La crise devait stopper net leur envolée. Pourtant les prix poursuivent leur progression, en particulier dans les villes moyennes qui semblent rattraper leur retard. Tous les indicateurs le disent:pas de retournement en vue, même si la hausse pourrait ralentir… Rien ne semble arrêter leur course folle… Les prix de l’immobilier résiden- tiel suivaient déjà une tendance à la hausse un peu partout en France avant la pandémie, flambant même en certains lieux, notamment dans les grandes villes. Mais, après de brefs ralentissements en 2020, ils s’envolent de nouveau ! « Certes le marché a subi un coup d’arrêt lors du premier confinement, et dans une moindre mesure des suivants. Mais nous avons retrouvé des volumes de transaction extrêmement élevés », constate Thomas Grjebine, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII).
A fin mars 2021, 1 080 000 logements anciens avaient été vendus sur les douze derniers mois (+ 4 % sur un an), un record absolu, sachant que ce chiffre intègre plusieurs mois d’arrêt d’activité en 2020(1). Ce volume devrait encore s’apprécier en 2021. Et s’ils avaient paru marquer le pas l’an dernier au point que certains entrevoyaient déjà un retour- nement du marché, les prix ont en réalité poursuivi leur progression. Ainsi, entre le quatrième trimestre 2019 et le quatrième trimestre 2020, le prix des logements anciens a augmenté de + 6,4 %( 2) en France métropolitaine. Et ils repartent de plus belle depuis le mois de mars 2021. A fin mai 2021, le prix d’un appartement en France métropolitaine progresse de + 3,2 % sur un an et celui d’une maison de + 6,3 % par rapport à sa valeur en mai 2020. Entre début mars et fin mai 2021, le prix moyen d’un appartement s’est apprécié de + 0,4 %, celui d’une maison de + 2,1 %(2).
« Non seulement les prix de l’immobilier résidentiel ne baissent pas, mais ils continuent de monter, confirme Séverine Amate, directrice des relations médias et publiques du groupe SeLoger. A fin mai, les prix en France enregistrent encore une hausse globale de + 5,8 points sur un an [selon le baromètre LPI-SeLoger], soit un niveau moyen de 3 655 €/m2. Ceux qui anticipent une baisse de prix – soit 30 % des vendeurs que nous avons interrogés – se trompent ! » Forte hausse, mais hétérogène La hausse est générale, mais hétérogène.
« A Paris intra-muros, les prix ont marqué une pause dès le troisième trimestre 2020, et le ralentissement semble se confirmer selon l’indicateur avancé des avant-contrats:le prix des appartements anciens amorcerait dès lors un mouvement baissier, passant de 10 850 €/m2, en novembre 2020, à 10 600 €/m2, en avril 2021 », détaille la note de conjoncture pour avril des Notaires de France(2). « De décembre 2020 à fin mars 2021, le prix moyen parisien aura diminué de 1,3 %. Il reste stable depuis et atterrit à 10 690 €/m2 en juin 2021. A cette date, son évolution annuelle n’est plus que de +0,2 % (contre +5,4 % en décembre 2020) », ajoute une note de conjoncture rédigée par Ikory(1).
La petite et la grande couronne pourraient voir l’ascension des prix freiner dans les mois à venir, même si leur croissance y est encore soutenue. D’avril 2020 à mars 2021, 169 732 ventes ont été réalisées, en retrait de seulement 1,7 % par rapport aux douze mois précédents(1).
