Institutionnaliser l’approche du non-coté

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Société de gestion spécialisée dans la sélection et la distribution de fonds d’actifs non cotés, Private Corner frôle d’ores et déjà les 600 millions d’euros d’encours, trois ans après sa création. Sa présidente et cofondatrice, Estelle Dolla, nous présente son modèle et ses ambitions.

Institutionnaliser lapproche du non cotéInvestissement Conseils : Pourriez-vous nous présenter votre société, Private Corner ?
Estelle Dolla : Private Corner est une société de gestion agréée le 5 novembre 2020 par l’AMF et qui a lancé son premier fonds en février 2021, un « feeder » du fonds Ardian Buyout Fund VII. La société a été cocréée avec Thomas Renaudin et Yves Caron, directeurs généraux, chacun ayant acquis une expérience de près de vingt ans en sociétés de gestion ou encore au sein de différentes sociétés d’audit ou de conseils de l’écosystème du Private Equity. Thomas et moi avons décidé de lancer notre propre société de gestion sous l’impulsion de la loi Pacte, car nous avions non seulement pu observer la volonté naissante des sociétés de gestion dites « tier one » d’adresser la clientèle privée mais aussi les besoins de la clientèle privée et de leurs conseils – CGP, banques privées ou family offices – de diversifier leurs allocations d’actifs en capital-investissement, en dehors des fonds de défiscalisation, et d’investir dans l’économie réelle. En effet, les patrimoines des Français restent encore sous-investis sur le non-coté puisque cela ne concerne que moins de 1 % du patrimoine, alors qu’aux Etats-Unis le Private Equity représente 20 %. Jusqu’alors, l’offre était pauvre en solution de qualité institutionnelle, aussi bien en termes de performances que de qualité de reporting, le tout en maîtrisant les coûts. Cette offre devait nécessairement être accessible de façon digitalisée, ce qui aujourd’hui est devenu un standard.
Nous avons souhaité nous positionner comme le trait d’union entre deux mondes qui ne se parlaient pas et avec la volonté d’institutionnaliser l’approche plutôt que de la démocratiser car notre offre ne s’adresse pas à tous les publics. Nos fonds sont en effet accessibles à partir de 100 000 euros, avec des appels de fonds sur quatre ou cinq ans, voire 30 000 euros pour les FPCI selon certaines conditions de l’article 423–49 du règlement général de l’AMF. Le ticket moyen s’élève à 185 000 euros. Nous nous adressons également à des institutionnels ou des corporates de deuxième ou troisième rang qui n’ont pas les ressources nécessaires pour souscrire directement pour des montants de 5 ou 10 millions d’euros.

Pourquoi décidez-vous de lancer une société de gestion et non pas une plate-forme ?
Notre volonté est d’avoir une approche la plus exigeante et la plus institutionnelle possible : de permettre aux clients finaux d’accéder à une approche haut de gamme et pérenne. En devenant société de gestion, nous sommes régulés, nous maîtrisons mieux nos risques et nos prix pour ne pas dégrader la performance, et nous pouvons garantir à nos investisseurs et partenaires un haut niveau d’information et une meilleure qualité de reporting. Cela nous permettait ainsi d’internaliser tout ce qui pouvait l’être et de pouvoir éviter toutes les failles que nous avions pu observer dans nos précédentes expériences respectives.

Quel type de solutions proposez-vous ?
Tout l’enjeu de notre mission est de bien sélectionner des fonds, lesquels permettent aux conseils et à leurs clients de se constituer progressivement un portefeuille en actifs non cotés. Pour cela, nous surveillons continuellement les fonds qui sont en cours de levée. Nous opérons uniquement sur des opérations de capital-développement et capital-transmission qui sont le socle du Private Equity, mais aussi sur des solutions en secondaire, en co-investissement, en infrastructures ou en dette privée. En revanche, nous restons à l’écart de l’immobilier, domaine dans lequel le marché de la gestion privée est déjà bien équipé. Cinq à sept fonds sont en permanence ouverts à la souscription, des briques pures à la fois diversifiées et complémentaires. En architecture ouverte – ce que nous faisons néanmoins sur notre activité de structuration et de gestion de fonds dédiés –, nous ne proposons pas de fonds de fonds pour laisser aux conseillers le choix de l’allocation et de la construction du portefeuille en parfaite adéquation avec les besoins, les attentes et le profil de risque de chacun de leurs clients.
La valeur ajoutée des conseillers entre alors en jeu dans la sélection des véhicules et l’allocation des portefeuilles de leurs clients. Cette approche permet également à nos partenaires de renforcer la relation qu’ils entretiennent avec leurs clients. Thomas et moi les accompagnons à cela quotidiennement. Nous avons récemment renforcé notre proximité avec eux, avec le recrutement, en juillet 2023, de Maxime Vanneaux en tant que directeur des relations partenaires.
Parallèlement à cela, nous structurons et gérons des fonds dédiés avec une approche totalement intégrée pour répondre aux besoins spécifiques d’un réseau de distribution ou encore d’une équipe de gestion dans une logique de boîte à outils technologiques et réglementaires permettant de rationaliser et de personnaliser son approche de la clientèle privée. En termes d’encours, cette activité représente près de 45 % de notre collecte à date.

