Vente d’entreprise : l’utilité patrimoniale de l’apport-cession

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Lorsqu’un chef d’entreprise souhaite céder son entreprise, il peut constater une plus-value de cession (ce qui correspond à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition). Cette plus-value de cession de titres, lorsqu’ils sont détenus en direct par le chef d’entreprise actionnaire, subira divers frottements fiscaux, à savoir :

-l’impôt sur le revenu:prélèvement forfaitaire unique (PFU) à 30 % (= 12,8% au titre de l’IR et 17,2 % au titre des prélèvements sociaux [PS]) sans CSG déductible ou sur option globale, application du barème progressif de l’impôt sur le revenu (0 à 45 %) avec CSG déductible à hauteur de 6,8 % (cf.tableau « Barème progressif de l’impôt 2021 sur les revenus 2020 »). Des abattements de 0 à 85 % pour durée de détention peuvent également s’appliquer sur l’assiette IR, uniquement pour les titres acquis avant le 1er janvier 2018. Les prélèvements sociaux à 17,2 % s’appliquent sur la totalité de la plus-value sans abattement;

-la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), applicable dès 250 000 € de revenus par an pour un célibataire et 500 000 € pour un couple, d’un montant de 3 à 4 % calculé sur l’assiette de plus-value réalisée en cas de dépassement des seuils d’assujettissements (cf.tableau « Barème de la CEHR »);

-si le chef d’entreprise souhaite ensuite transmettre tout ou partie du prix de cession net de fiscalité à son cercle familial restreint, notamment ses enfants, il devra payer des droits de donation (DMTG) sur la valeur de l’actif transmis (cf.tableau « Droits de donation/succession en ligne directe »), avec possibilité de bénéficier de l’abattement de 100 000 € tous les quinze ans en ligne directe et de l’abattement de 31 865 € pour le don familial de sommes d’argent (article 790 G du CGI).

Ainsi, en cas de cession de titres et de transmission de tout ou partie du prix de cession, ce n’est pas moins de quatre impôts (IR, PS, CEHR et DMTG) qui devront être payés par le cédant chef d’entreprise.

Mais attention, chaque cas est particulier et une estimation de la fiscalité à payer devra être réalisée en amont de la cession. Car l’application des abattements pour durée de détention peut permettre de réduire jusqu’à 85 % l’assiette taxable à l’IR pour les titres acquis avant le 1er janvier 2018, à l’exclusion de l’assiette des PS et de la CEHR. Et pour les titres acquis après 2018, malheureusement, les abattements pour durée de détention ne s’appliqueront pas et sont voués à disparaître (cf.tableau « Taxation dérogatoire à la Flat Tax des plus-values de cession de valeurs mobilières »). Par ailleurs, l’abattement fixe de 500 000 € pour les dirigeants cédant leurs titres pour cause de départ retraite n’est plus cumulable avec l’abattement de droit commun ou renforcé pour durée de détention. Là encore, il conviendra de réaliser des simulations fiscales afin de choisir la meilleure option fiscale. Bénéficier d’un abattement fixe de 500 000 €, puis être taxé à taux plein sur le reliquat, ou bénéficier d’un abattement renforcé pouvant aller jusqu’à 85 % sur la totalité de la plus-value si les titres sont détenus depuis plus de huit ans.

La durée de détention des titres joue dans l’imposition Entre IR avec CSG déductible et PFU plafonné sans CSG déductible, mon coeur balance ! Selon la durée de détention des titres, il peut être plus ou moins intéressant d’opter pour l’impôt sur le revenu global, avec CSG déductible, ou de se voir appliquer le PFU plafonné à 30 %, sans CSG déduite dans le cadre de la cession des titres détenus en direct.

L’option globale IR avec CSG déductible apparaît plus intéressante que le PFU pour les contribuables avec une TMI inférieure à 30 %, quelle que soit la durée de détention des titres (cf.tableau « Comparatif taux d’imposition IR/PFU »). Pour les contribuables dont la TMI est supérieure à 30 %, l’option IR reste intéressante fiscalement dès la première année en cas d’abattement renforcé (cession PME inférieure à dix ans ou départ retraite hors abattement fixe de 500 000 €), et dès la deuxième année en cas d’application de l’abattement de droit commun. Mais dès que l’on passe à une TMI supérieure à 41 %, l’option IR n’est intéressante qu’à partir de la huitième année de détention pour l’abattement de droit commun (65 %), et à partir de la quatrième année pour l’abattement renforcé (65 % et 85 %). Dans les autres cas, le PFU sera à privilégier.