A fin mai 2021, le prix moyen d’un appartement en Ile-de-France progresse de + 2,3 % sur un an (après + 4,3 % à fin février 2021), celui d’une maison de + 4,4 % (+ 6,7 % à fin février 2021)(1). « En petite couronne, les transactions s’opèrent encore aujourd’hui sans négociation, constate Gautier Allard, directeur général de ClubFunding. Le marché y est porté par la recherche d’espace, de verdure. »En province, les prix restent sur leur tendance haussière. Ils continuent de s’élever pour les appartements des grandes villes, tout comme pour les maisons des grandes agglomérations. « Les agglomérations de Montpellier, Marseille-Aix-en-Provence et Pau augmentent respectivement de 9 %, 7 % et 6 % au quatrième trimestre 2020, après de légères baisses constatées un trimestre plus tôt. Saint-Etienne, lanterne rouge du classement, bondit même de 14 % sur le dernier trimestre 2020. »(2) La hausse annuelle du prix des appartements en province s’apaiserait cependant, à + 3,2 % fin mai 2021, contre + 6,3 % à fin 2020, avec de vraies disparités selon la ville, puisque Bordeaux chuterait fortement à fin mai (-5 %), tandis que Rennes stagnerait et que Toulouse, Montpellier, Caen, Rouen ou Grenoble poursuivraient leur progression(2). Mais dans 75 % des villes de plus de 100 000 habitants, la hausse des prix des appartements anciens est toujours d’au moins 5 % sur un an (65 % des villes de plus de 50 000 habitants):elle est même d’au moins 10 % dans 30 % des grandes villes, selon le baromètre LPI-SeLoger(3). Ainsi, entre mai 2020 .
et mai 2021, les prix des appartements dans l’ancien ont augmenté de +16,3 % à Angers, +16,1 % à Metz ou encore +17 % à Poitiers(3), par exemple. Parmi les villes où la hausse des prix dépasse les 10 % figurent aussi beaucoup de villes moyennes où les prix restent inférieurs à 2 000 €/m2. C’est le cas de Cholet, Montauban, Evreux, Saint-Quentin, Troyes… Quant aux maisons en province, la hausse annuelle des prix y demeurerait forte (+ 6,3 % fin mai 2021, contre + 6,5 % fin 2020), bien qu’une nette décélération apparaisse dans les agglomérations de Lyon et du Havre(2).
Une anomalie de marché Nous sommes donc loin du krach annoncé. « Ce que l’on observe est exceptionnel, affirme Thomas Grjebine. Dans le passé, les crises ont toujours provoqué des baisses de prix. Ils ont par exemple subi une très forte correction entre 2007 et 2009, avec une chute de 30 % à New York. Cette fois-ci, non seulement ils ne baissent pas, mais ils continuent de monter, que ce soit aux Etats-Unis, en France, ou plus largement dans les pays de l’OCDE, avec même par endroits des hausses à deux chiffres ! Malgré un PIB en chute libre l’an dernier, la confiance demeure. C’est une situation parfaitement anormale, en particulier dans le cadre d’une crise annoncée comme majeure. Cette progression des prix n’avait pas été anticipée par les économistes. » Soutien des Etats et de la BCE Première explication à cette résilience du marché immobilier résidentiel:le soutien massif des Etats à leurs économies depuis le début de la crise. « Les gouvernements ont rapidement mis en place d’ambitieux plans d’aides dans les pays les plus avancés, évitant ainsi un déferlement de faillites et la montée du chômage », observe Thomas Grjebine. Cette politique a également favorisé l’épargne des ménages, bien que le différentiel entre les plus riches et les plus pauvres se soit accentué sur la période.
Selon les calculs et prévisions de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)(2), l’épargne-Covid des ménages, c’est-à-dire l’épargne additionnelle accumulée du fait de la crise, hors épargne de précaution, sur 2020 et 2021, représentera environ 160 milliards, soit plus de dix points de leur revenu annuel. « Cette abondance de liquidités à l’échelle mondiale permet à toute une partie de la population d’investir et se répercute sur le marché immobilier », analyse Thomas Grjebine. La politique des banques centrales entretient, elle aussi, la hausse des prix immobiliers. En maintenant les taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas depuis plusieurs années (1,07 % en avril toutes durées confondues(1)), la BCE contribue au dynamisme du marché et à la pression sur les prix. Car les Français privilégient les périodes de taux bas pour emprunter et réaliser leurs projets immobiliers, soutenant donc une demande qui stimule les prix. Et ces taux bas (re)solvabilisent de nombreux ménages. « Les acquéreurs ont aujourd’hui accès à des financements à des taux très faibles. Même si les prix peuvent sembler élevés, les emprunteurs en atténuent le niveau en allongeant la durée du crédit afin de diminuer les annuités », constate Gautier Allard. Avec des taux si bas, allonger la durée d’emprunt n’a pas d’effet délétère sur le coût total de l’opération.
