Racheté à 55 % par Nexity en 2016, le groupe Edouard Denis s’est imposé comme une filiale dotée d’un puissant ancrage territorial et d’une production essentiellement centrée sur le logement collectif, tout en se diversifiant sur des marchés plus spécifiques des résidences gérées ou des résidences secondaires. Entretien avec Arnaud Boquet, directeur général du groupe Edouard Denis.
Investissement Conseils : Qu’est-ce que vous a apporté le rapprochement avec Nexity ?
Arnaud Boquet : D’abord, une forte accélération de nos implantations. En 2016, nous ne comptions que quatre à cinq bureaux répartis sur la France, tandis que nous en possédons vingt-deux aujourd’hui, de Bayonne à Strasbourg et de Rennes à Nice, en passant par La Rochelle, Lyon ou Annecy.
Ces implantations, de tailles variées – de cinq salariés pour nos plus petites agences à quatre-vingt pour nos structures régionales – nous permettent d’avoir un maillage complet du territoire. Ainsi, l’ambition que nous nous étions fixée lors du rapprochement avec Nexity s’est concrétisée : nous enregistrons une croissance forte depuis cinq ans, tout en étant complémentaire avec les activités résidentielles du groupe grâce à notre ancrage régional et à la taille, moyenne, de nos opérations, sur des secteurs secondaires.
Votre particularité sur le marché ?
Comme de nombreux promoteurs, notre production est essentiellement orientée vers le logement collectif dans les zones tendues éligibles aux dispositifs fiscaux de type Pinel et à l’accession à la propriété, à l’exception des programmes de logements en bord de mer que nous avons développés, en cohérence avec l’histoire du groupe Edouard Denis, sur la Côte d’Opale, notamment au Touquet. Cette production reste marginale en volume, mais elle nous permet de maintenir une curiosité sur d’autres marchés et des produits différents, comme les résidences secondaires, auxquels peu de promoteurs s’intéressent. Ces produits ont aussi contribué à la croissance du groupe. En outre, nous possédons une forte expertise sur les résidences gérées pour étudiants ou pour seniors et sur le coliving, marché sur lequel nos équipes et celles de Nexity ont mutualisé leurs outils et savoir-faire. Nos agences mènent actuellement une vingtaine d’opérations de ce type sur l’ensemble du territoire. Enfin, pour terminer, nous développons également des opérations en monuments historiques, comme prochainement à Saleux, à côté d’Amiens.
Quel accueil recevez-vous des communes pour ce type d’actifs ?
Il faut savoir convaincre les élus de l’intérêt de construire ces résidences ! Il existe quelques freins dans certaines communes, notamment à l’implantation de nouvelles résidences étudiantes, surtout lorsque le secteur en compte déjà plusieurs. En revanche, les résidences seniors sont très demandées, car elles répondent à un enjeu sociétal.
C’est un peu la même chose pour le coliving dont les modèlent tendent vers une mixité d’usages, logeant aussi bien des étudiants que des jeunes actifs, ou encore des professionnels en mobilité ou des salariés qui viennent d’emménager dans une région et qui ont besoin d’un lieu de vie pour quelques mois. Ces résidences ont l’avantage d’être aussi des lieux d’échanges, bénéficiant de larges parties communes et d’espaces de coworking qui les ouvrent à une clientèle d’affaires. En outre, elles sont de plus en plus tournées vers l’extérieur, avec des espaces de restaurations ouverts au public. Ces résidences intéressent particulièrement les investisseurs institutionnels qui reviennent activement sur le marché du résidentiel.
Quelles sont les contraintes du marché de l’immobilier neuf ?
La rareté du foncier, bien sûr, mais également la hausse des charges et les rallongements de délais pour obtenir les permis de construire. Chaque dossier est toujours plus long et laborieux à monter, il faut souvent décaler le planning de l’opération. Les évolutions normatives, qui découlent de la loi climat et résilience, auxquelles s’ajoutent les conséquences de la guerre en Ukraine sur le coût des matières premières, ne sont pas favorables au modèle économique de la promotion. D’autant que le groupe Edouard Denis a fait le choix d’intégrer l’ensemble des règles environnementales et d’opter pour un label bâtiment bas carbone (BBCA) depuis deux ans. Les premières opérations labellisées seront d’ailleurs bientôt livrées.
