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En cette fin d’année, il est encore temps de prendre des décisions pour réduire le montant de l’impôt calculé sur les revenus 2024 et à acquitter en 2025. Tour d’horizon des dispositifs fiscaux permettant d’atténuer le degré d’imposition grevant les revenus de cette année.
Une majorité de Français continue à porter un jugement négatif sur le niveau et l’équité des prélèvements fiscaux et sociaux, mais considère aussi que le paiement des impôts et cotisations est un acte citoyen et soutient le renforcement de la lutte contre la fraude : c’est ce qu’il ressort, en synthèse, du sondage réalisé par Harris Interactive pour le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), avec l’appui du Centre de recherches et économie et statistiques (CREST), publié en ce début d’exercice 2024. Dans un contexte politique actuel teinté d’instabilité, au sein duquel émergent de multiples propositions d’accroissement de la fiscalité, le sujet de l’impôt sur le revenu est central. Et si l’on ne peut aujourd’hui deviner la fiscalité de demain, il est toutefois possible d’agir sur les revenus de l’exercice 2024 avec précision et sûreté. Avant d’explorer les dispositifs fiscaux permettant d’atténuer le degré d’imposition grevant les revenus de 2024, comprenons la dichotomie suivante :
Pour mieux appréhender cette distinction, se reporter au cas pratique (page suivante) sur l’imputation directement sur le revenu ou sur l’impôt. Voici des solutions permettant d’alléger sa fiscalité et de contribuer au développement de son patrimoine. Car tout investissement ne doit pas être regardé sous le seul prisme fiscal !
Solutions pour agir en amont de l’imposition
Trois dispositifs fiscaux seront traités ici : le plan d’épargne-retraite individuel (PERin), la loi monuments historiques et le déficit foncier. Notons d’emblée que l’économie d’impôt dans le cadre des dispositifs monuments historiques et déficit foncier suppose, en sus d’une acquisition opérée par voie d’acte authentique sur l’exercice 2024, la réalisation de travaux effectifs sur ce même exercice pour que la pression fiscale soit allégée sur ledit exercice 2024.
Préparer sa retraite en toute sérénité avec le PER
Le plan d’épargne-retraite (PER) est un produit d’épargne à long terme permettant d’obtenir, à partir de l’âge de la retraite, un capital et/ou une rente, quel que soit le statut professionnel. En plus de contribuer à la constitution d’un complément de revenus à compter de la liquidation des droits à la retraite, les versements préalablement réalisés sur le PER seront déductibles du revenu imposable permettant de bénéficier d’une économie fiscale proportionnelle à la tranche marginale d’imposition (TMI). S’il n’existe aucune contrainte quant au plafond de versement, l’avantage fiscal ne sera toutefois octroyé que dans une certaine limite.
- pour les salariés : plafond de 10 % des revenus professionnels 2023 dans la limite de huit Pass (plafond annuel de la Sécurité sociale). Les plafonds non consommés sont reportables pendant trois ans ;
- pour les travailleurs non salariés (TNS) : plafond de 10 % des revenus professionnels 2024 dans la limite de huit Pass. Les plafonds non consommés sont reportables pendant trois ans. Et majoration de 15 % pour les revenus compris entre un et huit Pass. De son ouverture à son dénouement, les principales étapes du PER sont décrites dans l’illustration page précédente. Notons, par soucis d’exhaustivité, que le PER individuel, en sus de comporter d’autres compartiments non développés ici, peut être ouvert à l’occasion du transfert d’anciens contrats d’épargne-retraite (Perp, Madelin, etc.). A noter que l’opération sera renforcée lorsque la tranche marginale d’imposition du redevable, à compter de la liquidation du PER (soit à la retraite en principe) sera inférieure à celle appliquée en période d’activité (cf. tableau ci-contre d’un exemple de souscription et de dénouement d’un PER).
Le dispositif monuments historiques
L’investissement en monuments historiques permettra au contribuable de se constituer un patrimoine d’exception, tout en bénéficiant d’un régime fiscal favorable. Ce dispositif s’adresse aux amateurs de belles pierres, à forte capacité d’épargne et d’endettement, avec une tranche marginale d’imposition (TMI) élevée (41 %, 45 %), et souhaitant réduire leurs impôts, tout en contribuant à la sauvegarde du patrimoine. Il s’applique dès l’investissement dans un bien immobilier ancien classé ou inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques (ISMH), dans des immeubles labellisés Fondation du patrimoine, et des immeubles ayant un intérêt historique et un agrément spécial accordé par le ministre de l’Economie et des Finances, tout en y réalisant des travaux de rénovation et en conservant le bien pendant quinze ans minimum. L’avantage fiscal consiste en une réduction d’impôt proportionnelle à la tranche marginale d’imposition par la déduction des travaux sur le revenu imposable.
A noter qu’un investissement en loi monuments historiques sera également pertinent pour un chef d’entreprise qui, à l’occasion de la cession de ses titres de sociétés, va rencontrer un pic de fiscalité au titre de l’année de la cession, sous réserve que la plus-value mobilière soit intégrée au barème progressif de l’impôt sur le revenu. L’objectif étant que l’accroissement du revenu imposable, engendré par la cession des titres, soit neutralisé par la déduction des travaux, compris dans l’investissement immobilier.
L’investissement en déficit foncier
Investir en déficit foncier consiste à acquérir un immeuble ancien destiné à la location nue, sur lequel seront engagés des travaux d’entretien, de réparation et d’amélioration. Ces travaux constitueront alors une charge fiscalement déductible (cf. tableau ci-contre sur l’imputation des travaux déductibles).
Les solutions pour agir en aval de l’imposition
Cinq dispositifs fiscaux seront étudiés ici : les fonds d’investissement dans l’économie réelle (FIP/FCPI), le développement outre-mer (Girardin industriel), les groupements forestiers d’investissement (GFI) et les groupements fonciers viticoles (GFV), les fonds d’investissement dans le cinéma et l’audiovisuel (Sofica) et les foncières solidaires. Au contraire des dispositifs permettant d’agir en amont sur le revenu imposable, les investissements étudiés ci-après seront retenus au titre du plafonnement global des niches fiscales. Pour mémoire, le plafonnement global des niches fiscales limite, sur une année donnée, le montant des avantages fiscaux qu’un contribuable peut obtenir : - dans le cas général : le montant de l’ensemble des avantages fiscaux ne peut donner lieu à une diminution de l’impôt supérieure à 10 000 euros ; - pour le Girardin outre-mer et les Sofica : un sur-plafond de 8 000 euros est accordé sur ces investissements en sus du plafond de 10 000 euros. A ce titre, l’ensemble des réductions et crédits d’impôts du contribuable entre dans le plafonnement à l’exception des avantages fiscaux liés à la situation personnelle et aux avantages fiscaux liés à la poursuite d’un objectif d’intérêt général sans contrepartie (dons par exemple).
Soutien aux PME avec les FIP et FCPI
Les PME ont besoin de financements pour grandir et se développer, en France, mais également à l’étranger. Certains placements permettent d’être partie intégrante à leur déploiement, par la réalisation d’un investissement via des fonds d’investissement. Par ce biais, l’investisseur devient acteur de l’essor de ces entreprises, tout en bénéficiant d’une réduction d’impôt sur les revenus de l’année de l’investissement. Pour les FIP, le critère de proximité prévaut : les PME doivent exercer leurs activités dans des établissements situés dans la zone géographique choisie par le fonds et dans des régions limitrophes. Pour les FCPI, le critère d’innovation est mis en avant : les PME doivent réaliser des dépenses de recherche ou justifier de la création de produits, procédés ou techniques dont le caractère innovant et les perspectives de développement économique sont reconnus. La réduction d’impôt (cf. tableau page précédente sur les taux de réduction d’impôt pour les FIP et les FCPI) , calculée sur les sommes nettes investies en FIP ou FCPI, s’applique dans la limite de 12 000 euros pour une personne célibataire et de 24 000 euros pour un couple. Ces plafonds sont doublés en cas d’investissement cumulé en FIP et en FCPI.
Le Girardin industriel
La loi Girardin permet de soutenir les départements et collectivités d’outre-mer en finançant du matériel industriel neuf, des équipements de production d’énergie renouvelable ou dans des logements sociaux neufs. L’avantage fiscal est d’autant plus important que : - la réduction d‘impôt accordée correspond à la mise de départ majorée d’un « taux de transformation », en général compris entre 1,10 et 1,12 ; - pour le calcul du plafonnement global des niches fiscales, seule la partie non rétrocédée de l’avantage fiscal est prise en compte, soit 44 %. Sans autres avantages fiscaux intégrant le plafond des niches fiscales, un investisseur peut donc investir jusqu’à 40 909 euros en loi Girardin industriel. L’investisseur dispose donc d’un double levier afin d’optimiser l’investissement et la réduction d’impôt octroyée.
Les parts de GFI et de GFV
Le principe de l’investissement est simple : des contribuables achètent des parts de groupements forestiers d’investissement (GFI) qui investissent dans des forêts, et/ou de groupements fonciers viticoles (GFV) qui investissent dans des vignes, gérés par un organisme tiers. Les avantages fiscaux sont les suivants : - réduction d’impôt sur le revenu : réduction égale à 18 % du prix de souscription des parts, dans la limite de 50 000 euros pour une personne seule, ou de 100 000 euros pour un couple soumis à imposition commune ; - IFI : les parts sont exonérées d’IFI sous conditions ; - transmission à titre gratuit : pour le calcul des droits de succession, les parts sont retenues pour 25 % de leur valeur réelle, soit une exonération de 75 % sous conditions.
Les parts de Sofica
Les sociétés pour le financement de l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Sofica) investissent à travers des contrats d’association à la production. Elles interviennent auprès de producteurs à la recherche de sources de financement nécessaires à la réalisation de leurs œuvres. L’investissement dans les Sofica permet de diversifier son patrimoine, tout en bénéficiant d’avantages fiscaux non négligeables. En fonction des engagements retenus par la Sofica, trois taux de réduction d’impôt sont susceptibles de s’appliquer : 30 %, 36 % et 48 %. Les versements ouvrant droit à avantage fiscal sont retenus dans la double limite de 25 % du revenu net imposable et de 18 000 euros par foyer fiscal.
Investir dans les foncières solidaires
Les foncières solidaires sont des véhicules d’investissement qui allient avantage fiscal et impact social. En investissant dans ces structures, l’épargnant soutient des projets immobiliers à vocation sociale et solidaire, tout en optimisant son impôt sur le revenu. Investir dans une foncière solidaire est simple et accessible. En effet, l’investisseur choisit parmi différents fonds spécialisés, en fonction de son appétence pour tel ou tel impact social (mal-logement, maintien à domicile des seniors, par exemple). Ces fonds sont gérés par des professionnels expérimentés qui sélectionnent les projets les plus prometteurs et les plus alignés avec les valeurs solidaires. Cette mesure fiscale permet de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu de 25 % du montant net de la souscription, dans la limite de :
- 50 000 euros par an pour un célibataire, veuf ou divorcé, soit une réduction maximale de 12 500 euros ;
- 100 000 euros par an pour un couple marié ou pacsé soumis à une imposition commune, soit une réduction maximale de 25 000 euros.
Agir efficacement sur son imposition
Nombreuses sont les solutions d’investissement qui permettent, aujourd’hui, d’agir efficacement sur l’imposition, sous réserve d’être accompagné par un professionnel de la gestion de patrimoine. Le prérequis réside, en effet, dans l’analyse précise de la situation fiscale du redevable de l’impôt afin de calibrer, au mieux, l’opération de défiscalisation. Une approche plus globale de la situation permettra par ailleurs d’identifier d’autres moyens d’action permettant d’aboutir, in fine, à une économie d’impôt parfois conséquente et ce… sans mise de départ. Si l’investisseur exploite directement ou indirectement des actifs immobiliers loués nus, diverses sont les stratégies permettant d’écraser le bénéfice imposable (passage en location meublée, refinancement des actifs, cession pure et simple et remploi sur le pôle financier, etc.). Si l’investisseur est chef d’entreprise et dégage une rémunération importante, il peut se rapprocher d’un expert en gestion de patrimoine pour réaliser un arbitrage entre rémunération et versements de dividendes.
Cas pratique : imputation sur le revenu ou sur l’impôt
Prenons l’exemple d’un couple marié sans enfants. En l’absence de moyens d’action mis en place pour réduire leur imposition, leur charge fiscale sera la suivante :
En supposant une enveloppe d’investissement de 20 000 €, la démonstration serait alors la suivante :
Cas pratique : la défiscalisation en monuments historiques
Dans cet exemple, et nonobstant certaines contraintes inhérentes au dispositif (formalisme important, durée de conservation de quinze ans a minima, etc.), l’économie fiscale est substantielle en ce qu’elle représente 36 % du montant de l’investissement.
Cas pratique : le déficit foncier
Monsieur, célibataire, perçoit des revenus professionnels et des revenus fonciers nets imposables respectifs à hauteur de 125 000 € et 25 000 €. Sa tranche marginale d’imposition est de 41 %, à hauteur de 71 000 € de revenus nets. Il acquiert un bien immobilier pour 200 000 €, dont 160 000 € de travaux déductibles.
Année N : 60 % de travaux (96 000 €) Année N +1 : 40 % de travaux (64 000 €) Rendement net de charges après mise en location : 2,10 % Dans notre exemple, l’économie fiscale et sociale globale, évaluée à 89 438 € sur six exercices, représente 44,72 % du montant de l’investissement.
Cas pratique : investir dans des FIP
Si un couple investit 10 000 € dans la souscription de parts de FIP, il bénéficiera sous conditions d’une réduction d’impôt de 1 800 €.
Points d’alerte
- l’avantage fiscal intègre le plafond des niches fiscales de 10 000 € ;
- les parts doivent être conservées cinq ans pour que la réduction d’impôt soit acquise ;
- l’horizon de liquidation du fonds est généralement compris entre sept et dix ans ;
- faible liquidité de l’investissement.
Cas pratique : investir en Girardin
Si un couple investit 30 000 € en loi Girardin industriel, il bénéficiera sous conditions d’une réduction d’impôt de 33 000 €, sur la base d’un taux de transformation de 1,10.
Points d’alerte
- l’avantage fiscal intègre le plafond des niches fiscales de 18 000 € à hauteur de la fraction non rétrocédée de l’avantage fiscal de 44 % (soit 14 520 € dans l’exemple susvisé) ;
- les parts doivent être conservées cinq ans pour que la réduction d’impôt soit acquise ;
- risque de perte en capital (susceptible d’être écarté si une garantie financière est souscrite sur option).