Valeur refuge et pénurie d’offres Corollaire aux taux bas affichés par les banques centrales, l’argent placé sur les marchés financiers ne rapporte plus suffisamment. Une situation qui incite les épargnants à se détourner de ces marchés financiers, au profit du marché immobilier. La volatilité de la Bourse, secouée par la crise dès mars 2020, a par ailleurs ébranlé la confiance des épargnants, les poussant à se reporter sur la pierre. Dans ce contexte, l’immobilier joue à plein son rôle de valeur refuge et capte l’épargne accumulée par les Français.
Le manque d’offres attise également la tension sur ce marché et dope les prix. .
« La pression est telle que même des produits compliqués, en moins bon état ou encore moins bien placés, trouvent preneur », constate Thierry Reynier, conseil en investissement immobilier chez Prudentia.
Première explication à cette pénurie d’offres:l’attentisme des vendeurs, visible déjà avant la crise face à une situation économique qu’ils jugeaient dégradée; incertitude renforcée encore par la pandémie. Nombre d’entre eux ont préféré reporter leurs projets dès avant 2020, redoutant un climat économique fébrile. Cet attentisme demeure, et semble même s’accentuer. « Une étude commune menée entre les plates-formes immobilières témoigne d’un retrait du nombre de dépôts d’annonces de biens à vendre sur l’ensemble des sites, de l’ordre de 10 % au début de l’année 2021, signale Séverine Amate. Ce recul ne profite pas à la vente entre particuliers où le retrait est encore plus criant. Il semble que les vendeurs décident d’attendre, afin de mieux comprendre l’orientation du marché et de saisir le moment opportun pour concrétiser leur projet. Ceux qui vendent aujourd’hui sont principalement les vendeurs les plus pressés, ceux qui n’ont pas le choix car contraints de céder d’urgence ou engagés dans un autre projet de vie. Ceux qui peuvent attendre mettent leur projet sous cloche et continuent de faire grossir le bas de laine, afin d’accéder à un produit plus ambitieux, plus grand et/ou avec jardin… » Difficultés sur le logement neuf Une autre explication majeure de la pénurie tient aux difficultés visibles dans l’immobilier neuf depuis plusieurs années. « Alors que cinq cent mille nouveaux logements sont nécessaires chaque année, il ne s’en est construit que trois cent quatrevingt mille l’an dernier, soit un manque de 15 % », précise Séverine Amate.
Un déficit qui s’explique par le cumul de plusieurs facteurs, en particulier un frein à la délivrance des permis de construire, d’une part plusieurs mois avant les élections municipales de 2020, d’autre part après l’arrivée d’un certain nombre de maires écologistes.
L’arrêt des chantiers durant le premier confinement, et dans une moindre mesure durant le deuxième, a également retardé, voire annulé, la construction de nombreux programmes neufs. Les surcoûts liés à la nouvelle réglementation environnementale RE2020, le projet de loi Climat et résilience, le renforcement des mesures contre l’artificialisation nette des sols, les recommandations du HCSF sur le crédit, accentuent encore les difficultés du neuf. Résultat:un manque criant de logements proposés à la vente aujourd’hui, alors que la demande reste élevée. Logiquement, ce déséquilibre soutient l’envolée des prix sur le neuf, mais aussi sur l’ancien qui joue les marchés de report. Ces derniers mois, l’explosion du prix des matières premières est venue compliquer davantage la situation. « Des pénuries d’approvisionnement frappent les matériaux de construction et en font flamber les prix. Cette majoration est répercutée par les promoteurs qui doivent conserver leurs marges. Et c’est finalement le prix de vente des logements qui est impacté », détaille Gautier Allard.
