Des liens capitalistiques à bien baliser entre sociétés de gestion et CGP

Dossiers
Outils
TAILLE DU TEXTE

De plus en plus de sociétés de gestion comptent parmi leurs actionnaires des cabinets de CGP ou des gestionnaires de patrimoine. Chaque opération capitalistique cultive des stratégies et des objectifs différents. Explications.

Les raisons visant à créer ou à prendre une participation dans une société de gestion de portefeuille sont diverses pour les professionnels du patrimoine. Il peut s’agir d’apporter un meilleur service au client final, d’avoir davantage de réactivité dans la gestion, alors que le temps des marchés s’accélère en évitant le temps des arbitrages, de se rapprocher d’équipes professionnelles de gestion dotées d’outils spécifiques, de s’enrichir intellectuellement et capitalistiquement (notamment pour les prises de participation par les conseils en gestion de patrimoine à titre personnel), de sécuriser leurs allocations d’actifs sur le plan réglementaire ou encore de percevoir une rémunération indirecte via des dividendes.  Du côté des sociétés de gestion de portefeuille, il s’agit principalement d’augmenter le montant des encours gérés et d’atteindre de manière indirecte une clientèle privée aux encours plus stables. Différentes sociétés de gestion de portefeuille comptent ainsi parmi leurs actionnaires des cabinets de conseil en gestion de patrimoine ou des CGP à titre personnel. On peut citer Invest AM, WiseAM, Sanso IS, Fourpoints IM, Gemway Assets ou encore La Financière de l’Arc.

 

Contourner une éventuelle remise en cause du modèle économique

Durant la tempête réglementaire liée aux négociations sur les directives européennes MIF 2 et DDA, les craintes autour de la préservation du modèle économique des conseils en gestion de patrimoine étaient vives. En effet, le modèle de rétrocommissions était clairement menacé par ces projets alors qu’il représentait – et représente toujours – la majeure partie du chiffre d’affaires des cabinets. Pour contourner ce problème, nombreux sont les CGP, seuls ou à plusieurs, à avoir pensé créer leur propre société de gestion ou prendre une participation au sein d’une société de gestion et ainsi percevoir en dividendes ce qu’ils auraient perdu en rétrocommissions sur encours… Alors que le mode de rémunération des CGP n’a pas été impacté, les CGP semblent aujourd’hui moins enclins à se lier capitalistiquement avec un asset manager.

  

Mieux accompagner la clientèle finale en professionnalisant sa démarche

Pour Meyer Azogui, président du Groupe Cyrus, qui a lancé Invest AM en 2010, donc bien avant les débats autour des directives européennes, c’est le besoin client qui doit avant tout guider la réflexion du CGP, même si l’objectif capitalistique n’est pas renié. « Via la délégation de gestion et la gestion sous mandat, nous évitons les lourdeurs des arbitrages », assure-t-il. Il s’agissait également de professionnaliser l’approche de l’allocation d’actifs. « Nous sommes des conseils en gestion de patrimoine, et non pas des gérants. L’équipe d’Invest AM ne fait que gérer avec des moyens techniques et humains appropriés et des outils de contrôle. Avec Invest AM, nous avons sécurisé nos process en matière d’allocation d’actifs ».

Aujourd’hui, Meyer Azogui considère que cette filiale est devenue indispensable au bon suivi des allocations des clients et de la sélection de fonds. «  Les marchés vont être de plus en plus volatils. Les CGP se doivent d’avoir une société de gestion dans leur environnement (mais cela reste très intensif sur le plan capitalistique), ou au moins de déléguer leurs allocations à des gérants. Le marché s’organise d’ailleurs ainsi, avec des plates-formes et des assureurs qui proposent que les portefeuilles soient gérés par des asset managers filiales ou une sélection de gérants. Les conseils en gestion de patrimoine se transforment en sélectionneurs de gérants après avoir été les précurseurs en matière d’architecture ouverte. »

 

