- > Article paru dans le magazine n°: 834
Durement touché par la pandémie, le tourisme vit des heures complexes. Passé le choc du confinement à l’échelle mondiale, l’activité redémarre, à un rythme inégal selon les typologies d’hôtels. L’occasion pour les investisseurs d’accompagner la reprise d’un secteur en pleine mutation…
Avec près de 90 millions de visiteurs étrangers en 2019, la France s’avère être le pays le plus visité au monde, et le troisième en termes de recettes derrière les Etats-Unis et l’Espagne, générant environ 57 milliards d’euros en 2018 selon les données de l’Organisation mondiale du tourisme. Une attractivité qu’elle doit à la diversité de ses paysages et de ses propositions, alliant culture, bien-être, art de vivre, et autres activités sportives…
Au total, l’industrie du tourisme et ses retombées génèrent 9 % du PIB français. Un poids qui ne cesse de croître. « Le tourisme tire le PIB et crée une croissance qui se répercute sur d’autres secteurs comme le commerce, l’oenotourisme, etc., témoigne Pascal Savary, président fondateur d’Atream. Au-delà de la France, l’Europe concentre 50 % des touristes mondiaux, largement devant l’Asie et les Etats-Unis. Jusqu’au début de l’année 2020, la croissance du tourisme était extrêmement forte dans le monde, avec un nombre record de personnes souhaitant voyager observé sur les premiers mois de l’année. »
« Le marché affichait d’excellents niveaux avant-crise, avec une progression importante en 2018 par rapport à 2017 et une nouvelle hausse en 2019, même si le différentiel était un peu moins marqué », confirme Jean-Marc Palhon, président fondateur d’Extendam. « Les fondamentaux du tourisme étaient effectivement excellents, approuve à son tour Johanna Capoani, responsable du pôle hôtellerie chez Swiss Life Asset Managers France. Le trafic touristique enregistrait 4 à 5 % de croissance par an sur les dix dernières années, là où l’offre hôtelière, pour ne citer que la France, peinait à dépasser 1 % de croissance. La demande avait donc tellement explosé que l’offre n’arrivait pas à suivre. De quoi porter durablement l’hôtellerie. »
Le RevPAR (revenu par chambre disponible) affichait, quant à lui, juste avant la crise une croissance positive, portée par l’augmentation du tarif journalier moyen (ADR), et ce malgré un léger fléchissement du taux d’occupation. Le secteur repose donc sur des bases solides. « Et même si la crise le frappe violemment et que certains entrepreneurs sont grandement fragilisés, il s’agit bien d’une crise sanitaire et absolument pas d’une crise du tourisme lui-même », tient à rappeler Christian Cacciuttolo, président de l’Unep.
Crise sanitaire, mais pas crise du tourisme
Car la pandémie a fait voler en éclat ce bel enthousiasme. Le confinement et la fermeture des frontières ont imposé un arrêt quasi complet de l’activité touristique durant plusieurs mois, en Asie d’abord, puis en Europe et sur le continent américain, au rythme des décisions nationales. L’étalement de cette vague de confinement, le maintien des restrictions d’entrée sur les territoires et l’impossible reprise à son rythme normal du trafic aérien continuent de plomber le secteur du tourisme. « Pour certains exploitants, 10 % du chiffre d’affaires annuel se fait en avril et en mai. Un manque à gagner conséquent donc », déplore Laurent Fléchet, directeur général délégué du groupe Primonial.
Au niveau national, la perte de chiffre d’affaires de l’hôtellerie pourrait atteindre – 42 % sur l’ensemble de l’année 2020 selon les données publiées par MKG Consulting en juin dernier, avec un effondrement à – 55 % entre janvier et fin mai, et une remontée au-dessus des – 30 % envisagée sur le dernier trimestre 2020.