Donc plus votre TMI est élevée, plus la durée de détention des titres à céder devra être longue pour choisir l’option IR globale avec CSG déductible dans le cadre de la cession de vos titres. Dans le cas inverse, il faudra privilégier le PFU. Pour atténuer ces frottements fiscaux, le chef d’entreprise va cependant pouvoir utiliser le schéma d’apport-cession créé par la troisième loi de finances rectificative de 2012, et bénéficier soit d’un report d’imposition en cas d’apport à une société contrôlée (holding), soit un sursis (opération intercalaire sans impact), dans le cas contraire, sur la plus-value constatée qui aura été encapsulée dans la société holding.

L’apport cession de l’article 150 0 B ter du CGI Première étape:l’opération d’apport de titres à la société holding Avant de céder les titres détenus en direct, le chef d’entreprise va les apporter (opération d’apport) à une société holding. De sorte que, post-apport, le chef d’entreprise détiendra les titres de la société opérationnelle initiale via une société interposée (holding).

Cet apport de titres à une société contrôlée par l’apporteur, dont il détient la majorité des droits de vote et financiers (33,33 %(1)), permet de bénéficier d’un report d’imposition sur la plus-value constatée (art. 150–0 B ter).

Le report d’imposition permet de cristalliser cette plus-value d’apport, ainsi que l’impôt dû, un apport de titres ayant le même effet fiscal qu’une cession. L’assiette d’imposition ainsi cristallisée sera taxée selon le régime d’imposition en vigueur (taux historique) au moment de l’apport( 2) (IR, PS, CEHR), seul le paiement étant décalé dans le temps. Si les titres reçus en échanges perdent de la valeur entre le moment de l’apport et le moment de la cession, la moins-value constatée pourra se compenser avec la plus-value figée lors de l’apport des titres(3).

De même, si le régime d’imposition est modifié après la date d’apport, par l’introduction, par exemple, d’une exonération, d’un abattement ou d’une hausse du barème IR, la plus-value et l’impôt figés lors de l’échange de titres restent taxables et ne bénéficient pas des nouvelles dispositions plus ou moins favorables. En cas d’apport à une société non contrôlée, la plus-value ne sera pas placée en report d’imposition, mais en sursis d’imposition. Comme pour le report, le contribuable ne paiera pas de fiscalité immédiatement. Ce n’est qu’au moment de la cession des titres apportés que la fiscalité sera due. La différence entre le sursis et le report d’imposition réside dans le fait que dans le cadre du sursis, aucune plus-value n’est cristallisée, de sorte que cette plus-value d’apport pourra être compensée avec des moins-values futures lors de la cession des titres.

A noter : Dans le cadre d’une cession d’entreprise avec report d’imposition, la moins-value constatée pourra se compenser avec les plus-values futures(4).

Deuxième étape:la cession des titres apportés par la société holding Après avoir apporté les titres à la société holding, celle-ci va procéder à leur cession à un repreneur. De la date de cession des titres par la société holding dépendra les conséquences sur la plus-value placée en report d’imposition. Si les titres sont vendus par la société holding moins de trois ans après l’opération d’apport, la société holding aura l’obligation de réinvestir au moins 60 % (50 % s’agissant des cessions intervenues avant le 1er janvier 2019) du produit de cession dans une nouvelle activité « économique », et ce dans un délai de deux ans à compter de la cession. A défaut, le report d’imposition tombera et la fiscalité due sur la plus-value placée en report, sera exigible.

Si les titres sont vendus par la société holding plus de trois ans après l’opération d’apport, aucune obligation de remploi ne sera appliquée. La plus-value de cession remontera alors au sein de la société holding (cash-box) qui pourra l’utiliser comme elle le souhaite (investissement, sortie en dividendes…). Pour ne pas être soumis à une obligation de remploi, il faut donc disposer d’au moins trois années devant soi. A défaut, en cas de cession avant le délai de trois ans, 60 % du prix de vente devront être réinvestis dans une nouvelle activité économique.

Si les titres prennent de la valeur entre la date d’apport et la date de la cession des titres apportés, alors la société holding devra payer de la plus-value sur cet accroissement de valeur.