Cas pratique : investir dans un GFI
Un couple marié vient de céder un appartement locatif pour un montant de 80 000 €. Ils souhaitent :
- alléger leur impôt sur le revenu net, évalué à 15 000 € ;
- alléger leur impôt sur la fortune immobilière (TMI de 0,70 %) ;
- optimiser la transmission successorale de leur patrimoine (TMI de 20 %). Ils décident de réinvestir 40 000 € dans l’acquisition de parts de GFI. Les économies potentielles sont les suivantes :
- 7 200 € au titre de leur impôt sur le revenu ;
- 280 € d’économie d’IFI annuelle ;
- 6 000 € d’économie sur les droits de succession.
Points d’alerte
- investissement long terme ;
- faible rentabilité ;
- l’avantage fiscal intègre le plafond des niches fiscales de 10 000 € ;
- une durée de détention des parts est requise pour bénéficier des avantages fiscaux.
Cas pratique : investir dans des Sofica
Si un couple investit 10 000 € dans la souscription de parts de Sofica répondant aux conditions pour octroyer un avantage fiscal de 48 %, il bénéficiera sous conditions d’une réduction d’impôt de 4 800 €.
Points d’alerte
- l’avantage fiscal intègre le plafond des niches fiscales de 18 000 € ;
- les parts doivent être conservées cinq ans pour que la réduction d’impôt soit acquise ;
- l’horizon de liquidation du fonds est généralement compris entre sept et dix ans ;
- risque de perte en capital et faible liquidité de l’investissement.
Cas pratique : investir dans des foncières solidaires
Si un couple investit 50 000 € dans la souscription de parts de foncières solidaires, il bénéficiera sous conditions d’une réduction d’impôt de 12 500 €.
Points d’alerte
- l’avantage fiscal intègre le plafond des niches fiscales de 10 000 € ;
- les parts doivent être conservées cinq ans pour que la réduction d’impôt soit acquise ;
- l’horizon de liquidation du fonds est généralement compris entre six et dix ans ;
- risque de perte en capital et faible liquidité de l’investissement.
Ces fonds ouverts suscitent l’intérêt croissant des sociétés de gestion dans le cadre de l’application de la loi industrie verte le 24 octobre. Leur potentiel est indéniable pour rendre le Private Equity accessible à un large public. Les investisseurs doivent néanmoins garder à l’esprit la nature illiquide de ces actifs et rester lucides sur les rendements attendus.
Le 24 octobre marque un tournant significatif pour les finances des Français. Ce jour-là entrera en vigueur la loi industrie verte, qui introduit des modifications majeures dans l’épargne nationale. Parmi les mesures phares, l’obligation d’inclure un minimum d’actifs non cotés dans la gestion pilotée des assurances-vie et des plans d’épargne retraite (PER) promet de transformer le paysage de l’investissement en France. Après la loi Macron de 2015, la loi Pacte de 2019 et le récent règlement européen Eltif 2, ce rendez-vous constitue un jalon majeur d’une tendance de fond : la démocratisation du capital-investissement, longtemps réservé aux institutionnels, et, dans une moindre mesure, aux family offices ou aux clients fortunés des gestionnaires de patrimoine. Il reste que les véhicules traditionnels du Private Equity ne sont guère adaptés au grand public, en raison de montants de souscription trop élevés, de calendriers de levées de fonds exigeants et de longues périodes de blocage des capitaux. Encore très minoritaires dans le paysage financier, les fonds dits Evergreen devraient s’imposer comme la clé d’une distribution réussie vers les particuliers
Alternative aux fonds fermés
De quoi s’agit-il ? « Traditionnellement, l’industrie du Private Equity fonctionnait avec des fonds fermés, caractérisés par une durée de vie déterminée (entre huit et douze ans) et des appels de fonds (sur une période d’un à cinq ans). Une alternative émerge depuis quelques années avec des fonds ouverts dits Evergreen, qui font de plus en plus d’émules, tant du côté des GP (sociétés de gestion) que des LP (investisseurs) », observe Maxime Defasy, directeur des investissements du cabinet de conseil Althos Patrimoine, dans un article intitulé « Les fonds Evergreen : la solution pour investir en Private Equity ? » Ces fonds Evergreen, mot anglais qui signifie « toujours vert » par analogie avec les arbres à feuilles persistantes, se distinguent par leur absence de durée de vie fixe et de date de clôture. Convaincue de ses vertus, les industries de la gestion et de l’assurance se mettent en ordre de bataille pour se préparer à cette nouvelle donne. Plusieurs asset managers avaient déjà construit ce type de fonds, avant même les dernières évolutions réglementaires. De grandes maisons américaines, comme Blackstone, sont familières de ces structures, et proposent notamment des produits de dette privée, désormais éligibles à l’assurance-vie française. « Les fonds Evergreen sont un vecteur important pour élargir la typologie des investisseurs dans le non-coté, C’est déjà le cas aux Etats-Unis et au Royaume-Uni », constate Erwan Paugam, responsable Private Wealth Solutions et Managing Director chez Ardian. En France, NextStage AM a créé son premier fonds Evergreen dès 2015 (cf. interview). Eurazeo a lancé Eurazeo Private Value Europe 3 (EPVE3) en 2018, à l’issue d’une longue réflexion. « Notre marque de fabrique est d’offrir nos stratégies d’investissement à tous types de clients. Le fonds Evergreen est la meilleure solution pour servir notre clientèle privée », estime Luc Maruenda, Head of Wealth Solutions chez Eurazeo. « EPVE3 dispose déjà d’un encours de 2,2 milliards d’euros. Nous espérons atteindre 3 milliards d’ici douze à dix-huit mois », poursuit-il.
Décliner les stratégies pour l’assurance-vie
Depuis début 2023, Ardian gère également Ardian Access Solution, un FCPR Evergreen de Private Equity dont l’encours devrait dépasser 200 millions d’euros d’ici la fin de l’année. En 2022, la société de gestion présidée par Dominique Senequier avait d’ailleurs déjà mis sur pied Ardian Clean Energy Evergreen Fund, dédié à la transition énergétique et réservé aux investisseurs professionnels. « Preuve que les institutionnels s’intéressent aussi à l’Evergreen pour la simplification de l’investissement et la diversification du sous-jacent », argumente Erwan Paugam. « Nous travaillons sur le sujet depuis deux ans pour décliner certaines de nos stratégies de fonds de fonds et les adapter à l’assurance-vie. Nous avons obtenu l’agrément en janvier pour deux FCPR Evergreen », témoigne Julien Godard, Senior Partner chez Elevation CP, société de gestion d’actifs non cotés du groupe Inter Invest. D’autres acteurs s’emparent du calendrier réglementaire pour se positionner. Ainsi, Sienna IM vient de lancer Sienna Private Assets Allocation. Le gérant d’actifs du groupe financier GBL s’est associé à Cedrus & Partners, spécialisée dans le conseil en allocation et la distribution de fonds. Objectif : lever 500 millions d’euros à moyen terme, dont 40 millions déjà apportés par GBL. De même, le Britannique Schroders est sur la ligne de départ avec un fonds Eltif 2 Evergreen investi en dette d’infrastructures. Après l’obtention de l’agrément AMF (Autorité des marchés financiers), ce nouveau produit doit être commercialisé au quatrième trimestre, avec des objectifs ambitieux vers la clientèle retail en Europe, pour ce fonds de droit français. « Nous souhaitons lever 300 millions d’euros au cours des douze ou dix-huit premiers mois, puis dépasser le milliard à horizon trois ou quatre ans. L’estimation est complexe, car les résultats dépendent du degré d’application de la loi industrie verte par les assureurs », indique Yves Desjardins, directeur général de Schroders France. Vont-ils l’appliquer uniquement aux nouveaux flux d’épargne, comme stipulé par la loi, ou également aux contrats existants ? D’après le responsable, nombre d’entre eux choisiront de l’appliquer aux stocks afin d’éviter un traitement différencié de leurs mandats de gestion.
Il faudra du temps
D’autres encore se placent sur un horizon un peu plus lointain. Mirova, société de gestion dédiée à l’investissement responsable, prépare un véhicule pour début 2025. « Nous espérons atteindre un objectif ambitieux à moyen terme, mais nous savons qu’il faudra du temps pour que ce fonds atteigne sa vitesse de croisière », annonce Marc Romano, directeur du Private Equity à impact chez Mirova. Selon lui, les véritables réussites ne se feront pas sentir avant deux ou trois ans. De même, Astorg approfondit sa réflexion en vue de construire un produit dédié aux investisseurs privés d’ici 2026. « Nous réalisons des simulations en examinant les scénarios pour déterminer la meilleure allocation et la meilleure structuration », annonce Joséphine Loréal, Managing Director, en charge des intermédiaires financiers chez Astorg. Les avantages de l’Evergreen sont nombreux et indéniables, en termes de montants minimums de souscription, parfois réduits à 1 000 euros, et de gestion des appels de capitaux. « Les fonds Evergreen génèrent un flux unique lors de la souscription comme pour un fonds coté. Les capitaux travaillent plus vite et de manière diversifiée dès le premier ticket. Dans un fonds fermé, l’exposition se construit sur plusieurs années au fil des investissements », compare Erwan Paugam (cf. graphique comparant un fonds Evergreen à un fonds traditionnel ci-dessous). « Le non-coté implique beaucoup de complexité avec des appels de fonds progressifs », note Sébastien Roca, directeur général de Cedrus. « Si ces flux décalés dans le temps sont possibles pour les montants significatifs des institutionnels et des investisseurs sophistiqués très outillés, ils deviennent ingérables pour des milliers d’épargnants et des tickets de quelques milliers d’euros ». « Le gérant peut se concentrer sur la création de valeur et la sélection des investissements, non sur la gestion des fenêtres de souscription et l’administration des appels qui finiraient par ressembler à une usine à gaz à l’échelle du retail », ajoute Xavier Collot, Managing Director, Listed & Hybrid Assets chez Sienna IM.
Accroître la diversification
La diversification constitue un autre atout de ces véhicules flexibles, à même de réinvestir les capitaux en continu, à la différence des fonds fermés qui doivent liquider leurs actifs à la fin de leur cycle d’investissement. « Les fonds Evergreen ont généralement un nombre de sociétés plus important en portefeuille que les fonds fermés. Sur des multi-stratégies alliant investissement primaire, co-investissement et secondaire, on peut atteindre plusieurs centaines d’entreprises sous-jacentes. Cette approche améliore également la diversification des millésimes », comme l’explique Maxime Defasy. Luc Maruenda confirme : « Notre fonds est structuré avec une allocation de 60 % en dette privée et 40 % en stratégies secondaires en capital. La dette privée est déployée par le groupe Eurazeo, tandis que la stratégie secondaire consiste à racheter des portefeuilles de participations, auprès de fonds ou d’institutionnels. Cela permet une diversification immédiate ». Le portefeuille est exposé à cent-quatre-vingt-quatorze sociétés, dont cinquante-cinq en dette privée et cent-trente-neuf en Private Equity pour un montant total engagé de 1,362 milliard d’euros.
Produits de campagne
« Ardian Access Solution est très diversifié en termes géographiques et de gérants sous-jacents sur des expertises triées sur le volet », ajoute Erwan Paugam. Autre point positif : ce type de fonds convient aux contraintes de l’assurance-vie. « Notre FCPR est toujours ouvert avec une reconduction tacite de la période de souscription tous les deux ans. Il est référencé dans une centaine de contrats d’assurance-vie auprès d’une quinzaine d’assureurs, chacun offrant des niveaux de liquidité différents », fait remarquer Luc Maruenda. Certes, les FCPR fermés sont également éligibles à l’assurance-vie et conformes à la loi industrie verte. « Ces structures vont continuer à exister. Les produits de campagne stimulent le démarchage et les réseaux de distribution avec des durées de placement limitées dans le temps », commente Yves Desjardins. La limite réside néanmoins dans l’inertie du processus de distribution, qui prend entre douze et dix-huit mois. « Les fonds doivent être référencés auprès de compagnies d’assurances, de banques et de CGP, qui sont déjà très sollicités. Une fois ce processus achevé, il ne reste parfois que quelques mois de commercialisation avant que les fonds ne soient fermés », souligne Marc Romano. Enfin, la liquidité constitue un atout essentiel des fonds Evergreen, en offrant aux particuliers la faculté de souscrire et de racheter leurs parts, dans des conditions qui s’apparentent aux actifs cotés. Compte tenu de la nature des investissements, on parle toutefois de semi-liquidité. « Il est possible de sortir de Private Value Europe 3 sans pénalité à des périodes trimestrielles prédéfinies. Les fenêtres s’ouvrent à la fin de chaque trimestre civil : 31 mars, 30 juin, 30 septembre et 31 décembre. Il faut se déclarer soixante jours à l’avance », détaille Luc Maruenda.
Liquidité autoportée
Cette liquidité est exigée par l’AMF et par les assureurs, qui veulent limiter l’exposition de leur bilan en cas de flux importants de rachats. Le degré de liquidité requis par le régulateur dépend de la nature des actifs mais aussi des canaux de distributions. « Les textes prévoient seulement 5 % de liquidité si l’assureur s’engage à endosser les rachats, mais l’AMF demande un seuil minimum de 30 % dans le cas d’une liquidité autoportée », affirme Xavier Collot. Les gérants complètent leurs portefeuilles avec des actifs liquides pour faire face eux-mêmes aux demandes de sortie. Un portefeuille bien construit et bien diversifié peut offrir une liquidité naturelle, régulière et constante. « Notre fonds de fonds combine des stratégies de Private Equity et d’infrastructures pour un total de 70 % d’actifs non cotés et des actifs liquides (supports monétaires et obligataires) pour les 30 % restants », indique Xavier Collot. Une valeur liquidative est calculée deux fois par mois. « Sans cette liquidité régulière, il est très complexe d’obtenir un référencement auprès des compagnies d’assurance », insiste Sébastien Roca. « Ce qui s’est passé dans le monde de l’immobilier et des SCPI a renforcé la vigilance des assureurs et des régulateurs. Ces derniers accordent une attention particulière aux tests de liquidité et à la valorisation des véhicules sous-jacents. C’est la raison pour laquelle les agréments sont longs et difficiles à obtenir », confirme Xavier Collot. L’exercice est délicat, avertit Julien Godard : « Le capital-investissement a des particularités dans son rythme d’investissement et son illiquidité, qui rendent complexe son intégration dans les contrats d’assurance. Cela implique des défis techniques et réglementaires ». Cette liquidité s’avère néanmoins relative pour les nouveaux fonds : « Ce n’est pas une structuration juridique qui va changer la nature fondamentale des actifs sous-jacents. Nous avons prévu une période de lock-up de cinq ans pour les investisseurs. Après cela, les rachats seront possibles, mais limités à environ 5 à 6 % par trimestre et par investisseur, afin d’étaler les sorties sur plusieurs années. Cette approche nous permet de gérer la liquidité de manière prudente et alignée avec la nature des actifs sous-jacents, tout en évitant de créer de fausses promesses », justifie Marc Romano.