Le gouvernement semble avoir pris conscience de l’enjeu. Pour soulager le secteur et réamorcer la construction, le Premier ministre a annoncé, mi-mai, le déblocage d’un milliard d’euros pour le logement et la ville durable, sous forme d’appel à projets locaux ou en abondant le fonds pour la reconversion des friches industrielles. Devrait également être mise en place « une commission ayant pour mission d’identifier les freins à la délivrance de permis de construire et de proposer des solutions pour y remédier. Les éventuelles dispositions qui pourraient en découler pourraient être intégrées au projet de loi de finances de 2022 » (1).
Par ailleurs, le dispositif Pinel, qui devait prendre fin au 31 décembre 2021 a été prorogé jusqu’à fin 2024, même si ses avantages seront, à partir de 2023, largement entamés. Les spécialistes du secteur restent confiants sur le fait qu’un autre dispositif prendra ensuite le relais de la loi Pinel. « Or les dispositifs fiscaux de soutien à l’immobilier neuf font partie des facteurs qui contribuent à la hausse des prix immobiliers, sur le neuf comme sur l’ancien », considère Thierry Reynier.
L’arrivée sur le marché résidentiel des institutionnels renforce elle aussi la concurrence sur ce marché déjà tendu. « Les marchands de biens proposent en général des immeubles à la découpe sur lesquels les particuliers peuvent se positionner. Désormais, ils vendent de plus en plus souvent en bloc aux institutionnels. Les villes préemptent, elles aussi. Cet engouement nouveau des institu- tionnels pour le résidentiel accentue la raréfaction du produit pour les particuliers et entretient la hausse des prix », analyse Gautier Allard. « En 2021, la compétition, toujours plus importante, observée lors d’appels d’offres concurrentiels [sur ce marché résidentiel de la vente en bloc], plaide pour l’existence d’une manne financière importante prête à être investie sur cette classe d’actifs. (…) A moyen terme, tout porte à croire que les volumes placés sur cette classe d’actifs continueront à progresser. En effet, le manque d’offres semble être le seul frein à l’explosion véritable des transactions. A date, le poids du résidentiel dans le total investi en immobilier en France n’est compris qu’entre 10 et 15 %, contre 30 % dans d’autres pays européens. Le marché résidentiel français semble donc encore assez peu mature et dispose d’un potentiel de progression important », confirme la note de conjoncture publiée par Ikory(1).
Une certitude:la frustration liée à la pénurie de neuf entretient le dynamisme du marché. « Nous observons des pics d’audience historiques, avec 61,5 millions de recherches en mars 2021, soit une augmentation de 90 %, indique Séverine Amate. Preuve que l’immobilier est vraiment perçu comme la valeur refuge par excellence. » Explosion des villes moyennes La hausse est marquée dans les villes moyennes les plus abordables. « Ces villes subissent depuis plusieurs mois un emballement spéculatif assez spectaculaire, constate Thomas Grjebine. Plus de dix pourcents de hausse de prix à Amiens, Caen ou Rouen:c’est très élevé, surtout dans le contexte actuel ! Et l’on retrouve ce type d’explosion sur l’ensemble du territoire. Les explications locales ne sont donc pas entièrement convaincantes. Des facteurs plus globaux soustendent cette évolution. »Outre la dimension de valeur refuge de l’immobilier, la pénurie d’offre, les taux bas, les aides des gouvernements ou l’abondance de liquidités sur le marché, des facteurs moins .
rationnels entrent en jeu pour expliquer cette flambée des prix sur les villes moyennes. « Nous observons une sorte de propension psychologique à s’aligner sur le voisin:puisqu’il a monté son prix, je vais le faire aussi. D’où l’emballement actuel sur des villes où les prix étaient encore très bas comparés au reste du territoire », analyse Thomas Grjebine. « Il y a véritablement un phénomène de rattrapage des villes moyennes les plus abordables », confirme Thierry Reynier. En témoignent les impressionnantes progressions du prix des appartements dans l’ancien à Valence (+ 16,7 %), Evreux (+ 18,1 %), Laval (+ 18,4 %), Villeneuve-d’Ascq (+ 18,2 %) ou Tourcoing (+ 18,4 %).
