En début d’année, nous avons annoncé la fin de la crise du pouvoir d’achat en Europe. Cette déclaration a suscité quelques sourcils froncés, notamment en France, tant de la part des journalistes que lors d’entretiens avec des clients. La perte du pouvoir d’achat des ménages est restée un thème central dans l’analyse conjoncturelle, et ce, jusqu’aux élections législatives de cet été.
Les salaires réels augmentent en France pour la première fois depuis 2021. Les enquêtes révèlent que les consommateurs constatent une amélioration de leur situation financière. Hormis une interruption en février, les consommateurs français indiquent dans l’enquête de l’Insee, depuis le début de l’année, une amélioration de leur capacité à effectuer des achats importants mois après mois.
Un réflexe naturel
Pourtant, la consommation ne décolle pas. Le taux d’épargne montre que les ménages de la zone euro mettent plus d’argent de côté que la moyenne depuis la pandémie. Actuellement, le taux d’épargne en France est de 17,9 % du revenu. Entre 2000 et 2019, il était en moyenne de 14,6 %. On ne peut que spéculer sur les causes de ce changement de mentalité. En période d’incertitude accrue en matière de politique économique, l’augmentation du taux d’épargne peut être un réflexe naturel. En allemand, on parle de « Angstsparen » (épargne de la peur). Il est possible que ce comportement des consommateurs dans les sociétés vieillissantes s’étende de l’Allemagne aux pays voisins. Une autre explication, sans doute plus plausible, réside dans la hausse des taux d’épargne. Le taux d’intérêt sur le Livret A est passé de 0,5 à 3 % depuis 2022, ce qui, avec un taux d’inflation à nouveau inférieur à 1,5 %, constitue une rémunération intéressante. Indépendamment des causes de cette hausse soudaine de la propension à épargner, celle-ci pèse considérablement sur la croissance économique. En France, l’écart entre le taux d’épargne actuel et sa valeur moyenne à long terme représente environ 2,0 % du PIB. Un retour à un taux d’épargne « normal » des ménages stimulerait fortement la demande de consommation dans le pays. Ce serait une évolution bienvenue, mais qui ne se dessine malheureusement pas. Mais l’économie française s’est jusqu’à présent montrée avantagée par rapport à l’Allemagne. La robustesse du marché du travail et l’attractivité accrue de la France pour les investissements directs étrangers y ont contribué. Toutefois, la consolidation budgétaire nécessaire semble exercer un effet de frein sur l’évolution conjoncturelle. Même si le budget n’a pas encore été voté, les mesures fiscales devraient réduire la croissance économique d’environ 0,5 % du PIB en 2025 et 2026.
Croissance inférieure aux prévisions
Il est donc indéniable que l’économie française connaîtra une croissance inférieure à son potentiel au cours des prochains trimestres. Les capacités restent sous-utilisées, ce qui réduit les pressions inflationnistes. Le contexte inflationniste justifie depuis longtemps le passage d’une politique monétaire restrictive à une politique neutre, voire accommodante, de la BCE. Il semble de plus en plus évident que la BCE a trop tardé à baisser ses taux directeurs. Il sera donc d’autant plus important que la baisse des coûts de financement se répercute rapidement sur l’économie réelle. A ce sujet, certains signes montrent que les banques commerciales assouplissent leurs conditions d’octroi de crédits et que la demande de crédits augmente. Une récession pourrait ainsi être évitée. Par ailleurs, les annonces selon lesquelles la Chine prépare un important paquet fiscal se font de plus en plus nombreuses. L’économie exportatrice européenne peut-elle espérer une aide de l’extérieur ? Souvenons-nous : après la grande crise financière de 2008, la Chine a joué le rôle de locomotive conjoncturelle mondiale. Les exportations de l’Allemagne ou de la Suisse ont doublé entre 2007 et 2011. Bien que toute impulsion de la demande soit la bienvenue, les arbres ne pousseront pas jusqu’au ciel pour les exportateurs européens. D’après ce que l’on sait à ce jour, les mesures de relance prévues représentent environ 2,5 % du PIB chinois. Pour relancer la conjoncture après la crise financière, le gouvernement chinois avait mis en place un programme d’un montant de 12,5 % du PIB de l’époque. Un peu de soutien de la part de la Chine semble donc envisageable. Mais du point de vue français, les priorités devraient être d’exiger de la BCE qu’elle mette fin à sa politique monétaire restrictive et de consolider le budget national. Marc Brütsch, chef économiste de Swiss Life Asset Managers
Achevé de rédiger le 4 novembre