Travail de pédagogie
Ces subtilités impliquent d’ailleurs un important travail de pédagogie : « Nous collaborons avec nos partenaires assureurs et distributeurs sur la communication et l’éducation. Plutôt que d’employer le terme Evergreen, un peu obscur, je préfère parler de fonds ouverts avec des rachats limités à 5 % par trimestre sur la taille du véhicule », expose Yves Desjardins. « Pour ce fonds, nous avons privilégié la dette d’infrastructure, qui comprend moins d’inconnues dans la gestion de la liquidité, en raison du détachement des coupons et de la maturité des titres qui offrent une bonne visibilité sur les cash-flows futurs », poursuit-il. Il reste que cette liquidité a un prix. « Quand on veut réduire le risque de liquidité, on réduit aussi le rendement. Il faut être clair sur ce point à propos des fonds Evergreen, compte tenu des promesses de rémunération à deux chiffres qui circulent souvent dans le public », a mis en garde Alexis de Rozières, directeur associé au sein de la société d’épargne salariale Eres Group, lors de la dernière Université d’été de l’asset management. « Calculé par un cabinet d’audit, notre objectif de performance annualisé est de 8 %, sur une durée de huit ans », indique Xavier Collot. Les family offices obtiennent plutôt des TRI (taux de rendement interne) de 15 à 20 % pour des investissements en direct. « Dans les conditions de marché actuelles, notre produit a vocation à délivrer un rendement brut de 8 à 8,5 %, soit environ 6 à 6,5 % nets. Cet objectif de performance répond à l’objectif de liquidité que nous nous sommes fixés, avec un portefeuille composé à 80 % d’actifs non cotés et à 20 % d’actifs facilement négociables, comme des instruments monétaires », précise Yves Desjardins. « Depuis sa création, notre performance annualisée nette est de 6,7 % au 30 juin 2024. Ces chiffres sont nets de frais, mais bruts des frais d’assurance-vie, qui incluent les frais d’entrée de l’assureur », rapporte pour sa part Yves Maruenda. « Notre fonds rassemblera l’ensemble de nos stratégies de Private Equity, avec un objectif de rendement d’environ 10 % et un multiple de valorisation de 1,8, tout en maintenant une rigueur sur la gestion de la liquidité qui est un point crucial », précise Marc Romano.
Où placer le curseur
Toute la difficulté consiste à placer le curseur au bon endroit pour préserver la liquidité, sans trop grever les rendements. Mais les épargnants y trouveront-ils leur compte si la performance ne dépasse guère celle d’un fonds d’actions cotées ? Pour Bertrand Rabot, directeur de l’offre chez Laplace (groupe Crystal) : « Il ne faut pas promettre aux clients privés les mêmes rendements qu’aux institutionnels. Il est essentiel de les sensibiliser aux risques et aux contraintes de ces produits. Depuis quatre ans, nous expliquons à nos clients que l’illiquidité et le temps long sont la contrepartie des performances élevées. Les fonds Evergreen, avec leur promesse de liquidité, dénaturent un peu cette classe d’actifs. Leurs performances seront dégradées par rapport à un fonds institutionnel classique. La gestion de la liquidité, les frais supplémentaires et la nécessité de déployer le capital rapidement réduisent la capacité de ces fonds à performer aussi bien ».
Sorties importantes de capitaux ?
Celui qui a structuré l’activité de Private Equity chez Crystal redoute aussi un effet ciseaux : « En cherchant à offrir de la liquidité, les fonds Evergreen risquent d’introduire une volatilité à laquelle les fonds institutionnels échappent. En période difficile, cela pourrait entraîner des sorties importantes de capitaux et compromettre la performance à long terme. C’est ce que nous avons constaté dans l’immobilier ces dernières années. Je suis curieux de voir comment ces fonds se comporteront en période de stress ». Les promoteurs des fonds Evergreen font valoir qu’ils réinvestissent plus aisément les capitaux qu’un fonds fermé. « L’Evergreen a l’énorme avantage de replacer immédiatement les sommes générées par les précédentes allocations. Cela génère un effet boule de neige positif », estime Erwan Paugam. «Pour un multiple de valorisation de 2x, un fonds fermé doit réaliser un TRI de 18 %. A multiple égal, il suffit d’un TRI de 9 % pour un Evergreen », calcule Sébastien Roca (cf. graphique ci-dessous sur la comparaison de la lecture de performance entre un fonds Evergreen et un fonds traditionnel). Les nouveaux entrants devront toutefois surmonter la fameuse courbe en J, qui se traduit par une sous-performance initiale des fonds, le temps que les investissements portent leurs fruits et que les coûts initiaux d’acquisition soient absorbés. A ce titre, les anciens véhicules sont à privilégier. « Si le fonds est nouvellement créé, nous conseillons d’attendre au minimum le premier anniversaire pour s’assurer que le portefeuille soit déjà bien constitué et que la courbe en J soit dépassée », recommande Maxime Defasy. Des mesures sont néanmoins prises pour atténuer ces effets, notamment en augmentant la part des investissements secondaires qui bénéficient d’une décote. De quoi modérer la déception des épargnants souhaitant se familiariser avec une classe d’actifs encore mal maîtrisée.
« Les fonds Evergreen peuvent réinvestir en continu »
Investissement Conseils : Quelle est l’origine des fonds Evergreen ? Pourquoi dit-on Evergreen ?
Grégoire Sentilhes : Le pionnier des fonds Evergreen est Berkshire Hathaway, fondé il y a soixante ans par Warren Buffet aux Etats-Unis. Ce fonds offre un taux de rendement interne (TRI) moyen de 21 % par an depuis sa création. Les fonds Evergreen ont émergé pour répondre aux besoins des investisseurs, des épargnants et des entreprises en quête de financements pérennes. Cette typologie de fonds crée de la valeur sur le long terme et ne contraint pas les investisseurs à céder l’ensemble de leurs participations après cinq ou sept ans. Contrairement aux fonds traditionnels, dont la durée de vie est déterminée (souvent comprise entre dix et quinze ans), les fonds Evergreen n’ont pas de date de clôture fixe. On les appelle « Evergreen », ou « toujours vert » en anglais, car ils peuvent réinvestir en continu les profits et les remboursements de capital dans de nouvelles opportunités. Un investissement à 10 % de TRI générera un multiple de 2,59 sur dix ans et de 17 sur trente ans. Cette croissance exponentielle et cette « magie » des intérêts composés sont illustrées par la table de capitalisation (cf. ci-contre), rendue célèbre par Albert Einstein, qui la qualifiait de « huitième merveille du monde » et de « force la plus puissante de l’univers ». « Celui qui le comprend, en bénéficie ; celui qui ne le comprend pas, en paye le prix », disait-il.
Pourquoi le Private Equity s’est-il construit sur un modèle de fonds fermés, notamment en France ?
Ceci n’est pas spécifique à la France. C’est aussi vrai aux Etats-Unis, en Asie et dans l’ensemble de l’Europe. Les fonds fonctionnent avec une période d’investissement, de généralement cinq ans, et une période de désinvestissement définie à l’avance, de cinq ans également, soit environ dix ans au total. Cela simplifie la gestion des investissements et des retours pour les investisseurs qui souhaitent travailler avec des dates précises. La croissance de l’épargne-retraite à travers le monde a accéléré le développement des véhicules Evergreen qui permettent un alignement plus efficace entre l’actif et le passif, optimisant ainsi la performance pour l’épargnant.
Dans quel cadre réglementaire et juridique cette notion d’Evergreen s’inscrit-elle ?
Ils s’inscrivent dans un cadre juridique et réglementaire qui varie selon les pays. En France, il n’existe pas de format imposé pour ces types de fonds qui sont, dans tous les cas, régulés par l’AMF. Ils peuvent être structurés sous la forme d’OPCVM ou de FIA (fonds d’investissement alternatifs). Dans le monde du capital-investissement, ils sont principalement structurés sous formes de FCPR Evergreen ou de société de capital-risque (SCR) gérés par une société de gestion de portefeuille, elle-même agréée par l’AMF.
En quoi les fonds Evergreen sont-ils adaptés à la conjoncture et à la situation des entreprises ?
Ils offrent une flexibilité accrue, et permettent de ne pas subir les cycles économiques et les événements conjoncturels lors de la cession des participations. Dans un environnement incertain, les entreprises bénéficient de capitaux à long terme. Les fonds se libèrent de la pression de vendre rapidement leurs participations et optimisent les sorties avec les entrepreneurs. Les fonds Evergreen sont adaptés à l’ensemble de l’économie. Par définition, les secteurs nécessitant des investissements de long terme ou des innovations continues sont plus adaptés à ce type de véhicule, mais cela ne constitue pas une exclusivité.
Jadis adulées, les small caps sont depuis deux ans au creux d’une vague dont elles ont de la peine à sortir. Le point sur une classe d’actifs mal aimée, qui garde tout son intérêt.
Les petites et moyennes valeurs sont un univers un peu à part. « C’est une classe d’actifs très hétérogène en termes de profil de risque et de valorisation et il faut donc être très sélectif, rappelle Saad Benlamine, gérant du fonds Kirao Smallcaps chez Kirao AM. Il s’agit souvent d’entreprises ayant moins de maturité que les grandes, ce qui contribue à un potentiel de croissance plus fort. » Si elles fournissent un terrain de jeu intéressant pour les gérants de fonds spécialisés, c’est aussi qu’elles sont moins bien suivies par les bureaux d’analyse financière et moins regardées par les grands gérants d’actifs. « C’est donc un segment moins compétitif, où la recherche et l’analyse fondamentale que l’on peut faire soi-même ont plus de potentiel pour créer de la valeur », pense Raphaël Lucet, analyste-gérant chez Moneta AM. Un segment où il est intéressant de chercher de l’alpha en sélectionnant les meilleures valeurs. Et le terrain de chasse a le mérite d’être vaste. « En zone euro, il y a environ cinq cents valeurs dont la capitalisation est comprise entre 1 et 10 milliards d’euros, ce qui caractérise l’univers d’investissement de notre fonds small et mid-caps, rappelle Marcus Ratz, gérant small et mid-caps chez Lupus alpha Asset Management. Plus nombreuses que les grandes valeurs, ces sociétés ont aussi la particularité d’avoir des modèles économiques plus focalisés. On trouve beaucoup de sociétés appartenant à ce qu’on appelle en Allemagne le Mittelstand, mais qui sont des leaders mondiaux de leur marché. Cela permet d’investir dans des thèmes de manière très ciblée. »
Fort potentiel spéculatif
Certains gérants reconnaissent aussi aux petites valeurs des vertus propres. « La gestion au quotidien de ces entreprises est meilleure que dans les grands groupes, juge Jean-François Delcaire, gérant des fonds HMG Découvertes et HMG Découvertes PME chez HMG Finance. D’abord parce qu’elles sont plus petites, donc plus agiles. Ensuite, il s’agit souvent de groupes familiaux : les dirigeants ayant leur propre argent investi dans l’entreprise, ils ont tendance à prendre des décisions de gestion plus raisonnables, ce qui est créateur de valeur dans la durée. » Tout cela mérite, bien sûr, d’être vérifié au cas par cas, toute règle ayant ces exceptions. Et bien sûr, c’est un univers où le potentiel spéculatif est important. « En finance comme dans la nature, ce sont les gros poissons qui mangent les petits et non l’inverse, plaisante Jean-François Delcaire. D’où des OPA ou rapprochements qui permettent souvent de révéler la vraie valeur industrielle des entreprises. » Même dans des années de vaches maigres, il a pu réaliser de bonnes performances très bonnes, grâce à ce « bonus » (les opérations sur CS Group ou ESI Group en 2023, par exemple). Chez Kirao, on dénombre environ deux OPA par an sur le portefeuille. « C’est sans doute la meilleure classe d’actifs dans la durée, mais elle connaît une contre-performance inédite depuis cinq-six ans », déplore Jean-François Delcaire. Car l’appétit du marché est ailleurs. « La montée de puissance de la gestion indicielle a dirigé de plus en plus de flux vers les plus grandes entreprises et les fonds de petites valeurs ont subi d’importantes décollectes », note Stéphanie Maugey-Brunelle, gérante privée à la Financière d’Uzès. Le rebond des taux a aussi été pénalisant pour les petites et moyennes valeurs. « Elles sont souvent plus dépendantes de financements à court terme que les grandes qui se financent à sept ou dix ans », constate Marcus Ratz. Sans compter la part importante de valeurs industrielles, sensibles au cycle, dans le segment. Mais au fait, à quoi ressemble la valeur idéale ? « Il faut identifier des entreprises ayant du potentiel, grâce à leur avance technologique, l’existence d’un marché large et mondial », complète Christian Maugey, gérant de fonds chez Uzès Gestion. « Le portrait-robot d’une bonne valeur, c’est un bon métier, avec une bonne équipe », résume de son côté Jean-François Delcaire. Le meilleur manager ne pourra pas faire de miracles si le métier est structurellement destructeur de valeur. Mais s’il est porteur… « La qualité du management est un élément essentiel, car elle influe fortement sur la culture d’entreprise et sur le succès de l’entreprise, explique Marcus Ratz. L’exemple de la société BE Semiconductor est intéressant. Il y a vingt ans, la société était de taille comparable à son concurrent allemand microTECH, mais elle est aujourd’hui vingt fois plus grosse, grâce à la qualité de la stratégie et de son exécution. » Les gérants gardent donc un œil vigilant sur ce point. « Nous regardons le comportement de l’entreprise par rapport à ses pairs et au marché en termes de croissance des bénéfices, même si nous ne sommes pas un investisseur growth », explique Marcus Ratz. Chez Kirao, Saad Benlamine cible des valeurs avec un potentiel boursier d’au moins 50 % sur trois ans. « Nous cherchons typiquement à investir dans des entreprises bénéficiant de fortes barrières à l’entrée et d’un marché
en croissance naturelle, où intervient une rupture, comme l’arrivée d’un nouvel actionnaire, une acquisition majeure ou l’entrée sur un nouveau marché », détaille-t-il, citant l’exemple d’OPmobility (ex-Plastic Omnium), qui souffre de la transition pour moins dépendre du moteur thermique, mais devrait tirer les fruits de ses acquisitions et investissements, d’où un rebond attendu des résultats.