Pour limiter la casse, les gérants de fonds immobiliers hôteliers ont immédiatement mis en oeuvre des politiques de soutien sur mesure. « Sur ces classes d’actifs, nous sommes de vrais partenaires de l’exploitant, explique Laurent Fléchet. Nous l’accompagnons dans la durée. Nous avons trouvé des solutions pour revaloriser les actifs. Durant le confinement, nos équipes d’asset management ont passé énormément de temps à comprendre les problématiques de chacun afin de trouver de bonnes solutions au cas par cas : décalage de paiement, étalement des loyers, rediscussion des baux… Grâce à ces choix, nous ne déplorons aucune défaillance sur nos actifs hôteliers. »
Quant à l’Etat, il a présenté, mi-mai, un plan de relance inédit de 18 milliards d’euros pour aider la filière. « Le gouvernement a été exemplaire dans l’accompagnement et le soutien à l’industrie touristique, mais cela ne suffira pas, admet Pascal Savary. Il faut redémarrer. »
L’hôtellerie économique a vite redémarré
Mais tous les secteurs et tous les territoires ne sont pas en mesure de réagir de la même manière. Alors que la clientèle asiatique et américaine ne sera pas de retour en Europe avant plusieurs mois, voire plusieurs années, que les déplacements restent limités par les contraintes sanitaires, que les grands événements culturels, sportifs ou professionnels sont annulés, et que le télétravail reste souvent de mise, les cartes sont rebattues entre les acteurs du marché.
Première à rebondir : l’hôtellerie d’affaires économique. « Les deux, voire trois- étoiles entre 50 et 120 euros la nuitée ont rapidement vu revenir les flux de cadres et agents de commerces obligés de reprendre le travail, constate Jean-Marc Palhon. Il s’agit d’une clientèle domestique à plus de 80 %. Parce qu’elle dépend moins de la clientèle internationale et touristique, l’hôtellerie d’affaires de catégorie économique offre une résilience intéressante dans le contexte que nous connaissons. »
Au 9 juin, plus de 75 % de l’hôtellerie super-économique avait également repris son activité, portée par une clientèle de travailleurs indispensables à l’approvisionnement du pays et au bâtiment, selon les chiffres fournis par MKG Consulting. « L’hôtellerie économique et super-économique est un segment peu connu des investisseurs, mais elle se révèle très résiliente dans la crise actuelle grâce à sa clientèle de VRP, routiers et professionnels du bâtiment qui se sont très vite mis à retravailler, voire ne se sont pas arrêtés, indique Souleymane-Jean Galadima, directeur des relations investisseurs privés chez Mata Capital. Durant le confinement, l’hôtellerie économique et super-économique a aussi servi de logement d’urgence temporaire pour les soignants, les femmes battues… Ceci a d’une part limité l’impact de la crise sur son business plan, mais lui a également permis de redémarrer très vite lors du déconfinement. Du point de vue des investisseurs, cette gamme d’hôtels peut être très rentable lorsque les aspects opérationnels et commerciaux des établissements sont gérés de manière pro-active. Elle permet de dégager des marges d’exploitation très intéressantes, supérieures à 30 %. »
« Les hôtels économiques de province qui ont fait le choix de fermer durant le confinement sont, pour l’essentiel, redevenus rentables quelques semaines à peine après leurs réouvertures », ajoute Jean-Marc Palhon. Un rebond rapide pour l’hôtellerie économique donc, qui reste toutefois à confirmer par la suite, la vraie reconquête risquant d’être un peu plus longue.
Le haut de gamme au plus bas…
A l’inverse, à la même date du 9 juin, seuls 20 % de l’hôtellerie luxe et haut de gamme était en activité. Et un quart seulement de l’offre parisienne avait rouvert, contre 60 % en région, poursuit l’étude MKG Consulting. Avec des taux d’occupation relativement bas… Le luxe souffre particulièrement, privé de sa clientèle étrangère depuis janvier dernier, lorsque la Chine s’est confinée. Or plus on monte en gamme, plus l’exposition à la clientèle internationale est importante.
Pour certains établissements, la situation est catastrophique… « De nombreux palaces ont préféré différer leur réouverture à septembre, tant les taux d’occupation pour l’été s’annonçaient faibles », raconte Pascal Savary.
La réalité n’est pas beaucoup plus réjouissante pour les quatre et cinq-étoiles sur lesquels pèsent des charges très élevées. « Il faut cinq salariés pour un hôtel quatre-étoiles de trente-cinq chambres. Mais passer à trente-huit chambres nécessite deux salariés de plus, afin d’accorder les amplitudes horaires d’un hôtel ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre aux obligations sociales. Il faut donc au moins cinquante chambres pour rentabiliser ces deux salaires de plus. Pour toutes ces raisons, les deux et trois-étoiles vont mieux s’en sortir », calcule Christian Cacciuttolo.