Une indépendance renforcée

Les opposants d’une alliance capitalistique entre CGP et sociétés de gestion mettent en avant la perte d’indépendance dans le conseil du CGP. Pour Meyer Azogui, la création d’une société de gestion a, au contraire, permis de renforcer l’indépendance de Cyrus Conseil. « Il s’agit d’une société d’allocation d’actifs globale, c’est-à-dire qu’elle assemble des classes d’actifs internationales entre elles, via tous les instruments financiers à sa disposition (ETF, fonds, Futures…). La vocation d’Invest AM n’est pas de proposer un fonds de petites capitalisations françaises, mais bel et bien d’assembler, et non pas d’empiler, les différentes classes d’actifs, le tout avec un maximum de transparence et au service de la performance qui reste le juge de paix. » En revanche, Meyer Azogui ne croit pas en la prise de participation, même si cela est « une première étape pour bien comprendre l’univers de la gestion. Les retours d’expériences ne semblent pas porteurs, et les engagements des uns et des autres ne sont pas toujours respectés. »

  

Participations croisées 

Autre expérience, celle de Géraldine Métifeux, gérant du cabinet Alter Egale, en compagnie de la société de gestion Otéa Capital. Géraldine Métifeux avait, pour sa part, une participation croisée avec la société de gestion Otéa Capital en 2013. « Nous avions pris cette décision, alors que les rémunérations sur encours étaient menacées, explique-t-elle. Il s’agissait également d’apporter un service de gestion privée aux clients directs d’Otéa. » En effet, la logique était double pour Otéa Capital. Pour Laurent Puget, son président, « alors que la société se développait via la gestion collective, il convenait d’offrir un service de gestion privée aux clients directs et développer la société dans cet axe. Alter Egale apportait à Otea Capital une expertise et un savoir-faire très forts dans un domaine que nous maîtrisions mal ».

 

Rachats de cabinets par une société de gestion pour développer un service de gestion privée

Alors qu’après deux années de collaboration l’opération s’est révélée moins pertinente sur le plan stratégique pour les deux acteurs, chacun s’est retiré du capital de l’autre. « Aujourd’hui, l’intérêt pour nos clients n’est pas franc, estime Géraldine Métifeux. Et si nous devions nous rapprocher à nouveau d’un asset manager, cela passerait par le GIE Incipio », groupement lancé en février 2019 dernier. Mais l’expérience a été bénéfique : « j’ai pu me rendre bien compte du travail et des contraintes des gérants, et je peux également mieux lire les reportings et documents des asset managers. L’aventure humaine a été un vrai succès », assure-t-elle.

 

Des synergies évidentes

De son côté, Otéa Capital a poursuivi son développement vers la gestion privée, notamment via l’acquisition de deux cabinets (ACS Premium, à Brive, et APCI, à Arras). « La gestion privée offre de la stabilité à nos encours, contrairement à la gestion collective plus volatile, indique Laurent Puget. Nous procédons à des rachats pour intégrer rapidement les compétences. Ces deux cabinets sont des structures très bien implantées dans leur zone, gérés par des conseils en gestion de patrimoine qui, tout en souhaitant cesser leur activité à moyen terme cherchent à pérenniser dès aujourd’hui leur structure et leur implantation locale et acceptent d’accompagner la transition de manière active. Les cabinets sont renforcés et restent autonomes dans leur fonctionnement et l’architecture ouverte est privilégiée. » En effet, Otéa Capital dispose d’un savoir-faire en multigestion et les fonds de la maison sont limités à 20 % maximum dans les portefeuilles. « Nous apportons aux cabinets nos expertises et notre temps dans le contrôle et le suivi des portefeuilles de leurs clients, le tout dans une logique de collaboration et non pas d’intégration. En contrepartie, ces cabinets nous offrent une très forte expertise en matière de gestion de patrimoine. Cette complémentarité permet d’offrir un service patrimonial relativement complet. Un certain nombre de tâches sont également mutualisées pour redonner aux conseillers du temps commercial et du temps au service des clients. » Les modalités d’échanges entre CGP et sociétés de gestion sont multiples. Chacun se doit de bien cibler les besoins et les attentes de ses clients, mais aussi son activité pour bien organiser ses rapports avec son partenaire capitalistique.

 

❚ Benoît Descamps