Une gestion agile
Tous les fonds small caps ne se ressemblent pas trait pour trait. Si certains peuvent cultiver un biais croissance, ce n’est pas le cas de Lupus alpha. « Nous avons une approche bottom-up et une équipe de neuf personnes pour suivre l’univers paneuropéen. Cela permet de couvrir les entreprises de manière continue dans le temps et nous donne un avantage compétitif sur des équipes plus petites », explique Marcus Ratz. Et cette équipe revendique une diversité de points de vue plutôt qu’un « ADN » unique. Les fonds peuvent aussi être plus ou moins agiles. Ils ont souvent une gestion très active (le turnover du portefeuille est de l’ordre de 80 à 90 % pour le fonds de Lupus alpha, qu’il s’agisse d’une gestion active des positions existantes ou d’entrée de nouveaux titres en portefeuille). « La gestion d’un fonds de petites valeurs ne doit pas être trop agile, car les tendances boursières durent plus longtemps qu’on ne l’imagine, pense Christian Maugey. Mais il faut être très attentif quand on voit une première déception sur un titre, qui en annonce souvent d’autres. » Malgré une croissance qui se poursuit, l’éditeur de logiciels Ateme, par exemple, a subi une série de déboires meurtriers pour le cours de Bourse.
A l’inverse, le spécialiste des étiquettes numériques pour la grande distribution VusionGroup, bien qu’attaqué violemment par un short seller, a vu son cours multiplier par six depuis 2020, ce qui illustre le potentiel d’une bonne sélection de titres assortie d’un peu de patience. Dans l’univers très disparate des small caps, la gestion des risques est un élément majeur. « On a coutume de dire que les petites valeurs sont risquées. C’est vrai sous l’angle de la liquidité, car il peut y avoir des exagérations dans les baisses de marchés, tempère Jean-François Delcaire. Mais leurs métiers ne sont pas franchement plus risqués et elles sont souvent moins endettées que les grandes. » Il n’en reste pas moins que le business est généralement moins diversifié que dans de grandes entreprises, d’où une plus grande sensibilité au risque politique, par exemple. « Le vrai risque est surtout celui de la liquidité car si on change d’avis on a plus de difficulté à sortir dans de bonnes conditions que sur les grandes », pense Raphaël Lucet.
Une nécessaire diversification
Pour faire face à ce risque, une première réponse réside dans la diversification : chez Lupus alpha, le portefeuille intègre typiquement soixante à quatre-vingts valeurs, ce qui limite le poids de chaque secteur et le risque d’une « erreur de casting », tout en rassurant la clientèle institutionnelle. Face à cette approche, d’autres sont plus concentrés. « Il ne faut pas confondre diversification et dispersion, pense Saad Benlamine, dont le portefeuille tourne autour de quarante valeurs. Le meilleur moyen de se protéger contre les risques propres à un titre est le travail sur l’analyse financière. » Le portefeuille de HMG Découvertes compte, lui, quarante-cinq à cinquante valeurs et, au sein du fonds Uzès Boscary Sélection, les dix premières lignes représentent 40 à 45 % de l’encours, signe d’une volonté de rester concentré. Cette concentration incite les gérants à prêter une attention particulière à la liquidité boursière des titres sous-jacents. Le fonds Kirao Smallcaps, de taille réduite, revendique de pouvoir liquider 70 % en cinq jours. Et ce souci influe sur la gestion. « Pour le moment, nous évitons les micro-capitalisations : les small ou mid-caps offrent souvent un profil de risque plus faible et une meilleure liquidité pour une valorisation similaire », indique Saad Benlamine. De son côté, Jean-François Delcaire a une approche subtile de la liquidité. Son portefeuille peut ainsi intégrer des valeurs où une OPA est en cours, ce qui en fait du « quasi-cash ». Surtout, il fait de la gestion du risque de baisse une véritable obsession, titre par titre. « Nous veillons à ce que chaque valeur du portefeuille soit moins risquée que le marché, explique-t-il. Nous avons par exemple une position importante sur la Compagnie du Cambodge, société où la valeur d’actif limite le risque de baisse et où il y a une optionnalité à la hausse. » Il apprécie particulièrement d’être le plus gros minoritaire face à un majoritaire potentiellement demandeur d’un bloc pour se renforcer. De même, Jean-François Delcaire évite les « crowded trades », ces valeurs chéries du marché, mais qui peuvent être les premières à tomber quand le vent tourne. « Dans l’univers des petites valeurs, les deux grands périls sont l’endettement et la perte de confiance dans le management », conclut-il, ce qui justifie son positionnement plutôt défensif, favorisant les sociétés au bilan solide et sa minutieuse attention à la gouvernance.
Une classe d’actifs intermédiaire
Par certains aspects, les small caps peuvent apparaître comme une classe d’actifs intermédiaire entre les grandes valeurs et le Private Equity. Il y a certes des différences notables. « Alors que, dans le Private Equity, les gérants donnent rendez-vous aux investisseurs dans huit ans, les fonds small caps sont cotés tous les jours », remarque Stéphanie Maugey-Brunelle. D’où une sorte d’illusion que les small caps sont plus risquées, ce qui traduit seulement la volatilité à court terme, forcément plus élevée ! En réalité un fonds small caps va être plus diversifié qu’un fonds de Private Equity, où le nombre de position dépasse rarement les vingt. « La grosse différence avec le Private Equity, c’est l’absence d’effet de levier massif, comme le pratiquent les fonds de LBO, qui comptent sur les cash flows futurs pour rembourser la dette », constate de son côté Jean-François Delcaire. Mais l’horizon de placement, typiquement de cinq à huit ans, est assez similaire, ce qui tien au fait que les gérants de Private Equity et de small caps visent souvent le même type de sous-jacents, en termes de taille d’entreprise. Ils sont même parfois en véritable concurrence. « Une grosse partie de la valeur nous échappe si un fonds de Private Equity parvient à racheter à vil prix », explique Stéphanie Maugey-Brunelle. En pareil cas, les gérants peuvent parfois se liguer pour bloquer une opération trop peu généreuse, comme ce fut le cas sur Boiron.
Une dose de fonds datés
Parmi les fonds small caps classiques, ceux de HMG Finance sont sans doute les plus proches de la logique des fonds non cotés, acceptant plus volontiers le manque de liquidité. Mais chez Moneta AM, on a poussé la logique plus loin en lançant une série de fonds small caps millésimés. « Notre décision en 2021 de lancer ces fonds small caps fermés a été motivée par le fait que nous sommes actifs sur le segment des petites valeurs depuis l’origine de la société, via le FCP Moneta Micro Entreprises, qui est le fonds “signature” de la maison et a un historique de performance sans équivalent en France. Mais il est fermé aux souscriptions depuis 2009 et il s’agissait donc de relancer une offre petites et moyennes valeurs pour nos clients souhaitant réinvestir », explique Stéphane Binutti, directeur commercial de Moneta AM. Ici, on ne parle plus d’OPCVM, mais de fonds professionnels spécialisés (FPS) accessibles à partir de 100 000 euros. Contrairement à un fonds de Private Equity, ils appellent l’argent en une seule fois et celui-ci sera presque pleinement investi au bout de six mois, mais l’investisseur est bloqué pendant cinq ans, bien que le sous-jacent soit coté. « Ces fonds peuvent faire penser aux fonds obligataires datés, mais ils en sont assez éloignés en ce sens qu’ils ne sont pas liquidatifs à l’échéance des cinq ans. L’investisseur peut alors faire le choix de sortir ou de rester investi pour une nouvelle période de cinq ans », poursuit Stéphane Binutti. Lancé en 2021, le fonds MME 2026 (2026 désignant la première fenêtre de liquidité) était un ballon d’essai. Son succès commercial (240 millions d’euros levés) et en matière de performances a poussé Moneta à poursuivre dans cette voie en lançant un nouveau millésime chaque année. Au quatrième produit lancé cet été (MME 2029) succédera un dernier produit l’an prochain, 2026 voyant arriver l’échéance du premier fonds et sa réouverture éventuelle à de nouveaux investisseurs pour compenser les sorties éventuelles. Quels sont les avantages d’une telle approche ? En premier lieu, elle offre une souplesse de gestion au gérant, qui n’a pas à craindre en permanence le risque de sortie des investisseurs du fonds. « Dans les trois ou quatre premières années du lock up, nous pouvons plus facilement investir dans des titres peu liquides, ce qui donne un vrai confort de gestion, explique Raphaël Lucet. Cela permet, par exemple, d’intervenir sur un titre ayant fait l’objet d’une première OPA, mais qui n’a pas suffi à retirer le titre de la cote et laisse un flottant faible. Le timing du prochain tour d’OPA reste alors incertain, mais il est souvent prévisible, généralement dans un délai de douze à trente-six mois et à un niveau plus élevé. Un peu plus de 25 % de l’actif du fonds MME 2026 a ainsi fait l’objet d’OPA. » L’entreprise de services numériques Devoteam est un exemple parlant. Dès juillet 2021, elle avait fait l’objet d’une OPA à 98 euros par titre. Mais la deuxième offre, fin 2021, a été bien plus généreuse, à 168,50 euros l’action. Les fonds datés de Moneta ont aussi réussi à capter d’autres primes sur des titres comme Generix, Ordina, autre ESN, Néerlandaise celle-ci, dont le capital n’était pas contrôlé et sur laquelle Sopra Steria a jeté son dévolu contrairement à Neurones, par exemple, et a été la cible de Sopra, ou encore Micropole. Le format FPS permet, en outre, à ces fonds de desserrer les contraintes de gestion propres aux OPCVM, en permettant un niveau de concentration et de prise de risque possibles plus élevé, Moneta se fixant toutefois une limite de 15 % par titre. Et ces fonds millésimés n’ont pas obligation de se limiter à l’univers des small caps. « Les fonds ont une majorité de petites et moyennes valeurs, car c’est là que le potentiel de génération d’alpha nous semble supérieur, mais ne s’interdisent pas d’investir dans de grandes capitalisations, rappelle Raphaël Lucet. Par exemple, au moment de l’attaque russe en Ukraine, nous avons détenu du TotalEnergies, estimant que le marché exagérait l’impact de la crise sur les revenus du groupe. » Environ 20 % des actifs du fonds Moneta MME 2028 sont consacrés à des capitalisations supérieures à 10 milliards d’euros, ce qui pourrait s’avérer utile parfois. « Le fait d’avoir une partie grandes valeurs dans le portefeuille peut avoir un intérêt en cas de stress de marché, détaille Raphaël Lucet. Non seulement le fonds ne subira pas de retrait, mais il pourra vendre des grandes valeurs pour en racheter de petites qui auraient plus souffert de manière technique. » Ces titres plus stables peuvent se transformer au besoin en cash à réinvestir !
L’appel d’air de la baisse des taux
Reste maintenant à savoir quand la classe d’actifs pourra bénéficier d’une meilleure conjoncture, après avoir durement subi une succession de crises depuis 2018 qui a éteint l’appétit des investisseurs : guerre commerciale sino-américaine, Covid, guerre en Ukraine puis au Moyen-Orient, hausse des taux et de l’inflation. Les gérants spécialisés ne se risquent pas à donner un timing. « Je ne pars jamais de l’hypothèse que les marchés seront favorables », précise d’ailleurs Jean-François Delcaire, qui se préoccupe moins de la macroéconomie que de la valeur intrinsèque des sociétés. Ce qui est certain, c’est que les valorisations sont à un point bas. « Aujourd’hui, les valorisations sont tellement ridicules qu’on se dit que tout puits a un fond », assène Christian Maugey. « On voit des sociétés dramatiquement décotées, renchérit Stéphanie Maugey-Brunelle. Des entreprises comme Catana, Fountaine Pajot ou Trigano ne se paient que quatre à six fois les résultats de l’année. » Des décotes qui sont à rebours d’un passé bien plus glorieux. « Historiquement, les petites valeurs se payaient avec une prime sur les grandes valeurs, mais elles souffrent maintenant d’une décote, se désole Christian Maugey. L’avenir des petites valeurs est une question d’aversion au risque : elles rebondiront quand les investisseurs retrouveront le sens du long terme. » Le point d’entrée peut en tout cas sembler intéressant. « Pour la première fois depuis plus de quinze ans, le segment souffre d’une sous-évaluation par rapport aux grandes valeurs après son parcours récent, ce qui semble un moment attrayant pour se réintéresser à la classe d’actifs », pense Marcus Ratz. Surtout que la baisse du marché ne reflète pas nécessairement de contre-performances des entreprises elles-mêmes. « De nombreuses petites valeurs continuent d’afficher une croissance des bénéfices à deux chiffres : la baisse du cours est souvent le fruit d’un Derain massif, pas de difficultés opérationnelles », estime Saad Benlamine. Depuis six ans, c’est bien une décollecte massive qui explique les tourments de la classe d’actifs. Elle semble se tarir, mais n’est pas encore en train de s’inverser. Si les valorisations à la casse n’intéressent personne, c’est que tous les investisseurs qui ont tenté de jouer le rebond des small depuis cinq ans ont sous-performé. Et les gérants sont là pour générer de la performance, pas pour faire fuir leurs clients ! « On est peut-être arrivés à un point de bascule cet été, espère Stéphanie Maugey-Brunelle. Même si le marché s’est repris très vite, les investisseurs ont réalisé début août que même les grandes valeurs américaines pouvaient baisser. Les arbres ne montent pas au ciel. » Les baisses de taux attendues pourraient aussi fournir un appel d’air à la classe d’actifs. « La nouvelle législation des fonds PEA PME élargit l’univers d’investissement vers de plus grandes sociétés, remarque aussi Christian Maugey. Cela pourrait apporter plus de liquidité à certaines entreprises, mais on peut se demander si cela ne va pas pénaliser encore plus les entreprises les plus petites. » Si Marcus Ratz constate que certains institutionnels commencent à revenir sur la classe d’actifs, les particuliers n’ont pas encore retrouvé l’appétit et il reste difficile de déterminer quand il reviendra. Mais les choses peuvent s’emballer rapidement sur ce qui est une niche de marché. Et à un moment où les grands indices de marché sont extrêmement concentrés autour de quelques noms très médiatiques, les small et mid-caps restent un outil de diversification attrayant, du fait de leurs moteurs de performance différents de ceux des grandes valeurs et de leur valorisation, qui semble arrivée à un plancher. En finance, il faut toujours faire la balance entre le potentiel de performance et le risque pris. Une balance qui semble en l’occurrence pencher en faveur des investisseurs.