« Pour ces hôtels quatre et cinq-étoiles, il y a une vraie incertitude, en parti-culier pour les hôtels de tourisme de loisirs au-delà de la période estivale. Alors que l’hôtellerie économique et milieu de gamme devrait retrouver un niveau d’activité normal, d’ici douze à dix-huit mois, il faut s’attendre à une année supplémentaire de décalage pour le haut de gamme », prévient Jean-Marc Palhon.
Les grandes villes très affectées
Les plus impactées sont les grandes villes, y compris sur le littoral, même si le tourisme estival est venu y compenser un peu les pertes. « A Paris et dans les grandes villes, sur un parc encore majoritairement fermé cet été, les hôtels qui ont fait le choix de rouvrir ont rapidement affiché des taux d’occupation entre 40 et 50 % sur les premières semaines de juillet, précise Johanna Capoani. Les opérateurs qui détiennent plusieurs établissements ont utilisé tous les canaux de distribution et ajusté les ouvertures en fonction des réservations, quitte à réorienter les clients sur un autre hôtel de leur flotte. Les plus petits opérateurs, moins flexibles, ont dû attendre septembre pour rouvrir. Pour ces hôtels urbains, traverser juillet et août était un vrai challenge. » Des fermetures qui plombent le chiffre d’affaires de l’hôtellerie française dans son ensemble, car ces hôtels urbains travaillent en principe toute l’année et contribuent fortement aux résultats du secteur.
Les doutes sont particulièrement marqués pour la catégorie business qui va devoir affronter de nouvelles conditions de marché. « Le tourisme professionnel va souffrir un moment : les entreprises se déplacent moins, les réunions se font à distance, les événements sont annulés ou plus petits… Il va falloir du temps avant que cette activité redémarre », craint Christian Cacciuttolo.
La saison qui s’ouvre permettra de mesurer l’impact réel de la crise sur l’hôtellerie d’affaires. « Pour l’heure, le RevPAR plafonne à 50 % de l’activité prévue par rapport à 2019. Nous espérons atteindre 65 à 70 % l’an prochain. Mais les hôtels d’affaires ne connaîtront pas de reprise avant 2021 au mieux », indique Pascal Savary.
Reconquête de la clientèle intérieure et européenne
En revanche, l’été a permis à l’hôtellerie de loisir de reprendre des couleurs, notamment l’hôtellerie de plein air qui séduit par sa proposition de vie en extérieur et la distanciation qui y est plus facilement applicable.
La fermeture des frontières a incité les Français à visiter leur pays, compensant partiellement au moins l’absence de la clientèle étrangère. Une situation qui profite particulièrement à l’hôtellerie de montagne et de campagne où prédomine traditionnellement la clientèle française et où les conditions sanitaires sont favorables. « L’hôtellerie de loisir s’est en effet très bien portée sur la période estivale. C’est une très bonne nouvelle et le signe que la reprise va être assez forte. Nous n’avons aucune inquiétude sur le long terme », confie Johanna Capoani.
Et fort heureusement, la saisonnalité s’allonge, allant de mai à fin septembre pour les seniors. « Cette reconquête de la clientèle intérieure crée une dynamique. Tout le monde est motivé, l’activité redémarre, rassure Pascal Savary. Et la clientèle européenne va, elle aussi, pouvoir recirculer rapidement. »
C’est un élément crucial pour le redémarrage du secteur, car cette clientèle européenne pèse lourdement dans le tourisme européen.
Le trafic aérien contribuera à cette reprise. « Alors qu’il est techniquement très compliqué de relancer toute une flotte restée clouée trois mois au sol et que la majorité des avions ne redécollera pas avant des semaines, la plupart des compagnies aériennes européennes ont fait le choix de redéployer leurs plans de vol en priorité sur le court et le moyen-courrier, ce qui favorise justement la reprise du tourisme européen », précise Johanna Capoani.
Des opportunités à saisir
Alors quel impact aura cette crise sans précédent sur les actifs hôteliers ? Verront-ils leur valeur chuter avec à la clé de bonnes affaires à réaliser pour les gérants de fonds spécialisés ? Les investisseurs doivent-ils s’attendre à des rendements médiocres et si oui combien de temps ? Subiront-ils des pertes en capital ?
