients.

« Nos fonds ont relativement bien résisté »

David Benamou, associé-gérant et directeur des investissements d’Axiom AI, nous expose le positionnement actuel du fonds Axiom Obligataire, un fonds crédit principalement investi sur les valeurs financières.

Investissement Conseils : Comment se sont comportés vos fonds durant la crise ?

David Benamou : Nos fonds ont relativement bien résisté car nous avions beaucoup de positions d’attente (entre 15 et 30 % de cash selon les fonds). Nous n’avions pas anticipé ce choc sanitaire, mais nous étions sous-investis car le marché du crédit nous semblait trop cher. Ces liquidités nous ont permis de saisir les opportunités de marché et de recharger le rendement du portefeuille durant la crise. Certains de nos fonds, comme Axiom Optimal Fix, sont ainsi en territoire positif depuis le début de l’année. Parallèlement, nous avons perçu un net regain d’intérêt des investisseurs pour les obligations subordonnées bancaires. Les investisseurs ont réalisé que la crise n’était pas de nature bancaire et que les acteurs du secteur étaient beaucoup plus solides qu’en 2008 avec des niveaux de capitalisation deux fois plus élevés. Etre positionné sur les valeurs bancaires revient à avoir une exposition diversifiée sur l’économie au sens large. Le secteur est également soutenu par les volumes de garanties publiques accordées aux entreprises. Nos fonds ont globalement mieux résisté que ceux de nos concurrents et ont bénéficié du regain d’intérêt pour le secteur bancaire. Ceci nous a permis d’enregistrer une collecte nette de 170 millions d’euros sur les six premiers mois de l’année.

Comment le portefeuille du fonds Axiom Obligataire est-il actuellement positionné ?

D. B. : Nous sommes globalement positifs sur le marché du crédit, notamment sur le marché européen beaucoup moins risqué que le marché US, alors que le marché actions nous paraît surévalué. Néanmoins, le fonds est positionné de manière assez défensive, car la période estivale est généralement propice à la volatilité.

La thématique Legacy est, selon nous, celle qui a le plus d’intérêt (33 % du fonds). En effet, ces titres qui ne font plus partie de la composition du capital réglementaire des banques permettent de réduire les trois risques majeurs que sont le risque d’absorption des pertes, la suspension des coupons et l’extension de leur maturité. Ces titres offrent toujours un rendement attractif.

Les CoCos (obligations contingentes convertibles) ont également de l’intérêt (35 % du fonds), mais il convient ici d’être sélectif en s’intéressant aux titres qui sont susceptibles de ne plus être éligibles au capital réglementaire des banques. En outre, le portefeuille comprend pour 20 % de dette senior et 12 % de cash. Le taux de rendement du portefeuille est aujourd’hui supérieur à 6 %.

Deux nouveaux fonds Buy & Hold

Auris Gestion devrait lancer le fonds daté Auris Sélection 2024. « Nous avons décidé de le proposer dès lors que les conditions de marchés permettront d’atteindre un TRA cible à maturité de 4,30 % », annonce Sébastien Grasset. La maturité finale d’Auris Sélection 2024 sera plus courte que celle de la plupart de ces concurrents pour en faire un fonds plus défensif. Les gérants visent d’ailleurs une poche de titres Investment Grade de 25 % minimum et privilégieront les titres High Yield notés BB, tout en excluant ceux dont la notation est inférieure à B-. « En lançant Auris Sélection 2024 au second semestre, soit après le plus fort de la crise, nous avons le luxe de pouvoir sélectionner les émetteurs les moins impactés ou jugés les plus résilients, car l’univers d’investissement a été passé au crible par les différentes sources d’analyse à l’aune de la crise Covid. »

Ofi AM a également jugé que le contexte était porteur pour lancer un fonds daté. « Un Buy & Hold à horizon 2027 (OFI High Yield 2027), investi principalement dans des obligations à haut rendement des pays de l’OCDE disposant d’une notation minimale BB-. Sur sa durée de vie de sept ans à échéance du 31 décembre 2027, le fonds vise une performance nette de frais annualisée minimum comprise entre 1,5 et 2,90 % selon le type de part R sélectionné. » 

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