A l’inverse, si la cession suit immédiatement l’opération d’apport, aucune nouvelle plus-value ne sera constatée puisque la valeur d’apport des titres sera égale à la valeur de cession.

Ce qu’il faut retenir:le report d’imposition cristallise tant la plus-value d’apport que l’impôt lui-même, la règle de taxation étant celle en vigueur à la date de l’apport (taux historique) en matière d’IR, de PS et de CEHR. Le sursis d’imposition est une opération blanche dite intercalaire qui ne fige ni la plus-value d’apport, ni les taux (IR, PS, etc.).

Troisième étape:l’opération de remploi du produit de cession par la société holding Le réinvestissement des 60 % pourra être réalisé soit lors d’une création d’entreprise, soit lors d’une augmentation de capital, dans une nouvelle activité « économique »dite ICAAL (industrielle, commerciale, artisanale, agricole, libérale) ou financière à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier. Les titres acquis devront alors être conservés au minimum douze mois( 5) décomptés depuis la date de leur inscription à l’actif social de la société. Le solde, à savoir 40 %, peut être librement placé au sein de la société holding (dans des contrats de capitalisation, par exemple), ou distribué sous forme de dividendes.

Le réinvestissement dans une activité de location meublée, y compris en location meublée professionnelle, ne permet pas de remplir cette obligation de remploi puisqu’il s’agit d’une activité civile. Par contre, le réinvestissement dans une activité de marchand de biens ou de promotion-construction est éligible au remploi. En l’absence de remploi dans les vingtquatre mois de la cession (sauf réinvestissement en FCPR, etc.), le report fiscal est alors annulé et l’imposition sur la plus-value devient automatiquement exigible. D’où la nécessité de constituer la holding trois ans en amont de l’opération de cession pour être totalement libre dans les opérations de réemploi du prix de cession et ne pas être contraint par ces 60 %.

Ce qu’il faut retenir:le report d’imposition sera définitivement acquis:-si les titres objet de l’apport sont conservés au moins trois ans avec la cession envisagée par la holding; -ou si au moins 60 % du produit de cession est réinvesti dans une nouvelle activité « économique »dans les deux ans de la cession si les titres sont vendus dans les trois années suivant l’apport.

L’univers du réinvestissement Solution 1:investir dans une nouvelle activité économique à créer L’entrepreneur peut décider de réemployer sa plus-value dans une nouvelle activité ICAAL ou financière.

Solution 2:investir dans des titres externes L’entrepreneur peut décider d’acheter des titres d’autres sociétés éligibles IS au remploi (activité ICAAL ou financière) dans le cadre d’une augmentation de capital par exemple, sociétés dans lesquelles il devra avoir le contrôle, notamment les droits de vote majoritaire, pour rendre l’investissement éligible au remploi.

Solution 3:investir dans du Private Equity L’entrepreneur peut également investir dans des fonds spécialisés dans l’investissement de PME éligibles. Il en existe quatre sortes:le FCPR (fonds communs de placement à risques), le FCPI (fonds communs de placement dans l’innovation), la SLP (société de libre partenariat) et la SCR (société de capital-risque) En cas d’investissement dans ces fonds, il n’est alors pas nécessaire de libérer les fonds dans les deux ans de la cession des titres intervenue moins de trois années après l’opération d’apport à la société holding.

Depuis 2020, il est possible de s’engager à verser les sommes à un FCPR par exemple, dans les cinq ans selon l’appel des fonds réalisé par le fond spécialisé. Le délai initial de deux ans pour réinvestir peut donc être allongé de cinq ans, pour ramener le délai de réinvestissement à sept ans maximum. En contrepar- tie, les titres doivent être conservés cinq ans à compter de leur date d’acquisition, décomptés depuis la date de leur souscription, par la société cédante (6).

La fin du report d’imposition Le report d’imposition prend fin en cas de:-cession, rachat, remboursement ou annulation par l’apporteur des titres de la holding reçus en échange de l’apport; -cession par la holding des titres apportés avant trois ans sans réinvestir au moins 60 % du produit de cession dans une activité ou une entreprise éligible; -transfert du domicile fiscal hors de France.

Purger définitivement l’impôt de plus-value Mettre en report ou sursis d’imposition la plus-value d’apport, c’est bien. La purger, c’est mieux. La fiscalité sur la plus-value constatée devra être, tôt ou tard, acquittée par le chef d’entreprise actionnaire lorsque le report tombera, notamment lors de la cession des titres de la société holding.