Un tsunami démographique. La population des plus de soixante-quinze ans devrait considérablement augmenter sur la décennie 2020-2030, passant de 6,4 millions en 2021 (soit 10 % de la population totale) à près de 8,6 millions à l’horizon 2030 (soit 13 % de la population totale), selon les prévisions de l’Ined, à partir d’un scénario central de l’Insee de 2021.
Toujours d’après ces projections, la décennie 2030-2040 serait ensuite marquée par une explosion des quatre-vingt-cinq ans et plus (plus de 1,3 million de personnes de 2030 à 2040, soit une hausse de + 58 %). De quoi accroître la demande sur les résidences services seniors durant les vingt prochaines années. En 2016, le parc immobilier recensait environ cinq cent-quarante établissements non médicalisés dédiés aux personnes âgées et en compte mille cent aujourd’hui. Le think tank Matières grises prévoyait, en mars 2022, un maintien de cette dynamique sur dix ans, avec la mise en exploitation de quatre-vingts à quatre-vingt-dix résidences par an. Le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge a, quant à lui, estimé que la part des résidences services seniors pourrait augmenter de 330 à 440 %, d’ici 2030. Avec quatre-vingt-quinze mille deux-cent-cinquante lits en 2023, il ne représente, en effet que 2,3 % du parc immobilier français. Les potentialités du marché, au regard de son public cible – des personnes âgées, en moyenne, de soixante-quinze à quatre-vingt-quatre ans, fragiles mais pas dépendantes –, s’annoncent donc considérables.
Un marché qui gagne
en maturité
Micro-niche du résidentiel géré (1,1 milliard d’euros investi en 2023), les résidences seniors (médicalisées et non médicalisées) marquent le pas, accusant une baisse de 73 % des investissements, pour un montant de 169 millions d’euros sur un an, révèle l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (Ieif).
Affichant pourtant un taux de rendement attractif moyen de 5 % et des fondamentaux solides (vieillissement de la population, déficit d’offre et demande forte, croissances des loyers, stratégie responsable selon les critères ESG), le marché se heurte à plusieurs points de vigilance, parmi eux la solvabilité des ménages, le manque de visibilité sur l’évolution des taux d’intérêt, la rareté de l’offre, les risques réglementaires ou encore la hausse des coûts d’exploitation. « Promoteurs et investisseurs n’ont pas le même regard sur ce marché. S’il est vrai que celui-ci commence à atteindre une certaine maturité et que l’offre s’est affinée, les institutionnels restent prudents, notamment échaudés par les scandales qui ont entaché le secteur des Ehpad et le risque réputationnel qu’il fait encore peser sur ses acteurs », explique Lina Mounir, analyste senior et responsable du pôle marchés immobiliers de l’Ieif.
Si l’attentisme et la discrétion priment, les groupes mutualistes (assureurs, mutuelles) investissent toutefois volontiers dans les résidences à vocation sociale. Un segment de marché jusqu’alors peut couvert par les résidences seniors, longtemps tournées vers les catégories CSP+.
Outil de diversification
Le poids du public dans l’économie de la santé réduit d’autant la part du parc privé qui demeure marginale sur le marché.
Réservé aux spécialistes, l’immobilier dédié aux seniors s’inscrit dans une stratégie de diversification des actifs. « Le redéploiement des allocations sur la santé est motivé par les niveaux de rendements que ces actifs délivrent, dans un contexte où les bureaux déclinent », observe l’analyste. L’enveloppe santé, qui regroupe les résidences seniors, les Ehpad, les maisons de santé, les cliniques et les soins de suite et de réadaptation (SSR), atteint désormais jusqu’à 10 % du portefeuille des investisseurs.
Malgré l’évidente nécessité d’anticiper dès à présent l’accroissement de la population senior, le développement du marché n’apparaît pas encore comme une cible prioritaire des pouvoirs publics, davantage tournés vers le maintien à domicile. « Les aides à la rénovation et à l’adaptation des logements aux problématiques du grand âge, ainsi que la fiscalité sur le logement en résidence seniors, qui n’est plus considéré comme une résidence principale mais secondaire, visent à inciter les propriétaires à rester chez eux », note Lina Mounir. La crise du logement pourrait, toutefois, infléchir cette politique. « Les catégories de population les plus âgées sont aujourd’hui davantage propriétaires de leur résidence principale (71 % des plus de soixante-dix ans), ce qui implique qu’à horizon 2030, près de cinq millions de résidences principales pourraient être libérées dans le parc privé, d’ici cinq à dix ans, et desserreraient, en partie, l’étau sur l’offre de logements », indique l’analyste. Un appel d’air pour les primo-accédants qui redonnerait, par la même occasion, des couleurs au marché immobilier résidentiel.
Résidences services seniors
Depuis la création, en 1973, de la première résidence seniors Les Jardins d’Arcadie, à Biarritz, le modèle a évolué au rythme de ses habitants. Les résidences dites de quatrième génération ont ainsi été conçues pour répondre aux besoins des papy et mamy-boomers épris de liberté, d’autonomie et de services, mais surtout destinées à recréer du lien social pour les seniors veufs ou isolés.
Toutefois, proposer une offre adaptée à la solvabilité des clientèles cibles – seuls 45 % des plus soixante ans sont capables de soutenir un loyer en résidence dans un modèle entrée de gamme très intégré (avec un socle de services important) et 75 % une offre 100 % à la carte – reste “
un enjeu majeur du marché. Les premières générations, positionnées sur des prestations haut de gamme, ont, en effet, connu des difficultés de remplissage, tout particulièrement dans les métropoles, où le prix foncier est élevé. En revanche, dans les territoires moins urbanisés, l’offre trouve son public et la rentabilité s’améliore… A condition de respecter certains critères. « Avant d’investir, il faut analyser la zone de chalandise, étudier la concurrence locative, choisir un exploitant dont c’est le métier et accepter le fait que remplir une résidence senior prend du temps, entre deux et trois ans. Enfin, il convient, pour la pérennité de l’exploitation, de rester raisonnable sur le montant de loyer », rappelle Edouard Fourniau, directeur général délégué de Consultim Groupe qui préconise une rentabilité entre 4 et 4,20 %, pour un T2 neuf vendu, selon l’emplacement, entre 150 000 et 200 000 euros. Pour ce dernier, le durcissement du marché immobilier offre des opportunités d’investissement. « Il ne faut jamais redouter d’être contracycliques lorsque l’offre répond à un besoin sociétal. C’est le cas des résidences seniors qui bénéficient d’un effet momentum face au manque de places en Ehpad, d’une part, et de la hausse des taux d’intérêt, de l’autre », explique-t-il.
En outre, le bail commercial et la délégation de gestion à un exploitant unique disposent d’avantages, tels que la récupération de la TVA, des baux longs de durée ferme, pas de vacance locative, de frais de remise en état des lieux, ni d’impayés de loyer. Un confort de gestion qui séduit les investisseurs.
Des modèles plus hétérogènes
Acteur historique du marché, Domitys (groupe AG2R La mondiale), réfléchit à une segmentation de l’offre, des services personnalisés, en plus du socle commun (conciergerie, maintien de l’autonomie à domicile, etc.) et à un format de résidences plus compact. « Si la nécessité d’implanter de nouvelles résidences seniors ne se discute pas, il faut être en mesure d’anticiper et s’adapter à des besoins plus hétérogènes, avec une profondeur de services plus ou moins grande, selon les attentes de chacun, en fonction des territoires », soutient Julien Bey, directeur général de Domitys Invest. L’offre de services est ainsi questionnée et mise en regard de la performance économique du modèle d’exploitation des résidences. « Ce travail de segmentation est induit par la nouvelle donne du marché immobilier – la cherté des fonciers, la hausse des coûts des matériaux ainsi que l’inflation des normes de construction – et la nécessité d’assurer un niveau de rentabilité pérenne, tout en répondant durablement aux différents besoins de notre clientèle », précise le directeur.
L’élargissement de sa gamme permet aussi à Domitys de rendre l’investissement accessible à une plus grande diversité de profils d’investisseurs, avec, notamment, des tickets à partir de 125 000 euros. Pour son opération de Senlis, le groupe propose une résidence de cent-trente-trois appartements, du T1 (à partir de 131 000 euros) au T3 (à partir de 261 000 euros) située au cœur d’un écoquartier entouré de plusieurs forêts et espaces verts. Le groupe accompagne également les investisseurs sur le marché “
secondaire qui se développe à mesure que le parc gagne en maturité, laissant à penser que la baisse du nombre de programmes neufs sera compensée par une hausse des opérations de recyclage (cf. encadré ci-dessous) et de seconde main.
Consolidation du marché
Le rachat du réseau Les Essentielles (ex-Clariane/Korian), en juin dernier, par le groupe Duval (groupe Odalys) témoigne de la concentration et de la consolidation du marché. Happy Senior, la filiale du groupe Odalys, gère désormais vingt-cinq résidences et deux mille trois cents logements pour seniors autonomes en France. Une croissance externe nécessaire pour atteindre une masse critique et réaliser des économies d’échelle. « Nous avons débuté il y a cinq ans avant cette acquisition, nous avions un total de sept établissements en exploitation et nous visons aujourd’hui le top 5 des résidences seniors en France », annonce James Galland, directeur général d’Odalys City, d’Odalys Campus et de Happy Senior. Une stratégie de développement qui n’exclut pas, pour autant, une grande sélectivité sur les actifs immobiliers. « Sur deux cents dossiers de promotion reçus, nous en validons cinq qui correspondent à notre cahier des charges », assure le directeur.
« L’intégration des Essentielles vient compléter et enrichir notre offre, renforcer notre maillage du territoire, en particulier en Ile-de-France, et nous permet de mettre place des logiques commerciales ambitieuses, ajoute James Galland. Nous mettons l’accent sur la qualité des animations et des logements, tous équipés de domotique pour optimiser la sécurité des résidents, réduire les délais d’intervention en cas de chute et assurer la connexion à distance avec les proches. »
Afin de casser l’isolement social des seniors, Happy Senior œuvre à « faire entrer le monde extérieur » à l’intérieur des résidences en nouant des partenariats avec des associations locales.
Ehpad et soins médicaux
et de réadaptation (SMR)
Avec une population de plus de quatre-vingts ans qui va doubler d’ici 2050 en Europe, l’accompagnement du grand âge est un enjeu majeur de nos sociétés occidentales.
En France, le numerus clausus imposé par les agences régionales de santé (ARS) sur la création de nouveaux établissements de santé oriente les investisseurs vers la rénovation plutôt que vers la construction. « Une opération se déclenche souvent lorsqu’un établissement ferme dans une région pour fusionner avec un autre, ou lors de changement d’opérateur », indique Frédéric Delleaux, Founding Partner de Lifento qui consacre un tiers de son fonds européen dans des opérations core+ et value-add, visant à repositionner les actifs de santé vieillissants.
Détenant 400 millions d’euros d’actifs sous gestion, le pure-player investit à 50 % dans les Ehpad, en France et en Europe, principalement en Espagne, Italie et Portugal où les réserves de foncier sont présentes et les taux d’équipements encore faibles, au regard de la demande. Il a récemment acquis un terrain à Cascais, près de Lisbonne, au Portugal, pour construire une maison médicalisée de cent-vingt chambres, livrée fin 2026.
Le scandale d’Orpea a eu la vertu de rationnaliser et d’apurer le marché qui a démontré sa résilience, échappant à une dévalorisation drastique des valeurs de parts et d’actifs. Le rendement prime des Ehpad dépasse les 5 %. « Les primes de risque sur l’immobilier sont en train de se reconstituer et le secteur de la santé renoue avec ses niveaux de rentabilité d’avant-crise. Les opérateurs sont en demande d’accompagnement pour développer de nouvelles infrastructures de santé », assure Frédéric Delleaux.
Un investissement qui fait sens
Partenaire de LNA Santé plus de trente ans, Fidexi commercialise des programmes neufs en Ehpad, dotés des dernières normes thermiques et environnementales réglmentaires.
Pour Alban Gautier, directeur général de Fidexi, l’investissement en Ehpad fait sens. « La stratégie de l’Etat de favoriser la rénovation du parc existant, dont une grande partie des établissements sont publics et associatifs, est à court terme. Ils ne disposent pas d’une taille suffisante pour rentabiliser le modèle. Il faut, avant tout, restructurer le parc », soutient le directeur général.
LNA Santé et Fidexi rachètent et transforment les petites unités en établissements d’une centaine de lits. « La France aura besoin de construire mille Ehpad par an et de cent mille places supplémentaires par décennie pour assurer la prise en charge des plus de deux millions de personnes âgées dépendantes en 2040 », ajoute-t-il.
Moyennant un ticket de 200 000 à 450 000 euros dans le neuf, l’achat d’une chambre en Ehpad assure un loyer pérenne, assorti des avantages du dispositif LMNP (amortissement de la valeur du bien).
Convaincus que la mutualisation est la clé d’un meilleur niveau de services pour les résidents, Fidexi et LNA lancent, au mois d’octobre, la commercialisation d’un pôle de santé à Serris, en Seine-et-Marne, déjà en exploitation, accueillant, sur un même site, un Ehpad de cent-vingt lits, un établissement de soins médicaux et de réadaptation (SMR) et une antenne centre d’hospitalisation à domicile (HAD).
Ehpad domiciliaire
Historiquement présent sur le marché médico-social, Linkcity travaille main dans la main avec les ARS et les bailleurs sociaux pour développer des projets à vocation sociale.