« Ces villes jusqu’alors un peu délaissées n’avaient pas progressé au même rythme que d’autres territoires qui s’étaient envolés ces dernières années; d’où l’impression du phénomène de rattrapage que nous observons actuellement, commente Séverine Amate. L’appétence nouvelle des porteurs de projets pour ces villes explique la très forte et soudaine hausse des prix. Elles sont aujourd’hui plébiscitées par les porteurs de projets en mal d’espace et de verdure. » Télétravail et retour au vert Certaines villes moyennes font effectivement office de terres d’accueil pour les Franciliens décidés à poursuivre au vert l’expérience du télétravail. C’est le cas d’Orléans où les prix se sont appréciés de 13,4 % en un an (2 567 €/m2). Belle, culturelle, proche de Paris, la ville a su séduire des écoles et des entreprises innovantes afin d’améliorer son image et son attractivité. « 86 % des salariés veulent rester en télétravail selon le baromètre annuel Télétravail 2021 de Malakoff Humanis, reprend Séverine Amate. Cette réalité alimente les réflexions sur la ville de demain. L’habitat va nécessairement évoluer. Certains ont déjà quitté les grandes villes. D’autres y songent franchement. Les Franciliens n’hésitent plus à s’éloigner de leur région d’origine et arrivent en Normandie, Centre-Val-de-Loire, Bourgogne-Franche-Comté, dans les Hauts- de-France, et jusqu’en Bretagne, dans les Pays de la Loire ou au Pays basque, avec un pouvoir d’achat plus élevé que la moyenne locale, faisant grimper les prix, tant sur les résidences principales, que sur les résidences secondaires et l’investissement locatif. »Les Parisiens ne sont pas les seuls à plébisciter les villes moyennes. De plus en plus d’habitants des grandes villes rejoignent le mouvement. « Il n’est pas interdit de soutenir que les prix de certaines grandes villes ou agglomérations, en hausses quasi ininterrompues, imposent aux utilisateurs des envies d’ailleurs, faute de budget suffisant », expose la note de conjoncture d’avril des Notaires de France(2). A l’instar de la situation parisienne, la pression des prix dans les métropoles « pourrait aussi pousser leurs habitants vers l’extérieur, encouragés par une envie de pierre “verte” décuplée par la crise sanitaire. » (2) Les habitants des métropoles redécouvriraient la qualité de vie de certaines villes moyennes, où s’offre la possibilité d’une surface plus vaste, d’une pièce en plus, d’un extérieur… Ces nouvelles aspirations des habitants des grandes villes concourent à la flambée des prix.
Les investisseurs favorisent eux aussi cette montée en valeur des villes moyennes. « Ils y trouvent des prix au mètre carré particulièrement attractifs, donc une meilleure rentabilité, à condition de bien sélectionner l’emplacement », précise Thierry Reynier.
Hausse plus modérée à court terme Quelles perspectives dans le contexte actuel ? Les prix peuvent-ils indéfiniment poursuivre leur course folle ? Qui pouvait imaginer, en 2000, alors que le prix moyen à Paris avoisinait les 3 500 €/m2, qu’il atteindrait près de 11 000 € vingt ans plus tard ? Existe-t-il un plafond de verre au-delà duquel les prix ne peuvent plus progresser ? Même s’il est toujours délicat de s’aventurer dans des prévisions aléatoires, force est de constater que tous les indicateurs vont dans le sens d’une poursuite de la hausse des prix, au moins à court terme. La pénurie d’offres demeure; « or si le marché n’est pas alimenté, il ne peut redevenir plus serein, prévient Séverine Amate. La réhabilitation des passoires énergétiques contribuera à fluidifier le marché, mais c’est un projet très ambitieux et qui mettra plusieurs années avant de porter ses fruits. »L’épargne des Français, mise de côté depuis plus d’un an, n’est pas entamée:« elle entretient la demande pour cette valeur refuge qu’est l’immobilier », note Thierry Reynier. Le télétravail est en passe de s’inscrire durablement dans les habitudes. Et les taux d’intérêt vont rester bas, sous le contrôle des banques centrales. Même à Paris, les prix peuvent continuer de monter:« comparée à Londres ou New York, les prix parisiens sont très bas; la marge de progression est réelle », estime Gautier Allard.