Pour éluder définitivement l’imposition de la plus-value placée en report ou en sursis d’imposition, l’entrepreneur actionnaire peut réaliser une opération de donation de tout ou partie de ces titres. Le paiement des DMTG dans le cadre de la donation viendra alors purger( 7) définitivement l’imposition de la plus-value placée en report/sursis d’imposition à hauteur des titres donnés. Le donataire devra attendre désormais cinq ans( 8) (et non plus dix-huit mois) pour céder les titres reçus et éviter la remise en cause de l’avantage fiscal pour les donations intervenues après le 1er janvier 2021, et dix ans en cas de réinvestissements indirects (FCPR, FCPI…).

Lors de la cession des titres par le donataire, seule la plus-value générée entre la date de la donation et celle de la cession (après respect du délai de conservation précité cinq-dix ans) subira une fiscalité. L’entrepreneur aura alors réussi à transmettre tout ou partie de son patrimoine et ne payer qu’un seul impôt (DMTG) au lieu de quatre (IR, PS, CEHR et DMTG) sur la plus-value placée en report/sursis d’imposition. Mieux encore, si les droits de donation doivent être en principe payés par le donataire, une tolérance de l’administration fiscale permet que ceux-ci soient pris en charge par le donateur sans que celle-ci ne soit regardée comme une nouvelle donation. Et pour aller encore plus loin dans le schéma patrimonial, il est possible de recourir au pacte Dutreil qui permet, dans le cadre de la donation, et sous certaines conditions, de bénéficier d’un abattement de 75 % sur l’assiette des titres donnés (article 787 B et C du CGI), et de 50 % sur le surplus en cas de donation en pleine propriété sous réserve que le donateur ait moins de 70 ans au jour de la donation.

Ce qu’il faut retenir : la donation avant cession permet de remplacer quatre impôts (IR, PS, CEHR et DMTG) par un seul (DMTG).

Une stratégie mûrement réfléchie Une cession d’entreprise, ça se prépare:au minium trois ans en avance pour un schéma d’apport cession, six ans dans le cadre d’un pacte Dutreil.

La cession ultérieure, après un délai de trois ans, des titres de la société ayant fait l’objet de l’apport à holding permettra de conserver le report d’imposition au sein de la société holding et d’y faire remonter la plus-value de cession lors de la vente des titres de la société opérationnelle en toute exonération fiscale en l’absence d’évolution de la valeur des titres apportée. Le prix de cession pourra alors être replacé via la société holding (contrat de capitalisation par exemple) ou distribué. Le paramétrage fin et au bon moment de l’actionnariat de la société holding avant la cession pourra également permettre de transmettre une partie de la plus-value, présente et future, aux nouveaux actionnaires, notamment au cercle familial restreint, et de purger tout ou partie de la plus-value mise en report (donation avant cession).

Enfin, des opérations de donations démembrées avec notamment mise en place d’un quasi-usufruit sur le prix de cession des titres pourront également être envisagées:transmettre l’avoir, mais conserver le pouvoir.

Benoît Berchebru, directeur de l’ingénierie patrimoniale de Nortia

1. Art. 150–0 B ter III 2°.

2. BOI-RPPM-PVBMI-30–10–60–20 n° 120. 3. BOI-RPPM-PVBMI-20–10–40 n° 120. 4. BOI-RPPM-PVBMI-20–10–40 point 120. 5. BOI-RPPM-PVBMI-30–10–60–20 § 270. 6. BOI-RPPM-PVBMI-30–10–60–20 § 270. 7. BOI-RPPM-PVBMI-30–10–60–30 § 120. 8. Article 106 de la loi n° 2019–1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

L’abattement fixe de 500 000 € pour les dirigeants cédant leurs titres pour cause de départ retraite n’est plus cumulable avec l’abattement de droit commun ou renforcé pour durée de détention. Là encore, il conviendra de réaliser des simulations fiscales afin de choisir la meilleure option fiscale. En cas d’apport à une société non contrôlée, la plus-value ne sera pas placée en report d’imposition, mais en sursis d’imposition. Comme pour le report, le contribuable ne paiera pas de fiscalité immédiatement. Ce n’est qu’au moment de la cession des titres apportés que la fiscalité sera due.

 

 

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