Quels sont les postes de coûts les plus impactés par ces hausses de prix ?
D’une façon globale, l’aluminium et l’acier sont les matériaux qui ont le plus flambé, impactant la menuiserie et le gros-oeuvre. Ces hausses entraînent une inflation significative de 3 à 5 % des coûts de construction qui varient, toutefois, selon les régions. Celles qui ne disposent pas d’outil industriel sont les plus touchées par la pénurie de matériaux et de main-d’oeuvre car le bâtiment est un marché très local. L’augmentation des coûts de construction est un vrai sujet pour nos métiers car le prix de revient augmente et contribue à revoir à la hausse le prix final des logements neufs, alors que nous devons rester en phase avec la réalité du marché et des clients confrontés, eux aussi, à l’inflation. Cette situation va nécessairement créer de l’attentisme au deuxième semestre. La hausse des prix du neuf signifie une baisse des rendements pour les investisseurs qui pourraient, à terme, être tentés d’arbitrer en faveur de produits financiers plus intéressants que la pierre.
Comment maintenir un modèle économique viable dans un tel climat ?
En tant que promoteur, nous aidons les entreprises du bâtiment à passer cette période complexe en acceptant la hausse des coûts de production et en rognant sur nos marges afin de garder des cycles de production normaux, avec une logique de volume. Mais certains projets sont plus difficiles que d’autres, et nous devons parfois arbitrer et mettre en veille les opérations les plus contraignantes. D’autres demandent davantage de temps de conception pour optimiser la construction, voir où les économies sont possibles et comment affiner la copie. Sur ces projets plus chronophages, nous réalisons moins de marge. Par ailleurs, il est des métropoles où la vague verte a freiné les nouveaux projets de construction. Nous continuons d’essayer de les convaincre de l’intérêt de nos projets, mais nous cherchons aussi ailleurs, sur d’autres secteurs souvent oubliés des promoteurs, qui nous ont apporté de bonnes surprises, comme c’est le cas à Vallet, en Loire-Atlantique. Des contraintes sont nées des opportunités:la crise nous conduit à être plus imaginatifs.
Le Pinel+ va-t-il faire évoluer le parc immobilier ?
Je suis réservé sur le sujet car je ne suis pas certain qu’il y aurait une forte production positionnée sur ce nouveau dispositif. Nous avons lancé quelques opérations en Pinel+ pour disposer d’une offre de produits éligibles l’an prochain. Nous allons expérimenter le terrain pour voir si le marché prend. Chaque agence proposera une ou deux opérations en Pinel+. Néanmoins, je pense que cet outil ne répond pas au besoin du client qui se trouve aujourd’hui dans une problématique réelle de financement. Avec la hausse des taux d’intérêt, il est déjà difficile pour les primo-accédants d’acheter dans le neuf. Ajouter cinq mètres carrés de surface aux T2 relève, à n’en pas douter, d’un idéal, mais dans les faits, cela ne fait qu’augmenter le prix des logements. Cette loi est doublement dommageable pour les investisseurs qui vont voir leurs rendements baisser. Les 21 % de défiscalisation ne couvriront pas le surcoût à l’achat dû au 10 à 15 % de surface supplémentaires…
Quels sont vos objectifs pour cette fin d’année ?
Nous prévoyons de lancer une centaine d’opérations, d’ici décembre, dont soixante ont déjà eu lieu depuis janvier. Sur le dernier quadrimestre, nous avons lancé trente à quarante produits dans toutes les catégories et toutes les régions, ajoutés d’une dizaine de résidences gérées. D’ici la fin de l’année, nous savons que le marché de l’immobilier connaîtra des ajustements. Face à cette vague d’incertitude, nous revenons à nos fondamentaux, sur le commerce. De plus, nous prévoyons de mettre en place beaucoup d’actions envers nos partenaires CGP et mandataires. Nous allons, notamment, lancer un challenge dès septembre, avec un objectif de volume de ventes à atteindre à la fin décembre et des dotations pour motiver tout le monde. Les plus performants seront récompensés.
Propos recueillis par Eugénie Deloire