Pouvoir d’achat:une limite à l’éternelle croissance A condition que ces prix ne soient pas décorrélés du pouvoir d’achat des Parisiens ! Car oui, en théorie, les prix peuvent indéfiniment monter. Mais ils se heurtent aux réalités de marché, et en particulier au pouvoir d’achat des acquéreurs. « Dans quelle mesure les ménages vont-ils pouvoir continuer à digérer de telles hausses ? s’interroge Thomas Grjebine. A Paris notamment, mais plus largement en France… Si les salaires ne suivent pas, les prix ne pourront monter indéfiniment. Or aujourd’hui, les revenus augmentent peu. Il se trouve au niveau mondial beaucoup de gens riches capables de payer toujours plus. Ils peuvent entretenir une hausse des prix dans les capitales. Mais ils n’iront pas investir à Issy-les-Moulineaux; ils n’entretiendront donc pas la hausse des prix en Ile-de-France. Seul l’enrichissement généralisé de la population française pourrait maintenir à long terme la hausse des prix » Les prix peuvent-ils baisser ? « Les Français ont le sentiment que la pierre ne baisse jamais, poursuit Thomas Grjebine. Ce qui est faux:par exemple, les prix ont perdu 6 % à Paris entre 2012 et 2015, et ont même dégringolé de –40 % entre 1991 et 1997. La correction peut donc être forte. Mais les propriétaires se rassurent en considérant que même s’il perd en valeur, leur bien constitue un patrimoine pour la retraite. Paris offre d’ailleurs une sécurité patrimoniale indéniable, avec une population aisée, des emplois plus sûrs… Les villes moyennes, plus sujettes à un choc local, sont susceptibles de subir un décrochage plus fort en cas de retournement de marché. »« Mais même acheté très cher, un actif bien placé ne perdra pas 50 % dans les années qui viennent », juge Thierry Reynier. L’emplacement, l’emplacement, et… toujours l’emplacement ! D’autant que la probabilité d’un krach est faible. « Tout dépendra, bien sûr, de la situation économique, le marché immobilier étant notamment très corrélé au marché de l’emploi. Mais depuis le début de la crise, le soutien de l’Etat subventionne fortement les ménages, contient le risque de hausse du chômage et limite les défaillances d’entreprise, évitant le krach, contrairement aux prévisions. La conjoncture économique est donc plutôt favorable:le marché immobilier ne va pas s’effondrer », rassure Thomas Grjebine. Le niveau des prix limite toutefois le nombre d’acquéreurs potentiels. Et l’effet solvabilisateur induit par les taux bas pourrait aussi atteindre ses limites, réduisant le nombre de nouveaux porteurs de projets.
Le retour de l’inflation pourrait impacter les prix à la baisse via une hausse des taux. « Mais pour le moment, si des économistes s’inquiètent du risque de pressions inflationnistes que l’on observe aux Etats-Unis, ça n’est pas le cas en France. Et les projections de la BCE sont rassurantes sur ce point, même si l’incertitude persiste. Le risque de poussée inflationniste reste peu probable à horizon un an en France », précise Thomas Grjebine. « Dans le contexte actuel, où les Etats sont très endettés, les taux ne devraient pas remonter », corrobore Gautier Allard.