« Le confinement a stoppé net les transactions. Chacun attendait de savoir si l’immobilier allait monter ou baisser, dans l’optique de potentielles bonnes affaires. Il était également compliqué de se déplacer pour visiter les biens », rappelle Christian Cacciuttolo.
Mais il n’y a pas eu d’arrêt complet des achats : des produits sont toujours proposés à la vente et les acheteurs sont également là. « Certains propriétaires vont être contraints de vendre, prévient Souleymane-Jean Galadima. Soit parce qu’ils font défaut et dans ce cas, la décote peut être importante, soit parce qu’ils doivent réduire rapidement leur endettement en arbitrant leurs actifs non stratégiques. » « La technique du sale and lease back, qui consiste à vendre un actif pour le reprendre ensuite à bail, est à cet égard un moyen très puissant de dégager rapidement du cash », signale Johanna Capoani.
Le marché hôtelier est en réalité atomisé. Il compte beaucoup d’indépendants qui n’avaient pas investi ou restauré leurs hôtels. Un certain nombre d’entre eux est, d’ailleurs, entré sur ce marché par opportunisme quelques mois ou années avant la crise : des investisseurs professionnels qui ont voulu profiter d’un marché en pleine croissance sans en maîtriser les rouages. « Ceux-là n’ont pas forcément fait les travaux nécessaires, souvent par méconnaissance du secteur. Beaucoup d’entre eux le paient aujourd’hui », déplore Christian Cacciuttolo. Les plus fragiles sont donc ceux qui détiennent encore en propre des actifs murs et fonds sans le soutien d’une chaîne, petite ou grande, soit environ 40 % des hôtels en France.
Beaucoup n’auront ni l’envie ni la capacité de redémarrer. « Il y aura donc des vendeurs contraints, propriétaires d’hôtels à rénover et repositionner, mais aux fondamentaux solides, notamment en termes d’emplacement », estime Souleymane-Jean Galadima.
« Des territoires, comme l’Italie, qui n’ont pas investi depuis longtemps dans la modernisation de leurs actifs pourraient aussi offrir des opportunités pour de nouveaux entrants désireux d’aller vers ces classes d’actifs », indique Laurent Fléchet. Si la crise sanitaire accélère les difficultés existantes de ceux qui n’avaient pas su s’adapter, elle donne aux autres l’occasion de prendre des parts de marché plus importantes.
Une baisse des valorisations ?
Pour les gérants de fonds immobiliers, le moment sera donc peut-être propice aux bonnes affaires car certains actifs décotés ne seront pas acquis par les grands groupes hôteliers. « Nous sommes vigilants sur le timing, précise Laurent Fléchet. Nous souhaitons attendre le bon moment pour investir plus massivement, en respectant la période de latence qui suit toujours les crises et permet de voir comment la situation évolue. » « Il est actuellement trop tôt pour savoir si les prix vont réellement baisser dans leur ensemble », approuve Christian Cacciuttolo. Et finalement, rien n’est moins sûr…
« Dans un actif hôtelier, deux tiers de la valeur proviennent des murs et un tiers tient du fonds de commerce, explique Jean-Marc Palhon. La partie foncière ne subit pas de grosses variations dans la crise actuelle. Mais la partie exploitation est clairement impactée. Cela se répercute sur les valorisations. L’impact de la crise va donc se retrouver dans les valeurs des actifs en portefeuille. Mais cette répercussion sera lissée dans le temps ; il y aura évidemment des baisses comptables et techniques. Et au 31 décembre, cet impact sera intégré dans les valeurs. »
Mais sous réserve d’une deuxième vague dure, le secteur est résilient et peut cicatriser vite, comme il l’a déjà prouvé dans le passé. Sur le marché de la transaction, sauf exception, les prix risquent donc de ne pas baisser de façon drastique. C’est moins vrai pour les petits hôtels économiques et super-économiques : « dans cette catégorie, la valorisation du fonds est supérieure à celle des murs, rapporte Souleymane-Jean Galadima. Ceux qui sont en difficulté actuellement verront donc leur valorisation nettement attaquée. Ceci explique que les meilleurs millésimes aient été réalisés au lendemain de crises… »
Les hôtels en loyers fixes, avec des taux de couverture confortables permettant de compenser la volatilité de la fréquentation, ne subissent eux quasiment pas de baisse de valorisation. « De même, les campings devraient assez bien traverser la crise ; les opérateurs ont d’ailleurs continué à payer leurs loyers, sans décalage autre qu’un règlement à terme échu. La valorisation de ces actifs n’est donc pas impactée par la crise », signale Johanna Capoani.
