La Covid a bousculé le secteur financier et plongé le monde entier dans la crise économique. Après des mois de décélération, une dynamique de croissance s’est amorcée début 2021 avec la vaccination. Toutefois, des disparités entre pays émergents et industrialisés se révèlent.
Au printemps et à l’été 2020, le scénario de la crise financière a semblé se répéter : le monde développé s’enfonçait profondément dans la crise tandis que les pay s émergents, emmenés par la Chine, ne connaissaient qu’une chute brève et modérée et jouaient un rôle de locomotive dans la croissance mondiale. Ce tableau s’est fissuré dès fin 2020 : le recours massif et concordant aux politiques monétaire et fiscale en Europe et aux Etats-Unis a déplacé la dynamique de croissance vers les pays industrialisés, et la Chine a profité du retour rapide de son économie au niveau d’avant-crise pour durcir sa politique monétaire et fiscale.
-> Une divergence entre pays industrialisés et pays émergents
Depuis début 2021, cette divergence s ’ est fortement accentuée : après des mois de décélération, l’indice des directeurs d’achat (PMI) des pays émergents, principal indicateur de la conjoncture industrielle, est passé sous le seuil de croissance de 50 en août. Dans le même temps, le PMI a atteint de nouveaux sommets historiques pour les économies développées et n’a connu une légère correction qu’en août.
La faiblesse des pays émergents est principalement due à trois facteurs : premièrement, la progression de la vaccination nettement plus lente que dans les pays industrialisés, qui a nécessité de sévères restrictions pendant la vague du variant Delta, en particulier en Asie du Sud-Est.
Deuxièmement, les banques centrales de nombreux pays émergents n’ont pas pu se permettre d’ignorer la hausse de l’inflation et ont été contraintes de relever les taux d’intérêt malgré le fléchissement de la conjoncture. Au cours des prochains mois, nous tablons en outre sur une fermeté persistante du dollar américain, ce qui ne laisse guère de marge aux pays émergents en déficit de la balance des paiements courants pour baisser de nouveau les taux.
-> L’évolution de l’économie chinoise plus faible qu’anticipée
Troisièmement, l’économie chinoise a connu une évolution plus faible que prévu. Le très contagieux variant Delta met à rude épreuve la stratégie Covid des autorités chinoises, qui a longtemps fait figure de modèle mondial. Avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, les derniers pays industrialisés se distancient lentement de la stratégie de tolérance zéro vis-à-vis du Covid, tandis que la Chine s’y accroche fermement, annonçant le 23 août sa victoire (temporaire) sur le variant Delta – une victoire à la Pyrrhus face au ralentissement conjoncturel. Le dernier assaut réglementaire contre l’économie privée a fini d’y effrayer les investisseurs, les actions chinoises ayant essuyé de lourdes pertes et s’affichantlanterne rouge des principaux marchés d’actions régionaux depuis début 2021.
A court terme, des effets de rattrapage devraient améliorer la situation sur le front des chiffres conjoncturels chinois et des marchés des actions, mais à moyen terme, nous continuons de tabler sur une reprise asynchrone de l’économie mondiale comme scénario de référence : d’une part, un monde occidental dynamique, avec les Etats-Unis comme locomotive de la croissance, et d’autre part une reprise plutôt lente dans les pays émergents, où la pandémie entraînera encore longtemps un régime de stop-and-go. Ironiquement, ce scénario pourrait ne pas déplaire aux marchés financiers. Une reprise synchrone de l’économie mondiale aggraverait encore le déséquilibre mondial entre l’offre et la demande de biens, en provoquant une augmentation des risques inflationnistes. En revanche, la reprise asynchrone vient conforter les banques centrales dans leur opinion selon laquelle la récente hausse des prix des biens n’est que temporaire et les anticipations inflationnistes ne s’éloignent pas de leurs points d’ancrage. Les prochains mois seront décisifs pour savoir si les calculs des banques centrales occidentales se vérifieront comme nous l’attendons.
Damian Künzi, économiste, Swiss Life Asset Managers
Achevé de rédiger le 9 septembre