« Autre facteur susceptible de fragiliser le marché, la décision des acteurs de financement de réduire la voilure sur les professionnels comme sur les particuliers », prévient Gautier Allard. Un risque qui n’est toutefois pas à l’ordre du jour.
Pas de retournement de situation en vue, donc. Dans le contexte actuel, le scenario le plus probable à court et moyen terme est celui d’une continuité de la tendance haussière, certainement moins forte que ces dernières années, voire d’une stabilisation des prix. « C’est le bon moment pour acheter, même si l’on achète haut, estime Séverine Amate. Les Français ont fait des économies. Et ce sont souvent les mêmes personnes qui vendent – haut –et qui rachètent un bien derrière. Ces porteurs de projet n’ont aucune raison d’attendre. » 1. L’immobilier résidentiel à la fin du 2e trimestre 2021, note de conjoncture n° 12, Ikory 2. Source:Note de conjoncture immobilière n° 51, avril 2021, Notaires de France 3. Baromètre LPI SeLoger de mai 2021.
Immobilier Les prix du résidentiel s’envolent p. 40 Paris sera toujours Paris Dès le printemps 2020, les observateurs du marché prédisaient un exode des parisiens vers la province et, plus largement, des grandes villes vers les campagnes, sous le triple effet d’un confinement souvent jugé difficilement supportable en appartement, de la découverte du tout-télétravail, et d’une prise de conscience des citadins – et a fortiori des Parisiens – d’un réel besoin de changement de vie. Les mois suivants ont révisé quelque peu ce constat hâtif, l’exode massif n’ayant pas lieu. Il n’empêche:même si Paris ne s’est pas vidé, même si les grandes villes ne connaissent pas de désamour, des évolutions réelles se dessinent; et les mouvements amorcés, ou simplement envisagés, impactent les prix immobiliers.
Les prix accusent un certain ralentissement dans Paris intra-muros, avec seulement + 4,6 % d’augmentation en moyenne entre mai 2020 et mai 2021, soit un prix moyen au mètre carré de 10 886 € fin mai 2021(3). Mais le paysage est contrasté. Tandis que le IIe arrondissement accuse une baisse de –5,9 %, le Ier arrondissement voisin caracole à +16,8 % d’augmentation(3). Si le niveau des prix reste faramineux après plus de cinq ans de hausse ininterrompue, l’heure n’est plus à la flambée. Mais, alors que les prix s’orientaient à la baisse dans la capitale en fin d’année dernière, c’est bel et bien une hausse, certes modérée, qui se dessine depuis le début de l’année.
La ville lumière conserve les solides fondamentaux qui font son atypisme et son attractivité. Le segment du grand standing parisien et celui des biens exceptionnels restent dynamiques(1). Ainsi, même en l’absence des riches investisseurs étrangers, la courbe des prix ne s’inverse pas. « Les très beaux biens restent convoités et partent à des prix élevés », témoigne Olivier de Chabot, directeur général du groupe Mercure. En particulier les appartements avec terrasse… « Même plus modérée, la hausse va se poursuivre au moins quelques années à Paris, prédit Gautier Allard. L’horizon des jeux Olympiques, les travaux du Grand Paris braquent les projecteurs sur la capitale et sont de nature à accroître encore le niveau des prix. » Haut-de-gamme:en hausse, mais ne flambe pas Le marché du luxe et du très du haut-degamme n’enregistre pas de vraie flambée, mais retrouve une véritable dynamique à l’achat, témoigne Olivier de Chabot, directeur général du groupe Mercure. Les prix ne baissent pas, les acheteurs disposent d’une marge de négociation moindre qu’avant la crise sanitaire. »Les beaux biens en campagne s’avèrent particulièrement prisés depuis le premier confinement. Au point que des maisons de famille se sont vues retirées de la vente par des héritiers qui en redécouvraient soudain