La situation est différente pour les établissements exposés à du loyer variable : « en effet, en dehors de l’effet de taux, le variable qui ne se déclenchera pas en 2020 peut entraîner une diminution de 2 à 3 % des valorisations, voire même de 5 à 10 % en cas de forte prépondérance au variable », précise Johanna Capoani.
« Quant aux actifs de qualité sans difficulté financière, comme les actifs core pour clientèle d’affaires, les propriétaires préféreront les retirer momentanément du marché afin de les représenter un peu plus tard, plutôt que de les brader », pressent Jean-Marc Palhon.
Une industrie sous-capitalisée
De façon globale, le secteur de l’hôtellerie est sous-capitalisé : les opérateurs manquent de fonds propres. « C’est là que nous, gérants de fonds dédiés, pouvons intervenir, en apportant des capitaux et en accompagnant la reprise avec des investissements de long terme, propose Pascal Savary. Les SCPI de tourisme ne pèsent que 3 à 400 millions d’euros. Il faut flécher une partie de l’épargne vers ces véhicules et aider le secteur se renforcer. » Faute de quoi, l’offre touristique va s’affaiblir avec un impact évident sur l’emploi. Or c’est l’ensemble du territoire qui est concerné.
Du côté des FCPR et FCPI à vocation hôtelière, comme ceux développés chez Extendam, investir en cette période de crise représente aussi une opportunité. « Nous faisons du Private Equity qui encapsule des sujets immobiliers, explique Jean-Marc Palhon. L’essentiel des fonds n’est pas investi aujourd’hui ; il sera déployé sur les deux ans qui viennent. Nous allons constituer un portefeuille d’hôtels avec prudence et sans précipitation, en étalant les points d’entrée, sur des actifs core, impliquant de l’asset management. Nous intégrerons l’impact de la crise dans les prix pour ressortir dans six ou sept ans. » Signe que le secteur est porteur : la présence de plus en plus marquée des institutionnels.
Impact limité sur la rentabilité
La rentabilité sera-t-elle toutefois au rendez-vous ? Les négociations menées sur les loyers pendant la période de fermeture conditionnent évidemment les rendements des fonds dédiés au secteur hôtelier. Certaines annulations de loyers seront inévitables, mais les gérants essaient de favoriser plutôt les reports, quitte à les récupérer ensuite sur des durées longues, décalées de plusieurs mois. « En conséquence, les rendements des SCPI concernées seront peut-être affectés en 2020, mais récupérés sur les deux ou trois années suivantes », précise Johanna Capoani.
Et les gérants annoncent déjà qu’ils tenteront de préserver au mieux le dividende 2020 : « l’augmentation de la valeur des parts stagnera peut être pendant deux ou trois ans. Mais les SCPI disposent des ressources suffisantes pour maintenir un dividende proche de 4 %, notamment grâce au report à nouveau », affirme Christian Cacciuttolo. « Il est, en effet, naturel de partager avec les porteurs de parts les richesses accumulées sur les fonds », confirme Johanna Capoani.
Atream Hôtels, par exemple, SCPI 100 % hôtelière qui offrait un rendement de 4,7 % les années précédentes, limite la casse puisqu’elle table sur un taux d’environ à 3 % sur 2020, en espérant finir l’année à 4 %. Et ce, bien sûr, sans perte en capital. Simplement, les rendements seront moins élevés cette année. « Nous espérons retrouver un rendement de 4 % en 2021 et de 4,7 % en 2022 », anticipe Pascal Savary.