En Nouvelle-Aquitaine, l’opérateur lance, en partenariat avec Action logement, le concept d’Ehpad domiciliaire, au cœur de la commune de Champniers, en Charente : un nouveau concept qui vise à améliorer la prise en charge des résidents grâce à un écosystème de professionnels de santé, psychologues et experts en accompagnement des vulnérabilités. « L’Ehpad domiciliaire agrège plusieurs équipements, dont une partie est ouverte sur l’extérieur, redonne un nouveau souffle au modèle et préfigure de son évolution », explique Xavier Tachene, directeur du développement Nord-Est de Linkcity.
L’Ehpad de Champniers sera accolé à une maison de santé. Il accueillera cent-sept logements, d’une superficie de vingt-deux mètres carrés par chambre, regroupés en unités de vie de quatorze à seize chambres pour un meilleur confort de vie au quotidien. Les unités comprennent chacune un espace thématique avec salon de lecture et salle de musique d’environ 30 m2, une salle de restauration d’environ 35 m2 équipée d’une cuisine aménagée, des locaux de service et techniques dédiés. Les espaces communs ont été conçus pour être de véritables lieux de vie et d’interactions (pôle de soins et de bien-être, pôle administratif, services des soins infirmiers à domicile), ainsi que des services et tiers-lieux (brasserie, coiffeur, salle polyvalente, etc.) accessibles à tous.
Dans un souci d’élargissement de l’offre, Linkcity travaille également activement sur des produits connexes avec ses partenaires, tels que Domani, pour proposer de nouveaux formats immobiliers. « Nous réfléchissons à l’étape intermédiaire entre la résidence seniors et l’Ehpad, sous la forme de maisonnées aux équipements plus modestes, mais sous la surveillance d’un personnel médical », indique le directeur, convaincu qu’il n’existe pas une seule réponse à l’accompagnement du grand âge mais, au contraire, qu’une palette de produits immobiliers et de structures dédiées à la fin de vie sera amenée à se développer. “
Investir dans
la pierre-papier
Pourvue d’un portefeuille de deux-cent-soixante immeubles de santé, d’une valeur de 3 milliards d’euros, la SCPI Pierval Santé de la société de gestion Euryale, qui investit sur l’ensemble du secteur (Ehpad, résidences seniors, soins médicaux et de réadaptation, et coliving), accompagne le développement des exploitants qui font le choix d’externaliser leur immobilier pour privilégier des opérations de croissance. Elle finance aussi les opérations de construction pour le compte des acteurs de la santé. « Nous recevons de plus en plus de demandes de professionnels qui préfèrent mobiliser leurs fonds propres dans leur activité plutôt que dans les murs », constate David Finck, directeur général d’Euryale.
Une tendance qui s’est accrue avec la hausse des taux de financement. Pierval Santé a bouclé une année 2023 sur une collecte brute exceptionnelle de plus 400 millions d’euros et délivré un rendement de 5,10 %. Pour 2024, la société de gestion anticipe un tassement de 200 millions d’euros, sur un marché de la pierre-papier en baisse de 50 %. « Nous accordons la priorité à la protection du capital investi par nos associés, avec le maintien du prix de la part et une valeur de reconstitution stabilisée, malgré les divers chaos subis par le marché. Nous adaptons notre stratégie d’acquisition à notre collecte en attendant la reprise du marché en 2025, dopée par la baisse des taux », prévient David Finck qui n’exclut pas d’opérer quelques arbitrages et repositionnements de ses actifs sous gestion. Euryale prévoit, par ailleurs, de s’ouvrir aux investisseurs institutionnels sur ses fonds propres (caisses de retraite, mutuelles, banques) sous la forme de clubs deals. « Nous souhaitons faire coexister une offre de véhicules 100 % dédiés aux institutionnels, en parallèle de notre offre retail, via nos SCPI et contrats d’assurance-vie », annonce le dirigeant.
Un fonds paneuropéen dédié aux seniors
Présent depuis 2011 en France et 2006 en Allemagne sur le marché des seniors, Swiss Life AM France a lancé, fin 2018, le fonds paneuropéen SL REF (LUX) European Healthcare SCS, SICAV-SIF spécialisé dans le secteur de la santé, géré par Swiss Life Asset Managers Luxembourg, qui se concentre sur les actifs core/core+, avec un focus initial sur les Ehpad et les résidences seniors.
Le fonds qui compte aujourd’hui quarante-deux actifs, dispose de quatorze résidences services senior et vingt-deux Ehpad ou équivalents. La stratégie du fonds propose une vision globale, tout en gardant une approche locale : le choix de l’exploitant, la gestion dans les établissements et la rencontre régulière avec les directeurs d’établissement sont primordiaux. « Nous mettons en place une approche partenariale avec les exploitants afin de créer un environnement de confiance pour les accompagner dans leur développement. Cette conviction de gestion répond non seulement aux évolutions démographiques, mais également à la nécessité d’être de plus en plus actifs dans l’approche du soin développée dans les établissements dont nous sommes propriétaires. Un investisseur en santé pouvant difficilement se détacher de l’opérationnel toujours délicat lorsqu’il concerne une population fragilisée par l’âge », explique Valérie Maréchal, Head Resi&Care de Swiss Life AM France.
Outre la diversification des opérateurs, la dimension internationale de ce fonds permet à Swiss Life AM de tirer profit des expériences et « best practices » hors de France, notamment en Allemagne, où le concept d’Ehpad sélectionné dans le portefeuille « se rapproche davantage du coliving, réunissant des petits groupes de six ou huit personnes par unités de vie, selon leur niveau de dépendance et pathologies, pour créer un effet “cocon”, dans une logique de communauté », explique Valérie Maréchal.
Pour celle-ci, la transformation des Ehpad en France reste à faire, mais demeurera difficile, compte tenu des contraintes financières et réglementaires pesant sur les établissements. « Nous considérons que l’Ehpad restera un maillon indispensable pour l’accueil de la dépendance, mais il doit retrouver une image positive pour tous : résident, famille, soignants. N’oublions surtout pas qu’une grande partie des établissements réalise aujourd’hui un travail d’accueil et de soin remarquables hors des feux de l’actualité ayant stigmatisé, à raison, les mauvaises pratiques », précise-t-elle.
Sur le plan architectural, le parc d’actifs vieillissants, plus adapté aux critères ESG, va devoir être rénové et peut-être à cette occasion reconfiguré pour rendre ces lieux conformes aux nécessités environnementales, tout en gommant la coloration hospitalière qu’ils ont encore.
En ce qui concerne les soins, le fonds ouvre désormais ses investissements aux actifs de soins purs (cliniques) de réhabilitation (SMR) et aux actifs spécialisés (psychiatrie), secteurs dans lesquels la population des seniors est présente. Enfin, pour financer la dépendance, Valérie Maréchal considère les pistes assurantielles et l’épargne longue, comme des marchés à approfondir afin que chacun, selon ses moyens, puisse être acteur de son vieillissement. “
Vieillir à domicile
Préféré par la majorité des Français en capacité de vivre de façon autonome, le « bien-vieillir chez soi » ouvre un marché prometteur aux solutions d’investissement en viager ou nue-propriété.
« La nue-propriété permet soit à un senior de monétiser son capital immobilier pour financer son bien vieillir et répondre à ses besoins patrimoniaux – anticipation de la succession et donations de liquidités à ses descendants –, soit de développer du parc locatif subventionné par la collectivité – opérations développées avec des usufruitiers de type bailleur social », résume Amaury de Calonne, cofondateur et président de Monetivia.
Le groupe commercialise, depuis 2017, le contrat Monevitia, adossé à la compagnie d’assurance Allianz, qui vise à supprimer les aléas liés à la durée variable de conservation du bien. En cas de décès prématuré du vendeur, les héritiers reçoivent une indemnisation correspondant aux années d’usufruit dont ce dernier aurait dû bénéficier. L’acquéreur qui finance cette indemnisation récupère alors la pleine propriété.
Si le vendeur est encore vivant au terme de la période prédéfinie, il garde un droit d’usage et d’habitation et peut jusqu’à son décès continuer à vivre dans son logement. La compagnie d’assurance Allianz prend alors le relais et verse à l’acheteur une rente mensuelle. Au terme de l’opération, l’acheteur récupère la pleine propriété, sans droits ni frais à payer. « Dans un contexte de marché où les volumes et valeurs de l’immobilier tendent à la baisse, l’investissement en nue-propriété fait office d’amortisseur, grâce à la décote initiale, qui couvre 100 % des loyers à venir », soutient le président.
Pour les investisseurs, c’est aussi un moyen d’éviter les coûts superflus (taxe foncière, charges de copropriété), la fiscalité et les aléas de la location.
Les multiples options
du viager
Le bien-vieillir à domicile implique de maintenir un niveau de vie équivalent. Une gageure face à la stagnation du montant des retraites et à l’inflation.
Pour lutter contre la paupérisation des seniors et les accompagner dans leurs nouveaux besoins (adaptation du logement aux handicaps, soins ou repas à domicile, départ vers une résidence seniors, etc.), le viager offre plusieurs solutions d’investissements.
Le viager occupé, d’une part, qui permet le maintien à domicile du senior. « Ce dernier dispose d’un bouquet et d’une rente tous les mois, pour améliorer son quotidien, protéger son conjoint, aider sa descendance et anticiper sereinement le financement d’une éventuelle dépendance (maison de retraite médicalisée ou non). L’investisseur, de son côté, bénéficie d’une décote d’occupation calculée sur l’espérance de vie statistique du vendeur. Par exemple, pour un bien d’une valeur vénale de 350 000 euros à une femme seule de soixante-et-onze ans, la décote d’occupation sera de 54,6 %, le bouquet à verser, de 50 000 euros et la rente viagère de 544 euros par mois », calcule Sophie Richard, fondatrice du réseau Viagimmo, devenu entreprise à mission le 1er septembre dernier.
Le viager libre, d’autre part, représente, aujourd’hui 20 % à 25 % des ventes en viager. « C’est une solution attractive très recherchée par les primo-accédants ; c’est souvent la seule possibilité d’accéder à la propriété », note la fondatrice. En viager libre, l’acquéreur débirentier dispose entièrement du bien : il peut, dès la signature de la vente, emménager dans le logement ou le mettre en location. En contrepartie, il est responsable et redevable de tous les travaux, charges et frais d’entretien. Il paiera tous les impôts dus au titre de propriétaire.
Une troisième option, lancée par Viagimmo en 2021, se dessine dans le viager mixte. « Dans une maison à étages, le rez-de-chaussée est occupé par le vendeur, en viager occupé, et le premier étage est vendu en viager libre avec, pour chacun des niveaux, une entrée indépendante », décrit Sophie Richard. Née du constat qu’il devenait de plus en plus difficile, pour les investisseurs d’acquérir l’intégralité de la propriété, en raison de la hausse des taux mais aussi que la société était prête pour la cohabitation intergénérationnelle, cette alternative au viager permet à l’acquéreur de s’installer tout de suite dans son bien, et au vendeur de percevoir une rente. Par exemple, le prix d’un viager libre pour une maison valorisée à 300 000 euros, occupée “ par une femme de soixante-quatorze ans, s’élèvera à 75 000 euros, après une décote de 50 % sur la valeur du viager occupé (150 000 euros).
SCI en démembrement viager
Accessible au sein de contrats d’assurance-vie en unité de compte, la SCI Viagénérations, gérée par Turgot Asset Management, entité du groupe Magellim, s’est spécialisée dans le démembrement en viager qui repose sur un modèle 100 % bouquet. « Au moment de la signature, le vendeur dispose immédiatement de la somme maximale tirée de la vente de son patrimoine et peut l’utiliser selon ses besoins. Ce montage inscrit le fonds dans l’objet social du maintien des seniors à domicile et de la hausse de leur pouvoir d’achat », explique Florence Roche, directrice de la gestion immobilière de Turgot AM, pour qui le fonds aligne les intérêts du vendeur et des investisseurs. « D’un côté, le senior reste chez lui et est accompagné, s’il le souhaite, par notre gestionnaire, dans la réalisation de gros travaux dans son logement. De l’autre, les porteurs de parts bénéficient d’un investissement diversifié, sur une classe d’actifs résidentiels haut de gamme et résiliente », ajoute-t-elle.
Au premier trimestre 2024, le fonds a réalisé 20,7 millions d’euros d’investissement et acquis vingt-sept nouveaux biens affichant une décote moyenne à l’achat de 44 %, contre 39 % depuis la création du fonds. Son portefeuille compte désormais cinq-cent-vingt-quatre actifs immobiliers (35 % de maisons et 65 % d’appartements), dont la valeur moyenne de nue-propriété s’élève à 1,24 million d’euros. La valeur d’expertise globale du patrimoine progresse de 0,65 %.
La SCI a délivré l’une des meilleures performances des unités de compte en 2023, à 3,46 %, et compte maintenir cette trajectoire en 2024 – la performance s’élevait à 3,08 % au 1er septembre –, pour une performance annualisée dépassant les 5 %.
En 2025, la société de gestion prévoit d’investir davantage, à la faveur d’une détente du marché immobilier et d’un redémarrage des programmes.
Coliving senior
Captant 428 millions d’euros d’investissements en 2023, en hausse de 32 % sur un an, le coliving tire le marché du résidentiel géré.
Sur ce segment, l’habitat partagé dédié au senior prend son essor à travers des produits immobiliers innovants et disruptifs, à l’image de Neoz, une offre lancée par Linkcity, en partenariat avec le groupe Lefeuvre, et conçue pour intensifier les liens entre les résidents. Les logements, clé en main, sont équipés pour un usage maximisé, prolongés de services qui facilitent le quotidien, dans des lieux animés (espaces partagés), propices à la rencontre et aux interactions, mais dans lesquels la sociabilité reste choisie et l’intimité totalement préservée.
Né il y a quinze ans, le spécialiste du service d’aide et d’accompagnement à domicile Chez Jeannette propose, lui aussi, des prestations de services ménagers pour garantir le confort des habitants, ainsi que des prestations d’aide à l’autonomie. L’entreprise développe un modèle d’habitat partagé et accompagné, permettant aux seniors de préserver leur autonomie tout en leur offrant un cadre de vie épanouissant et sécurisant. Ces résidences à taille humaine se situent à proximité des services et des infrastructures de la ville, dans un environnement socialement mixte et riche.
A Colombes, dans les Hauts-de-Seine, la maison Chez Jeannette de 500 mètres carrés accueille une dizaine de colocataires seniors et trois salariés à temps-plein, vivant en permanence sur les lieux. Le reste à charge, pour les résidents, s’élève entre 3 500 et 4 000 euros.