les attraits ! Les prix de vente de ces biens haut de gamme ont donc enfin trouvé leur public et entamé leur rattrapage. « Les prix des propriétés rurales avaient perdu environ 30 % depuis 2008, victimes de l’ère du nomadisme et de la consommation, signale Olivier de Chabot. La situation est radicalement différente aujourd’hui:les deux Grenelle de l’environnement et le Traité de Paris marquent un retour au vert. Les limitations et interdictions de déplacement durant les confinements redistribuent les cartes côté investisseurs. Concernant les biens haut de gamme entre un et cinq millions d’euros, les clients optent plus facilement aujourd’hui pour une belle propriété ou un château en France plutôt qu’une villa à Marrakech ou une maison à Corfou, prenant un peu mieux conscience des attraits de l’Hexagone (beauté et variété des territoires, qualité du système de santé, confiance dans l’euro, protection du droit de la propriété…). »L’année 2020 subit la désertion de la clientèle internationale:Paris et la Riviera souffrent de cette désaffection, en particulier dans l’ultra luxe. Mais l’activité s’envole sur le reste du territoire. « Même sans les étrangers, le marché reste soutenu. Seules les durées s’allongent », confirme Gautier Allard Face à des acheteurs solvables, les biens compris entre 450 000 et 700 000 €, qui représentent le coeur du réacteur sur le haut de gamme, réalisent la plus forte croissance en termes de prix, pouvant dépasser +20 %. La situation est plus délicate pour les biens supérieurs à 1,20 M€. Les acheteurs s’interrogent davantage sur la pérennité de cet investissement et mettent facilement en balance un bien à l’étranger.
Paris interpelle:à 12 000 €/m2, les acquéreurs d’un 100 m2 ont conscience de ce qu’ils pourraient avoir ailleurs pour 1,20 M€. Mais les très beaux biens continuent de se valoriser et de se vendre sans difficulté. « Le nombre d’appartements de prestige n’est pas illimité et la clientèle intéressée a de l’argent, elle est même de plus en plus riche. Le marché est un cercle:en cette période de redémarrage, l’emballement des prix entretient leur hausse. Et tous les fondamentaux sont réunis pour que l’immobilier de luxe et de haut de gamme se maintienne:qualité de la construction, infrastructures de santé, de transport… » Prix moyen sur le neuf France:4 900 €/m² en moyenne pour un appartement dans les communes de plus de 45 000 habitants en mai 2021, soit une hausse de 2,0 % sur un an. Une hausse plus modérée que l’an dernier (+ 3,4 % en six mois), en lien avec une augmentation des refus bancaires qui aurait retenu les promoteurs de favoriser la hausse des prix.
Paris:12 280 €/m² pour un logement neuf, en légère baisse de –1,1 % sur douze mois, notamment car les derniers programmes lancés le sont sur les arrondissements moins chers.
Top 15:toutes les autres communes du Top 15 ont vu leur prix moyen progresser depuis 1 an, en particulier Toulouse (+ 6,9 %), Strasbourg (+ 6,5 %), Grenoble (+ 6,2 %).
Première couronne:les prix talonnent Paris à Levallois-Perret (12 098 €/m2, soit + 4,4 %), ou Issy-les-Moulineaux (9 670 €/m2, soit + 3,1 %). Dans les Hauts-de-Seine, seules Colombes (5 470 €/m2) et Nanterre (5 750 €/m2) n’ont pas encore franchi la barre des 6 000 €/m2. Et il faut aller en Seine-Saint-Denis pour trouver des appartements neufs à moins de 4 000 €/m2.
+2,1 % pour les prix franciliens sur douze mois. Province:4 304 €/m2 en moyenne pour un appartement (+1,8 % sur un an). Nîmes enregistre la plus forte augmentation avec +10,7 % depuis juin 2020. Quatre communes ont connu des évolutions de prix supérieures à 8 % en un an:Brest (+ 9,0 %), Annecy (+ 8,7 %), Avignon (+ 8,3 %) et Saint-Nazaire (+ 8,3 %).
Source:le Laboratoire de l’immobilier, 4e édition juin 2021