Un secteur en mutation
Pour surmonter la crise, relancer l’hôtellerie et maintenir une offre de qualité en France, une stratégie de création de valeur doit être définie. La mutation du secteur était déjà amorcée avant la pandémie. La crise ne joue finalement, comme toujours, qu’un rôle de catalyseur de phénomènes qui la précédaient… « L’hôtellerie est en pleine mutation depuis quelques années, confirme Johanna Capoani. De nouveaux concepts sont venus bousculer cette industrie, et l’hôtellerie dans son ensemble doit désormais intégrer les nouvelles façons dont les gens souhaitent voyager. »
Premier constat : la taille des biens hôteliers devient un élément crucial, avec de moins en moins d’actifs de très grandes tailles, supérieurs à deux cents chambres. « Le "sur-tourisme" longtemps prôné par les grands groupes est un problème aujourd’hui, confirme Pascal Savary. Les clients veulent avoir le sentiment d’être en sécurité lorsqu’ils voyagent et la promiscuité est aujourd’hui un vrai frein. La notion d’économie circulaire est également très importante et oblige les opérateurs à s’adapter. Nous devons accompagner cette transformation et la reprise qui va être difficile. »
Un constat partagé par Jean-Marc Palhon : « Un hôtel de cinquante chambres est trop petit, un hôtel de plus de deux cents chambres est plus compliqué à remplir. L’idéal se situe entre les deux ».
Autre tendance : à l’inverse de ce qui se faisait il y a quinze ans, les parties communes, longtemps considérées comme non rentables, vont désormais devenir plus importantes, au détriment des chambres, de plus en plus petites. « La crise sanitaire et ses mesures d’hygiène obligatoires devraient accélérer cette mutation, mieux adaptée aux normes de distanciation », remarque Souleymane-Jean Galadima. Agrandies, les parties communes deviennent le coeur d’un nouvel art de vivre l’hôtel. « Un hôtel est un actif bien placé : faut-il en limiter la fonction à l’activité d’hébergement purement hôtelier ? », s’interroge Jean-Marc Palhon.
De grandes réflexions s’ouvrent. « L’hôtel devient un lieu de vie, où échanger, se détendre, se retrouver. Cela implique des espaces de convivialité plus importants », observe Laurent Fléchet. Les clients y recherchent de la convivialité, afin de lâcher prise, de régler plus facilement les problèmes, d’être plus à l’aise pour discuter…
A l’instar des bureaux, les hôtels s’ouvrent sur la ville, mêlent l’intimité de leurs intérieurs aux multiples activités venues de l’extérieur. « Pourquoi ne pas intégrer à l’établissement une boulangerie ou une mini-superette ? suggère Jean-Marc Palhon. L’idée est de jouer sur la mixité des usages immobiliers. Si l’hôtel propose un lieu de restauration conceptuel, les clients vont y rester plutôt que d’arpenter le quartier pour aller dîner. L’hôtel se tourne vers l’extérieur, s’ouvre sur son quartier, avec des riverains qui viennent y manger et se mêlent aux clients de l’hôtel, clients qui eux-mêmes ont plaisir à rester dans l’établissement pour y passer un moment convivial. » « A une époque où diminue le nombre d’heures de travail au profit du loisir, il faut être capable d’accompagner ces mutations, d’ailleurs prometteuses pour le secteur », ajoute Christian Cacciuttolo.
Leviers de création de valeur
« Les clients veulent également pouvoir travailler à l’hôtel, remarque Laurent Fléchet. D’où les nouveaux concepts qui se développent, mêlant coworking et espaces conviviaux où consommer, y compris dans l’hôtellerie d’affaires. »
Travailler différemment est un enjeu de taille à l’heure de la Covid-19. Nous assistons donc à la cristallisation de nouvelles manières d’héberger les gens qui travaillent. Tous les leviers de création de valeur sont actionnés : coworking, coliving, et plus largement une imbrication du business et du loisir… « Les hôteliers peuvent, par exemple, proposer une offre de télétravail à la clientèle environnante, explique Johanna Capoani. Nous avons, par exemple, récemment travaillé sur un projet de chambre modulable, qui peut être transformée en petit espace de coworking lorsqu’elle n’est pas louée. Il y a de vraies réflexions à mener pour transformer la classe d’actifs en elle-même. On voit également émerger de nouveaux concepts d’hébergement, avec une offre "au lit" plutôt qu’"à la chambre" : il s’agit ici de payer au nombre de lits et non plus à la chambre, pour plus de souplesse. Un bon levier de création de chiffre d’affaires, même s’il faut évidemment, et avant tout, résoudre la problématique sanitaire dans cette offre. Mais l’avantage des crises est de forcer les acteurs à se repenser, se repositionner, même si malheureusement les plus fragiles ne se relèveront pas. »
Notion de marque
Les hôtels devront aussi se redéployer en termes de services et de manière de prospecter les clients, offrir de nouveaux outils faisant la part belle au loisir et au bien-être. De petits hôtels de loisirs bien marketés pourraient bientôt fleurir à proximité des villes avec une offre pensée pour deux ou trois jours. La fidélisation par les services et le sur-mesure se renforcent. Avoir la maîtrise de leur clientèle sans l’intermédiaire d’une plate-forme de réservation devient un enjeu majeur pour les établissements. « Ceux qui viennent de l’exploitation, de l’accueil du client, sont plus à même de réussir ces mutations que ceux qui viennent de l’immobilier pur », estime Jean-Marc Palhon.