Quelles solutions privilégiez-vous actuellement ?
Nous invitons systématiquement nos partenaires à d’abord s’orienter sur des stratégies très diversifiées (secondaire ou co-investissements) tant sur le plan sectoriel que géographique, au démarrage de la construction d’un portefeuille non coté pour leurs clients. Nous privilégions l’investissement dans des sociétés mid-caps, cela depuis notre création car il s’agit du segment de marché où le modèle de création de valeur est le plus étendu aussi bien par la croissance organique que des opérations de croissance externe. D’autant qu’une fois la stratégie mise en place et déployée par les entrepreneurs et les fonds, il reste encore beaucoup de candidats au rachat de l’entreprise, fonds ou industriels, ce qui permet de mieux maîtriser le risque de liquidité. Ensuite, les CGP peuvent y associer des stratégies satellites afin d’améliorer le couple risque-rendement du portefeuille, sur du Growth Equity ou encore sur des secteurs spécifiques tels que la santé, secteur essentiel qui résiste mieux en temps de crise et qui profite ensuite très bien de l’effet de reprise. A l’inverse, ils peuvent aussi réduire le niveau de risque global du portefeuille, par exemple avec des stratégies sur les infrastructures ou encore la dette privée.

Justement, vous proposez depuis peu un fonds géré par Antin, PC Feeder Antin Infrastructure V. Pourriez-vous nous le présenter ?
Tout à fait, il s’agit d’un feeder du fonds Antin Infrastructure V qui investit sur de l’infrastructure, des actifs essentiels qui offrent une bonne prédictivité des cash-flows, en fin de levée et déjà investi sur trois opérations en Allemagne, en Espagne et en Suède. Ce fonds d’une taille cible de 10 milliards d’euros opère dans des domaines où les barrières à l’entrée sont élevées, mais sur des actifs dont la taille permet de s’assurer leur sortie dans de bonnes conditions. Il vise en effet à investir dans dix à douze opérations de type Brownfield pour des tickets allant de 600 millions à 1 milliard d’euros. Quatre secteurs sont privilégiés : l’énergie et l’environnement, les infrastructures sociales, les infrastructures digitales et le transport, le tout à l’échelle mondiale. Nous visons ici un rendement de 15 % par an, ce qui correspond à une approche modérée et prudente au regard des performances passées, sur une durée de vie de dix ans, prorogeable deux fois un an. Au fur et à mesure de la vie du fonds, on peut considérer que la somme investie sera récupérée au bout de six à sept ans, les années suivantes correspondant à la plus-value.

Comptez-vous lancer un nouveau fonds prochainement ?
Nous proposerons sous peu, un fonds de dette privée. Nous avons sélectionné un gérant anglo-saxon de premier plan et qui s’ouvre pour la première fois à la clientèle privée en France.
Nous privilégions avec ce gérant une approche en dette mezzanine sur deux stratégies (mid cap et upper mid) avec un objectif de TRI cible annuel net investisseur d’environ 13 à 15 %. La dette mezzanine parce que dans le contexte macro-économique actuel c’est la stratégie de dettes qui nous semblait avoir le meilleur niveau d’équilibre rendement/risque/liquidité pour une clientèle privée patrimoniale.

Que change pour vous le règlement Eltif 2 ?
Ce qui ne change pas, c’est le besoin de « tuyauterie » chez les gérants pour adresser la clientèle privée. Nous suivons le sujet avec beaucoup d’intérêts. Cela nous ouvrira certainement des opportunités de développement à l’étranger, puisque l’un des avantages de ce label est de « passeporter » des gérants américains à l’échelle nationale et européenne.

Pour conclure, un mot sur vos chiffres ?
Notre équipe qui gère vingt-huit fonds compte désormais onze collaborateurs et a obtenu la confiance de plus de trois cents partenaires distributeurs. Malgré le cycle de marché difficile, nos encours progressent : 123 millions d’euros à l’issue de notre première année d’activité, 320 millions à fin 2022 et près de 600 millions à fin 2023, soit une croissance de + 87 % entre 2022 et 2023. Avec une telle croissance, nous considérons que notre objectif d’atteindre le milliard d’euros d’ici la fin de l’année 2024 est réalisable, ce alors qu’Armen, dirigée par Dominique Gaillard et Laurent Bénard, est entrée à notre capital en mai 2023. Cette opération va permettre ainsi d’accélérer notre développement, notamment en Europe, et facilitera également notre accès aux fonds de nouvelles sociétés de gestion de premier plan. Enfin, la fin d’année 2023 a aussi marqué une étape majeure pour nous, avec une collecte de 130 millions d’euros sur notre fonds exposé à la stratégie secondaire de Committed Advisors, soit plus du triple de la taille cible envisagée lors du démarrage de la levée au cours du deuxième trimestre 2022.