Une normalité croissante en période d’incertitude. Cette contradiction apparente décrit avec justesse le contexte macroéconomique actuel. Comment cela est-il possible ?
Le fait que les marchés allaient être bouleversés par un désordre géopolitique accru était l’une de nos hypothèses clés en début d’année. Jusqu’à présent, il semble toutefois que les investisseurs s’accommodent des conflits armés en cours et des résultats des élections en Europe. A quelques semaines des élections américaines, la faible volatilité des marchés est surprenante. D’où vient cette sérénité ? Il est possible qu’elle soit liée au retour évoqué d’une certaine normalité dans l’économie.
Prévisions de croissance en hausse
Les taux d’inflation se rapprochent de plus en plus des valeurs visées par les banques centrales. Dans certaines économies, l’objectif d’inflation de la banque centrale a même été atteint, et n’est pas seulement à portée de main. De même, les anticipations d’inflation à long terme des investisseurs et des ménages sont à nouveau bien ancrées. Le risque d’une spirale salaires/prix semble avoir été écarté en Europe. Plus rien ne s’oppose donc à ce que l’on profite de cette normalisation et que l’on ramène également la politique monétaire dans la zone normale. D’ici là, la Banque centrale européenne (BCE) pourrait baisser ses taux d’intérêt d’environ 150 points de base en un an.
Cette deuxième normalisation soutient la troisième normalisation observée, qui va dans le bon sens : la baisse des coûts de financement soutient l’activité d’investissement des entreprises. L’enquête de la BCE auprès des banques commerciales indique que les banques n’ont plus durci leur politique de crédit. Outre l’environnement d’investissement, la hausse des salaires réels contribue également à l’amélioration conjoncturelle. Selon le Consensus Economics à Londres, les attentes des économistes concernant la croissance du PIB en France ont été revues à la hausse au cours des derniers mois : de 0,7 % au début de l’année à 0,9 % actuellement. Notre prévision de croissance du PIB de 1,0 % est encore un peu plus optimiste.
Et tant que nous y sommes, nous constatons une normalisation des conditions-cadres en de nombreux endroits. Dans notre scénario de base pour les trimestres à venir, nous anticipons également une normalisation dans un quatrième secteur : en effet, la courbe des taux a actuellement une forme anormale dans nombreux pays. On parle d’inversion de la courbe des taux, car les obligations à court terme offrent un rendement plus élevé que celles à moyen ou à très long terme. Avec la normalisation imminente de la politique monétaire, on peut s’attendre à ce que les taux d’intérêt du marché monétaire baissent dans la mesure de la réduction des taux directeurs : la courbe des taux se normalisera et les investisseurs qui s’engagent à long terme dans des titres à revenu fixe seront mieux récompensés de leur renoncement à la consommation dans le présent.
Choc de l’offre et choc de la demande
L’incertitude politique actuelle permet de dessiner un scénario de risque de choc de l’offre. Une telle évolution pourrait être la conséquence d’une extension de la crise au Proche-Orient ou le signe d’une attitude plus agressive de la Chine envers Taïwan. Elle entraînerait de nouveaux problèmes dans la chaîne d’approvisionnement et provoquerait une forte baisse de l’activité économique. Un tel scénario n’est pas pris en compte par les marchés. Mais il est dans la nature de tels événements que les marchés se réajustent lorsque les faits sont établis par les acteurs.
La situation est un peu différente pour un autre scénario de risque, celui d’un choc de la demande. Ce scénario devient réalité s’il s’avère que le resserrement de la politique monétaire est allé trop loin. Un grand nombre d’entreprises et de ménages ne peuvent plus refinancer leurs crédits qu’à des conditions insupportables et réduisent en conséquence leurs dépenses et leurs investissements ou cessent même leurs activités. Dans de telles circonstances, les banques durciraient leur politique d’octroi de crédits et le spectre d’une crise du crédit se répandrait sur les marchés. Une autre conséquence de ce scénario de risque serait une baisse significative des prix et une nouvelle inquiétude quant à une tendance déflationniste pour l’économie mondiale. Les banques centrales peuvent faire face à cette évolution non seulement en faisant passer la politique monétaire de l’état restrictif actuel à l’état neutre, mais aussi en la faisant revenir très rapidement à un état accommodant. Nous attribuons à ce scénario une probabilité de 20 % pour les prochains trimestres. Le chemin sans accident vers la normalité macroéconomique, décrit plus haut, nous semble plus probable.
Après cinq années de grande agitation dans l’économie mondiale, les marchés semblent aspirer à cette évolution.
Achevé de rédiger le 16 juillet