Depuis quelques années, de nouveaux opérateurs hôteliers émergent. Ils développent cinq à sept actifs autour d’un vrai concept et fabriquent leur fonds de commerce avec une notion de « marque ». « Les grandes enseignes s’intéressent de près à ces nouveaux concepts et rachètent les petits groupes innovants, en réponse à une clientèle qui revendique désormais de vivre une vraie expérience dans un hôtel à l’identité propre », constate Laurent Fléchet. « Nous avons la volonté d’accompagner ces jeunes marques et de leur donner la capacité d’absorber les chocs futurs », explique Pascal Savary.
Les fonds spécialisés ont aussi l’avantage de disposer de temps pour mener les mutations qui s’imposent au secteur. « Faire évoluer un bien prend du temps et cela altère sa rentabilité. Mais pour un fonds qui détient vingt hôtels, il est possible de faire chaque année des travaux sur une partie des actifs sans impacter la rentabilité globale », signale Christian Cacciuttolo.
Capacité à surmonter la crise
Hormis ces mutations structurelles amorcées avant la pandémie, le marché du tourisme en France ne sera pas radicalement transformé par la crise sanitaire. Le pays conserve toute son attractivité intrinsèque, et le tourisme reste une tendance de fond extrêmement puissante qui profite des nouveaux modes de vie et du temps que les gens peuvent passer à se déplacer. « Sur le marché hôtelier, la croissance de la demande est corrélée aux cycles économiques : quand la consommation repart, l’hôtellerie repart. C’est une vraie différence avec le bureau. Nous n’avons donc pas d’inquiétude à cinq ou dix ans. Il faut réfléchir à long terme et sortir de l’angoisse que peut provoquer une telle crise. Le secteur de l’hôtellerie s’en remettra, même s’il faut du temps. C’est une classe d’actifs qui s’est toujours relevé des crises », rappelle Johanna Capoani.
Pour celui qui souhaite investir sur ce secteur, il est inutile d’attendre, au contraire. « A partir du moment où on est convaincu que c’est un marché porteur sur le long terme, mieux vaut investir sans tarder car cela apportera du cash au fonds sélectionné, qui aura ainsi les moyens d’acheter dans un marché baissier », conclut Christian Cacciuttolo.
Clientèle internationale : à quand le retour ?
« Le retour des Américains est un vrai point d’interrogation. Il y a peu de chance de les revoir avant 2021 », observe Johanna Capoani. « La clientèle asiatique estime elle-même qu’elle ne sera pas de retour avant fin 2021, 2022. Idem pour la clientèle brésilienne », complète Pascal Savary. « Toutefois, un certain nombre de vols de l’Asie vers la France ont repris. Cette clientèle pourrait revenir plus vite que prévu, même en l’absence d’un vaccin, et ce dès qu’elle sera rassurée par les règles d’hygiène et de sécurité sanitaire mises en place en Europe », soutient Johanna Capoani. Ces clientèles internationales consomment beaucoup plus en termes de recettes que la clientèle européenne. Leur retour est donc très attendu et laisse espérer un retour à peu près à la normale en 2022.