Une alternative à l’Ehpad
Créée en 2016, l’entreprise de l’économie sociale et solidaire (ESS) CetteFamille, partenaire du groupe Hexaom, se positionne, depuis 2021, comme une alternative à l’Ehpad pour héberger les personnes âgées ou dépendantes dans des colocations de six à dix personnes, accompagnées par des professionnels 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. « Nous devons ce service à nos aînés et tenir la promesse de respecter leur choix de vivre chez eux, le plus entouré possible et au sein d’un bâtiment adapté à la perte d’autonomie », affirme Paul-Alexis Racine, président de CetteFamille.
Chaque maison accueille des aides à domicile diplômées, issues d’associations locales, qui trouvent un intérêt à travailler à temps plein, soit trente-cinq heures, dans un seul et unique lieu. “ « Cette présence quotidienne leur permet de tisser des liens avec les résidents, de prendre le temps de s’occuper d’eux et d’éviter, ainsi, tout geste de maltraitance, tout en améliorant leur qualité de vie et de travail », assure le président.
Côté immobilier, CetteFamille cible les belles maisons à rénover, avec un patrimoine historique (anciennes mairies, presbytères, etc.) et situées en centre-bourg et centre-ville. Son parc compte, à ce jour, soixante-dix maisons, réparties sur quarante départements, dans des zones semi-rurales et des villes ne dépassant pas les cinquante mille habitants. « Ce modèle économique fonctionne dans les villes où la population n’est pas suffisamment dense pour construire un Ehpad ou une résidence seniors », note le président. Chaque maison dispose d’un jardin, d’un ascenseur et n’excède pas le R+3.
L’enveloppe dédiée aux acquisitions (travaux compris) se chiffre entre 600 000 et 1 million d’euros. Une quote-part du loyer est reversée aux investisseurs-propriétaires de la maison. CetteFamille assure, pour sa part, la gestion et l’occupation des lieux, en « facilitateur et organisateur de vie partagée ».
Enfin, le socle des services et activités de base est fixé par les colocataires eux-mêmes, selon leurs besoins. De la zoothérapie au scrapbooking, en passant par le yoga, la cuisine et le jardinage, « ils ont un pouvoir de décision sur tout », insiste Paul-Alexis Racine qui ambitionne d’être présent dans cent départements français et d’atteindre les cinq cents maisons, à raison de cinq par département.
Résidences intergénérationnelles
L’idée de faire cohabiter les jeunes et les seniors fait son chemin. Avec l’offre Générations Part’Ages, Domitys propose, depuis 2017, dans plus d’une trentaine de ses résidences, un logement équipé tout confort aux étudiants, contre quinze heures par semaine en tant qu’assistant animation auprès des résidents.
De la même façon, en 2024, les résidences seniors Nohée (ex-Cogedim Club) et Colibree Intergénération ont renforcé leur partenariat permettant à de jeunes étudiants de vivre dans les résidences Nohée pour un loyer minoré en échange de temps passé de quatre à six heures par semaine auprès des seniors.
Fortes du succès rencontré en 2023, les deux entreprises ont doublé le nombre de résidences participantes. Depuis le mois de septembre, dix-sept étudiants participent ainsi à la vie des seniors. « Avec Colibree Intergénération, Nohée répond aux problématiques du logement et d’isolement des étudiants en leur proposant un appartement de grande qualité et un libre accès aux parties communes (espace fitness, piscine, bibliothèque) de la résidence », explique Jérôme Navarre, directeur général de Nohée. Les résidences sont également invitées à passer des accords avec des crèches ou des centres aérés pour organiser des échanges réels avec les autres générations.
Altarea vise l’ouverture d’une trentaine de résidences Nohée, dont une dizaine, en cours de construction, seront livrées en 2025 et 2026. Le groupe s’intéresse aussi bien aux métropoles qu’aux villes moyennes, et regarde particulièrement la façade atlantique. Le prix des logements varie selon l’emplacement des résidences, de façon à accueillir 40 % des populations de seniors par zone de chalandise. Et pour rester accessibles au plus grand nombre, les résidences Nohée n’intègrent pas les services à la personne dans leur offre. « Nous sélectionnons des emplacements où les services sont à proximité des résidents et nous faisons appel à des prestataires externes de qualité », précise le directeur.
Une nouvelle résidence Nohée de quatre-vingt-treize logements ouvrira ses portes au cœur du centre-ville de Vichy, dans l’Allier, à deux pas du renommé quartier thermal qui accueille le palais des Congrès, l’opéra et le parc des Sources. Le programme affiche un taux de rentabilité annoncé à la vente de 4,5 %.
Financement participatif
Si les formats pour accueillir le grand âge se diversifient, de nouvelles solutions de financement, en marge du LMNP, se mettent également en place pour investir sur le marché.
La plate-forme de financement participatif Upstone s’intéresse ainsi aux résidences intergénérationnelles depuis 2017, dans le cadre de la promotion immobilière. « Le fait de mélanger les âges pour recréer un petit village au sein des résidences permet d’alléger les contraintes d’urbanisme, de faciliter l’autorisation d’un nouveau projet et de baisser le niveau de charges », explique Arnaud Romanet-Perroux, fondateur d’Upstone.
La plate-forme a financé la promotion d’une opération de résidence intergénérationnelle à Rosheim, dans le Bas-Rhin, avec l’opérateur Alfa. « Nous avons financé ce programme en format promotion, et les investisseurs ont touché un rendement de 12 % par an pendant dix-huit mois », indique le fondateur.
Selon Arnaud Romanet-Perroux, l’investissement dans un produit de coliving s’inscrit dans une stratégie de construction de portefeuille. Pendant la durée de détention, le rendement délivré s’élève à 8 %, mais une fois que l’actif atteint une taille critique, le taux de rendement interne (TRI) à la revente peut atteindre les 10 % à 12 %. En outre, le concept permet de revaloriser les grandes surfaces parfois inutilisées et de maintenir leur valeur en augmentant le loyer par habitant. « Dès lors que l’on ajoute de l’exploitation dans un produit immobilier, on le valorise », rappelle-t-il.
L’Ellipse : une opération de recyclage à Paris
Portée par Crédit agricole immobilier et financée par Amundi Immobilier, l’opération de recyclage des bureaux de la brigade financière de la préfecture de police de Paris, situés rue du Château des Rentiers, dans le XIIIe arrondissement de Paris, a donné naissance à la nouvelle résidence services seniors L’Ellipse, exploitée par Domitys. Ce programme de neuf mille mètres carrés, dont sept mille d’espaces verts, se compose de cent-trente-quatre logements, d’un salon de coiffure, d’un restaurant, d’une piscine et d’un rooftop. Avec ses prestations proches de l’hôtellerie, cette résidence haut de gamme bénéficie d’un emplacement privilégié dans Paris intra-muros, assurant aux seniors urbains, une continuité dans leur style de vie, grâce à la proximité des services, transports (métro, RER, bus) et commerces. Une équation économique rendue possible par le coût du foncier initial du bâtiment. « Il s’agissait d’un immeuble de bureaux obsolète, fortement dévalorisé et disposant d’une forte réserve de constructibilité. Autant d’éléments combinés qui ont permis l’équilibre économique de la résidence », explique Thomas Péridier, directeur de la promotion tertiaire de Crédit agricole immobilier. Construit à la fin des années 1970, l’édifice a fait l’objet d’un curage et d’un désamiantage en 2019, suivis de deux ans de travaux de restructuration et d’extension. Fin 2023, l’immeuble a été livré à Domitys, et début 2024, L’Ellipse a accueilli ses premiers résidents.
Emergence des résidences à vocation sociale
Longtemps réservées aux CSP++, les résidences seniors ont pris le virage du social. De nombreux acteurs du secteur à but non lucratif cherchent aujourd’hui à monter des projets d’établissements à vocation sociale. En octobre 2018, CDC Habitat et Les Villages d’Or ont signé un accord portant sur la construction et la gestion de résidences de logements sociaux dédiés aux seniors pour les cinq prochaines années (soit environ trois mille cinq cents logements). Pour Edouard Fourniau, directeur général délégué de Consultim Groupe, « une redéfinition des besoins des seniors, recentrés sur des services essentiels », s’impose. Le groupe a lancé deux opérations exploitées par API Résidence, structure rattachée à l’association API Provence centrée sur l’accompagnement social et récemment intégrée au groupe Batigère. Ces logements, plus petits que la moyenne, proposent des parties communes rationnalisées, de l’ordre de trois cents mètres carrés. Les prestations repas sont mutualisées, voire déléguées, afin d’écraser les tarifs et de toucher les seniors bénéficiaires d’allocations logement. De la même façon, Linkcity travaille avec les opérateurs sociaux pour adapter son offre immobilière au public ciblé. Le groupe s’intéresse tout particulièrement à l’évolution du logement locatif intermédiaire, notamment portée par CDC Habitat, à destination des seniors et des étudiants. « Un gisement de marché incroyable qui nous permettrait d’accompagner de façon qualitative les populations seniors modestes mais qui n’appartiennent pas au parc social », selon Xavier Tachene, directeur du développement Nord-Est de Linkcity.
La gestion d’un patrimoine ne se limite pas à sa valorisation. Il faut aussi prendre les bonnes dispositions pour protéger au mieux ses proches et son entreprise. Explications et solutions.
En France, 15 % des décès ont lieu avant soixante-cinq ans (1). On dénombre aussi près d’un million de personnes recevant une pension d’invalidité (2). Ces deux statistiques mettent les pieds dans le plat de la prévoyance, le parent pauvre de la gestion de patrimoine dans les pays latins, France incluse donc. « La prévoyance est un sujet qui fait peur, que les gens ont tendance à repousser, sur lequel ils sont aussi mal informés, et qu’ils perçoivent comme une charge financière, analyse Jean-Baptiste Omnes, directeur de la prévoyance chez MetLife. On préfère couvrir ses biens que sa personne, c’est une erreur ! Pour inverser la donne et susciter une prise de conscience, il faut se poser les bonnes questions. Si je suis gravement malade et/ou invalide, avec l’impossibilité de travailler, quels seront mes revenus ? Et pendant quelle durée je pourrais ainsi tenir ? Si je décède, qu’est-ce que je laisse à ma famille pour vivre ? Et pendant combien de temps cela lui suffira-t-il ? Chacun devrait se poser ces questions régulièrement, aller chercher les infos auprès du service ressources humaines de son entreprise pour les salariés, auprès des régimes obligatoires pour les travailleurs non-salariés, ou de son assureur, en amont et non une fois le sinistre survenu. Au vu des réponses, sans prendre de dispositions complémentaires, beaucoup de ménages s’apercevront de l’insuffisance de leur couverture, tant la prévoyance est la grande absente des systèmes de protection français. »
La chasse aux idées reçues
Le décor est posé. Mais envisager le pire n’étant pas très agréable, peu de gens veulent entreprendre un tel bilan prévoyance. Puis dans l’imaginaire collectif, la protection sociale reste globalement du ressort de l’Etat et va pourvoir à l’essentiel. C’est loin d’être le cas. Illustration avec les prestations publiques en cas de décès : la Sécurité sociale verse aux ayants droit d’un salarié décédé un maigre capital de 3 910 euros (montant 2024). Une somme portée à 9 273 euros pour les travailleurs non-salariés (TNS). Quant aux fonctionnaires décédés avant l’âge légal du départ à la retraite, ses ayants droit perçoivent sa dernière rémunération annuelle (indemnités comprises). Même si elles ne sont pas fiscalisées, ni soumises aux cotisations sociales et droits de succession, ces sommes seront-elles suffisantes pour la famille ? Probablement pas.
Foi de sondages, le déficit d’information sur cette thématique est important dans toutes les strates de la population. Exemple : selon le récent baromètre MetLife-CSA 2024 sur la prévoyance des TNS et dirigeants de TPE, ces derniers « se sentent mal protégés par leur régime obligatoire (en moyenne 70 %), mais très peu d’entre eux connaissent leur niveau de couverture réel (19 % pour le décès et 31 % pour les indemnités journalières). » Les pharmaciens, vétérinaires ou notaires savent-ils par exemple qu’ils ne perçoivent aucune indemnité journalière après quatre-vingt-dix jours suite à un arrêt de travail ? Au manque d’informations s’ajoute son lot de confusions. Les régimes publics obligatoires, nous l’avons vu, sont insuffisants. Et chacun de s’en remettre aux assurances privées.
Quid de la complémentaire santé pour commencer ? Elle ne prend en charge que le remboursement des frais de soins. De la garantie conducteur de l’assurance auto ? Elle attribue bien un capital aux proches en cas de décès de l’assuré, mais uniquement si ce dernier a eu un accident avec son véhicule. De la carte bancaire ? Une couverture décès y est parfois incluse, mais limitée à un accident en lien avec l’utilisation de la carte. Quid enfin de la responsabilité civile de la multirisque habitation ? Elle ne couvre que les dommages causés par l’assuré à autrui. Autant de protections très partielles…
Les TNS… et les retraités
Pour y voir clair sur sa protection globale (famille et professionnelle), il faut savoir changer son angle d’approche. « Le point de départ est de prendre conscience du risque décès/invalidité et de ses conséquences financières, fortement sous-estimées chez la plupart d’entre nous, appuie Amandine Rebecq, responsable marketing chez Alptis. Pour y parvenir, la situation professionnelle est un élément incontournable pour étudier sa protection financière. Les personnes à leur compte n’ont pas la même protection sociale que les salariés, ils sont rattachés à de multiples régimes, dont les prestations pour décès, invalidité, arrêt de travail sont très variables mais souvent insuffisantes. Le salarié est, lui, souvent couvert par un contrat collectif, encore faudra-t-il le vérifier, contrairement au cadre qui est systématiquement couvert, loi oblige, et ensuite faire un point précis sur le contenu des garanties. »
Rappelons ici que la convention collective des cadres (du 14 mars 1947) oblige les employeurs à consacrer au minimum 1,5 % des salaires au financement d’une assurance-décès. Les capitaux perçus peuvent représenter jusqu’à 400 % du salaire brut annuel, avec des majorations possibles dans certains contrats de prévoyance collective. Attention, cette couverture est facultative pour les non-cadres, et bien sûr, ne dure que tant que le salarié travaille !
