La réponse des pays occidentaux face à l’incursion des troupes russes en Ukraine a été rapide et massive. Cela a surpris les observateurs, probablement russes compris. Plus que le renforcement d’une certaine unité européenne qui doit être saluée, c’est la redoutable efficacité américaine qui s’opère. La Russie financière est ainsi rayée de la carte. Quid de la Russie économique ? Les conséquences d’un embargo sur les matières premières russes risquent d’être terribles. Les Banques centrales seront encore au centre du jeu pour les marchés financiers…
A lors que le monde sort progressivement de la crise sanitaire, un nouveau problème non économique et financier de taille nous percute:une guerre en Ukraine avec des conséquences impossibles à pré- voir à court terme. Si cette crise semble créer un nouvel élan de solidarité dans le monde occidental et particulièrement en Europe (comme lors de la crise de la Covid-19 avec l’accord sur le plan de relance et son financement par une dette au nom de la Commission européenne), l’issue de ce conflit est potentiellement très dangereuse et peut entraîner des répercussions économiques importantes. Les actifs financiers russes sont interdits aux investisseurs des pays occidentaux et ont été sortis des principaux indices obligataires et actions. La décision éventuelle d’un embargo sur la principale ressource financière de la Russie, les exportations de matières premières, entraînerait des conséquences économiques très négatives. La Russie est en effet un pourvoyeur essentiel d’énergie, surtout pour l’Europe, mais également de métaux, dont les métaux essentiels pour les batteries et la transition énergétique, et aussi agricole:la Russie est le premier exportateur de blé…
Inflation et récession
C’est le premier dilemme à court terme pour les Banques centrales. L’envolée des matières premières annonce un scénario d’inflation et de récession.
D’une part, l’accélération de la hausse des prix de l’énergie et de certaines matières premières agricoles consécutive au conflit et, d’autre part, l’impact psychologique d’une guerre en Europe peut peser lourdement sur la confiance des consommateurs et des entreprises. La prochaine étape importante sera la réunion de la Fed des 16 et 17 mars. Une hausse de seulement vingt-cinq points de base est probable.
Ensuite, les anticipations initiales de six à sept relèvements de vingt-cinq points de base des Fed Funds semblent caduques. Les taux pourraient de ce fait se stabiliser à leurs faibles niveaux actuels, nonobstant le niveau d’inflation élevée.
A plus long terme, les Banques centrales n’ont pas d’autre choix que d’accompagner les Etats dans les immenses enjeux auxquels ils vont devoir faire face.
L’actualité géopolitique récente nous le rappelle:la gouvernance mondiale est défaillante et les tensions sont exacerbées. La « guerre froide »entre la Chine et les Etats-Unis a dominé l’actualité de ce point de vue ces dernières années. L’attaque de la Russie sur l’Ukraine en est une autre illustration. Les conséquences sont claires:dans ce monde instable, les budgets militaires vont progresser. L’Allemagne vient d’annoncer qu’elle va consacrer désormais 2 % de son PIB à la défense et nous pensons que c’est un mouvement de fond qui sera suivi. Après plusieurs décennies de stabilité et de paix, beaucoup de pays prennent conscience de la matérialité des dangers et constatent les retards pris en matière d’investissements militaires. Dans le même ordre d’idée, ces tensions géopolitiques, et aussi la crise de la Covid-19, induisent une réflexion sur l’organisation des chaînes de production. Produire là où c’est le moins cher et le plus efficace dans un monde intégré commercialement et libre de barrières douanières est un concept qui semble désormais dépassé:pour des raisons de sécurité d’approvisionnement, mais aussi écologiques d’empreinte carbone. La modification de ces circuits logistiques nécessitera de nombreux investissements, privés et publics.
Les enjeux climatiques ont également fait l’objet d’une prise de conscience croissante ces deux dernières années, de la part des consommateurs comme des entreprises. Cela est très positif et montre que la route vers une trajectoire 1,5 ou 2,0 degrés ne sera pas linéaire, mais probablement exponentielle, ce qui laisse beaucoup d’espoir.
Mais cette route sera obligatoirement coûteuse:elle conduira à détruire du capital de production d’énergie carbonée pour en construire une autre, décarbonée, mais qui en fin de compte aura la même capacité.
Pas de politiques d’austérité à court terme
Enfin, les enjeux sociétaux figurent également parmi les plus importants. L’envolée du prix des actifs financiers et surtout de l’immobilier, est très mal ressentie par les populations en cette période de sortie de crise. Certes, le chômage baisse, mais l’accessibilité à une vie « confortable »paraît hors de portée pour de trop nombreux ménages, provoquant des mouvements de mécontentement dans de nombreux pays. C’est notamment en partant de ce constat que les autorités chinoises ont lancé le projet de « la prospérité commune ».
En résumé, il est clair que les Etats n’imposeront pas de politiques d’austérité à court terme. Les Banques centrales seront donc au coeur de ces enjeux. Dans une telle situation, nous avons le sentiment qu’elles seront plus accommodantes sur le long terme que ce qui est actuellement attendu en matière de normalisation monétaire. En conséquence, les rendements obligataires gouvernementaux dix ans des pays les plus sûrs, Etats-Unis et Allemagne, pourraient rester assez bas et se stabiliser respectivement sous le seuil de 2 % et autour de 0,25 % au cours des prochains mois, et au-delà, rester bas pour longtemps. Concernant les actions, les cours atteints par les principaux indices nous semblent redevenus potentiellement achetables dans une optique de moyen terme, même la volatilité devrait rester assez élevée à court terme:les valorisations ont bien baissé après une chute de 25 % des principaux indices européens et déjà intégré une réduction des bénéfices des entreprises.
Mais nous ne sommes pas dans une situation « normale »:la situation géopolitique devrait maintenir une prime de risque assez élevée sur les marchés à court terme, la guerre en Ukraine pouvant évoluer dans un sens ou dans l’autre très rapidement sans que l’on sache très bien pourquoi.
L’analyse des fondamentaux économiques devient dans ce type de cas de figure malheureusement secondaire par rapport aux décisions politiques difficiles à maîtriser.
Dans ce contexte, nous maintenons une appréciation fondamentale « neutre »sur les actions.