L’intérêt d’une diversification européenne
Le marché du tourisme est très différent d’un pays à l’autre. « La diversification géographique fait sens car les drivers varient selon les territoires, explique Johanna Capoani. L’Allemagne a un marché très domestique, ce qui est un atout dans le contexte de Covid-19. C’est également dans une certaine mesure le cas de la France. En revanche, l’Espagne, fortement soumise à la clientèle internationale, est forcément plus impactée. Mais elle profite de la résilience de l’hôtellerie de loisir vers laquelle elle est principalement tournée. Etre très diversifié géographiquement permet donc de jouer sur différents leviers comme "clientèle domestique/internationale", "loisir/business"… »
Des solutions dédiées
SCPI, FCPR, FCPI, club deals, SCI… L’accès des épargnants à l’hôtellerie s’est démocratisé depuis quelques années. Certaines sociétés de gestion proposent ainsi aux particuliers d’investir dans un fonds immobilier entièrement dédié à l’hôtellerie, pour un ticket d’entrée entre 5 000 et 30 000 euros.
« Les rendements bruts de ces fonds sont attractifs, cumulant deux moteurs de performance : la rentabilité des murs susceptible de rapporter entre 4 et 5 %, et celle de l’exploitation, souvent entre 5 à 7 % », explique Jean-Marc Palhon dont la société, Extendam, investit dans l’hôtellerie d’affaires en Europe, très majoritairement sous enseigne. Les club deals quant à eux sont réservés à quelques investisseurs avertis, capables de placer plusieurs centaines de milliers d’euros pour l’acquisition en commun d’un petit nombre d’actifs bien précis, avec à la clé une rentabilité à deux chiffres. Par exemple, Swiss Life Asset Managers France a fait l’acquisition de plusieurs portefeuilles d’hôtels et lancé des club deals sur cette classe d’actifs.
Plus récemment, des véhicules grand public ont vu le jour, des SCPI spécialisées dans l’hôtellerie. C’est le cas chez Atream qui propose notamment Atream Hotels, Pierre Altitude dédiée à l’hôtellerie de montagne, avec des TDVM 2019 respectifs de 4,75 % et 4,80 %. Il y a un an, Atream a également lancé la SCPI Tourisme & Littoral axée sur les stations balnéaires françaises. Chez Aestiam (ex-Foncia Pierre Gestion), la SCPI Aestiam Cap’Herbergimmo se consacre à l’hôtellerie, aux résidences hôtelières et aux espaces de séminaires, pour un rendement 2019 de 4,71 %. Enfin, Paref Gestion propose depuis quelques mois Novapierre Italie, 100 % investie dans l’immobilier de tourisme en Italie. D’autres SCPI intègrent dans leur portefeuille de façon plus ou moins sporadique des actifs hôteliers, comme c’est le cas de Primofamily, SCPI de Primonial associant logements résidentiels et hôtels urbains à hauteur de 30 %.
Dans les fonds multisectoriels, les actifs hôteliers ne dépassent souvent pas 5 à 10 % de l’allocation.
Une réponse aux crises
Ces véhicules collectifs assurent une mutualisation des risques, à commencer par le risque de défaillance du locataire. « Par ailleurs, les fonds grand public privilégient généralement les baux avec un loyer fixe, de façon à sécuriser les cash-flows. Les fonds axés sur une thématique hôtellerie pure prendront parfois plus de risques, afin d’offrir un rendement plus élevé », témoigne Johanna Capoani.
« En raison des aléas, privilégier un véhicule mêlant investisseurs privés et institutionnels peut être intéressant, s’il s’avère nécessaire de réinvestir en cours d’opération », note Souleymane-Jean Galadima.
« La création de millésimes, s’ils sont bien gérés, permet de lisser les prix d’achat des actifs en portefeuille, rappelle Christian Cacciuttolo. En ce moment, le risque concerne surtout les véhicules 100 % hôtellerie. Mais rappelons que l’immobilier est un investissement de long terme, ce qui laisse le temps d’absorber la crise. »
« Outre une diversification patrimoniale, tous ces véhicules permettent en tout cas aux épargnants de voir l’impact de leur investissement et la manière dont ils accompagnent l’économie réelle du pays. Cette action va être essentielle dans les mois et les années à venir ; elle permettra aussi au particulier d’apporter des recettes complémentaires à l’économie de sa ville et de sa région », souligne Pascal Savary.