Et les retraités ? « A la retraite, la prévoyance a encore du sens même si le coût est plus élevé compte tenu de l’âge des assurés, souligne Delphine Sibony, directrice générale de Nevidis. Le but est ici de sécuriser la transmission du patrimoine, en permettant par exemple aux héritiers de pouvoir régler tout ou partie des droits de succession sans devoir vendre le patrimoine immobilier dans l’urgence. » C’est, en effet, l’objectif prioritaire des seniors, même si les contrats obsèques et dépendance font partie de ce qui leur est proposé. « Pour le retraité, il est souvent tard pour souscrire certains produits de prévoyance dans les meilleures conditions, tant au niveau tarif que conditions médicales, comme une assurance-dépendance, complète Amandine Rebecq. C’est ici le niveau de patrimoine atteint et ses capacités financières qui vont, oui ou non, entraîner la souscription d’un produit de prévoyance individuel. »
S’assurer ou épargner ?
Par méconnaissance, mais aussi par frein psychologique – il est peu réjouissant d’anticiper sa mort ou son invalidité –, la protection familiale et professionnelle se retrouve donc au milieu du gué. Que faire ? « Inutile de tourner autour du pot, la seule réponse immédiate pour une protection solide et durable est l’assurance, affirme Jean-Baptiste Omnes. Seules les compagnies peuvent prévoir des garanties élevées face aux accidents de la vie. Nous sommes ici dans l’assurance pure, qui couvre des risques importants, avec une mutualisation des primes perçues. Partant de là, simplifions le discours en évitant de le rendre trop technique et allons droit au but. Il existe trois garanties de base en prévoyance que sont le décès, l’invalidité et l’incapacité de travail. C’est le pack de départ, pour lequel il faut avoir une protection, et qu’on va ensuite moduler selon sa situation. »
C’est l’avis de nombreux experts. Problème : l’assurance-décès est à fonds perdu, selon l’expression consacrée. En face, l’épargne est évidemment plus attrayante. Mais peut-on vraiment se protéger en mettant de l’argent de côté ? Beaucoup de pros y voient une fausse bonne idée, puisqu’épargner ne permettra pas de constituer un capital épais avant de nombreuses années. Illustration : si je verse 100 euros par mois dans un placement rapportant 3 % par an, j’aurai accumulé 22 624 euros au bout de quinze années. Et si je pousse à 200 euros par mois, ce sera 45 248 euros. Suffisant ? Non, l’enjeu n’est pas que mes proches disposent de quelques milliers d’euros pour payer les funérailles ou les droits de succession. Il est de ne pas alourdir leur douleur affective de charges financières lourdes et durables. Surtout, ce capital ne sera pas atteint avant de nombreuses années, alors que l’assurance décès couvre immédiatement (sauf délais de carence).
Une approche combinée est donc préférable, comme l’explique Gaultier Laurier, directeur des Solutions Patrimoniales chez Abeille Assurances : « La prévoyance a vocation à sécuriser des revenus immédiats, par la création de revenus de substitution qui viennent en complément des régimes obligatoires. Le but n’est autre que de maintenir le niveau de vie, mais aussi son cadre de vie, notamment immobilier avec une assurance de prêt efficace. Mais c’est un dispositif à fonds perdu, qui ne doit donc pas durer trop longtemps. C’est pourquoi il faut en parallèle organiser son épargne, construire son patrimoine avec une poche de trésorerie suffisante et disponible pour prendre le relais de la prévoyance. »
Pas de formule globale
Partant de là, il faut maintenant se frotter à l’offre du marché. Là, premier écueil : il n’existe pas un contrat global couvrant toutes les situations. Au contraire, l’ensemble est dispersé, avec de multiples produits, dont les garanties se chevauchent entre elles, donnant l’impression aux particuliers d’être assurés plusieurs fois pour le même risque.
Pour les assureurs, il y a ici un vrai travail de simplification à faire, nous ont confiés plusieurs courtiers spécialisés. Pour les familles, il faut partir de l’indispensable bilan à réaliser en cas de coup dur, une projection finalement assez simple à mener. Puis souscrire les contrats adaptés. Prenons l’achat immobilier, un moment fort de l’existence. L’acte de prévoyance élémentaire est de couvrir sa capacité à rembourser son emprunt, donc de s’assurer pour ce risque. Or, on constate que la question de l’assurance reste encore mal traitée, en bout de course lors de l’obtention du prêt. Une bonne couverture est pourtant indispensable, chacun imaginant facilement les conséquences en cas de décès ou d’invalidité de l’emprunteur.
Faire le tri est donc nécessaire. « Il existe des solutions assurantielles simples pour protéger le patrimoine personnel et professionnel, estime Delphine Sibony. Le bon choix va dépendre de la situation de la personne, tels que son âge, son statut professionnel, sa situation familiale, l’état de son patrimoine ou encore son état de santé. Il faut aussi se poser les bonnes questions. Prenons le cas d’un chef d’entreprise : il doit d’abord s’interroger sur les conséquences d’une incapacité de travail sur ses revenus, son train de vie et celui de sa famille. Mais il doit également protéger son patrimoine professionnel. »
Deux volets se dessinent ici. D’un côté, la famille, pour laquelle la couverture incontournable est l’assurance temporaire décès. Son objet est de laisser un capital substantiel à ses proches en cas de décès prématuré ou d’invalidité définitive. Son montant ? Chacun en décide à la souscription et le module si besoin par la suite. De l’avis des spécialistes, il faut compter au moins trois ans de salaire pour assurer la base de rémunération d’un foyer et lui permettre de se retourner. Et viser de 100 000 à 200 000 euros pour sécuriser son avenir. Le coût de “ cette assurance, si elle est bien choisie, est modeste, notamment pour les moins de quarante-cinq ans. Voilà pourquoi les actuaires disent qu’il s’agit d’une « grande protection à petit prix », qui plus est souple puisque modifiable/et ou résiliable chaque année.
Bref, l’assurance temporaire décès est adaptée à des besoins de couverture précis, limités dans le temps. C’est le point de départ de la prévoyance.
Autre volet, l’entreprise. Arrêt de travail prolongé, invalidité, décès, les accidents de la vie frappent aussi les dirigeants (salariés ou non), avec des conséquences lourdes pour leur entreprise comme pour leur famille. Une bonne protection passera par une mise à plat des enjeux et le recours à des outils, notamment assurantiels, adéquats. Pour protéger ses revenus, il suffit de souscrire une assurance couvrant l’arrêt de travail et l’invalidité. Des indemnités journalières seront alors versées, une rente en cas d’invalidité. Ce contrat est à la base de la protection du chef d’entreprise, notamment le TNS. Il existe aussi des contrats et garanties spécifiques permettant de protéger l’entreprise et la pérennité de son activité. Le contrat homme clé est une réponse adaptée pour sécuriser le compte de résultat, qui sera affecté par l’indisponibilité du dirigeant, et donc pour pérenniser l’activité de l’entreprise. L’assuré du contrat est bien le chef d’entreprise, mais le souscripteur est la personne morale, qui est destinataire des capitaux en cas de sinistre.
Citons encore le contrat croisé associé, qui permet de protéger tous les associés. Si l’un d’eux décède ou est invalide, un capital sera versé aux autres associés, leur permettant par exemple de racheter les parts des héritiers du défunt pour éviter une situation de blocage.
Des avantages méconnus
Sur le papier, une fois ces éléments factuels posés, chacun est convaincu de l’utilité, sinon de la nécessité de souscrire une assurance. Dans les faits, le passage à l’acte est loin d’être automatique.
D’où l’idée d’aller plus loin dans le discours. « Il faut rappeler certains points très attractifs des contrats de prévoyance, avance Gaultier Lauriau. D’abord, avec une assurance-décès, on désigne librement le (ou les) bénéficiaire du capital. Tout est ici possible, comme avec l’assurance-vie. On peut parfaitement rédiger une clause bénéficiaire démembrée entre le conjoint usufruitier et les enfants nus-propriétaires, même si c’est à éviter dans le cas des familles recomposées. Il est regrettable de constater que très souvent, les contrats de prévoyance sont souscrits avec la clause standard-type désignant le conjoint comme bénéficiaire. Ensuite, fiscalement, le capital-décès est en pratique exonéré de droits de succession dès lors que les primes sont versées avant soixante-dix ans. C’est donc une solution optimale pour laisser une somme d’argent significative à ses enfants, par exemple, pour qu’ils soient en mesure de régler les droits de succession, évitant ainsi de vendre les biens immobiliers laissés en héritage dans l’urgence. »
Après soixante-dix ans ? C’est cette fois l’article 757B du Code général des impôts qui s’applique, avec la réintégration dans l’actif successoral des primes versées après soixante-dix ans sur un contrat d’assurance (vie et décès) après un abattement de 30 500 euros. Exemple : Pierre, un assuré de soixante-treize ans, cotise à une assurance-décès. Sa cotisation annuelle s’élève à 2 500 euros pour une garantie de 120 000 euros. Sa fille est bénéficiaire du capital-décès. Mais il détient aussi une assurance-vie sur laquelle il a versé 100 000 euros après soixante-dix ans. A son décès, le contrat en vaut 150 000 euros. Quelle est la base taxable à son décès ? 2 500 euros de dernière prime annuelle sur l’assurance-décès et 100 000 euros au titre de l’assurance-vie, moins l’abattement de 30 500 euros, soit 72 000 euros taxés aux droits de mutation selon le degré parent-enfant.
Dans l’ensemble, la fiscalité appliquée aux produits de prévoyance est assez clémente. Bon à savoir : les capitaux de l’assurance-décès ne sont pas visés par les règles d’imposition aux prélèvements sociaux, conformément à l’article 125-0 A du Code général des impôts. Ajoutons, par ricochet, que les contrats d’assurance-obsèques sont soumis aux mêmes règles fiscales, puisque techniquement il s’agit d’assurances-décès. Idem pour les assurances de prêt immobilier : le remboursement du crédit n’est logiquement pas imposable. Reste la rente-éducation destinée aux enfants (à leur représentant s’ils sont mineurs). Elle échappe à l’impôt, ainsi qu’aux prélèvements sociaux, sauf dans le cas d’un contrat dont les cotisations ont déjà donné lieu à une réduction fiscale (contrat de prévoyance entreprise obligatoire ou contrat souscrit dans le cadre Madelin pour les non-salariés).
Concernant les TNS, ils ont accès au cadre Madelin, qui leur permet de déduire leurs cotisations du revenu imposable. Attention, l’imposition sera de mise pour les compensations de perte de revenus, y compris pour un contrat dont les cotisations n’étaient pas déductibles du revenu imposable, ce qu’a confirmé un arrêt de la cour d’appel de Nantes du 19 mars dernier (n° 23NT02189).
Les points d’achoppement
Malgré tout, plusieurs écueils retardent le développement de l’assurance-prévoyance en France. Au premier rang, la technicité des produits.
L’assurance est affaire de garanties. Il en est une qui ne porte pas à contestation – ou presque – : le décès. Pour les autres, c’est tout l’inverse. Les produits de prévoyance couvrent principalement des états d’invalidité, d’incapacité, de perte d’autonomie, etc.
Autant de mots qui peuvent être définis différemment d’un assureur à l’autre. Prenons la notion d’invalidité, source de nombreux litiges. La Sécurité sociale retient pour sa part l’invalidité d’un assuré social quand, après consolidation, son handicap lui a fait perdre au moins les deux tiers de sa capacité de gain ou de travail. Une personne ayant trois ans d’incapacité est du reste automatiquement placée en état d’invalidité. La Sécu détermine ensuite le niveau de cette invalidité, via un médecin conseil, avec trois catégories possibles (la troisième étant l’invalidité la plus sévère). Sauf que les assureurs ne sont pas tenus par cette évaluation de l’organisme public. Chaque compagnie a son médecin conseil qui va déterminer le taux d’invalidité de l’assuré, conformément à son contrat d’assurance. C’est pourquoi on peut être reconnu invalide par la Sécurité sociale et ne pas l’être pas son assureur privé. Ce dernier prend du reste en compte différents types d’invalidité (fonctionnelle, professionnelle) et combine l’ensemble pour indemniser ou non.
Un besoin de clarification semble nécessaire. Ainsi la garantie incapacité totale de travail (ITT)/invalidité permanente totale (IPT) correspond-elle à la prise en charge des échéances du prêt en cas d’incapacité de l’emprunteur à travailler. Mais dans le détail, que recouvre la couverture : franchise d’intervention (à partir de quand elle est active ?), nature de la prise en charge (indemnitaire ou forfaitaire ?), définition de l’incapacité (l’exercice de la profession de l’assuré ou de toute profession ?). Selon plusieurs experts, la garantie invalidité permanente totale n’est absolument pas normée d’un assureur à l’autre. Ce qui est évidemment source de litiges d’une part, et par ricochet de méfiance des particuliers.
Mais ce n’est pas tout. Les formalités de santé propres aux contrats d’assurance, avec des examens passé un certain âge, sont un obstacle au développement du marché. D’autant qu’elles peuvent aboutir à des surprimes substantielles pour l’assuré.
Quid du prix ?
Reste donc, nous y venons, la tarification des produits, avec des écarts significatifs entre les contrats (ce qui se constate au moyen des comparateurs en ligne), à garanties peu ou prou équivalentes. « Le tarif est bien sûr un élément important, voire un frein, dans la décision de s’assurer ou non », commente Amandine Rebecq. C’est du reste l’élément premier évoqué par 61 % des sondés dans le baromètre MetLife précité. « Nous sommes ici face à un achat contraint et non un achat plaisir, chacun y regarde donc à deux fois avant de s’engager, poursuit Amandine Rebecq. Pour autant, au regard des prestations financières et de services en cas de sinistre, le prix n’est pas très élevé, notamment pour les jeunes actifs. Surtout, il intègre un principe de mutualisation : votre cotisation servira en partie à aider financièrement quelqu’un si ce n’est pas vous (et tant mieux). Ajoutons que les contrats prévoyance incluent aussi de plus en plus des services associés et des actions de prévention, comme des ateliers gratuits pour prendre soin de sa santé, ce à quoi nous croyons fortement chez Alptis pour limiter les risques. »
Bien sûr, selon ses revenus, le prix aura plus ou moins d’impact. Selon le Baromètre MetLife-CSA, le taux d’équipement en prévoyance individuelle des TNS ressort ainsi à 79 % pour les revenus de 60 000 euros ou plus et à seulement 39 % pour les revenus inférieurs à 40 000 euros. Il faut aussi en relativiser la portée. « La cotisation à payer par l’assuré reste faible face au risque garanti, ce qui ne doit pas être un obstacle au développement des contrats de prévoyance, nuance Delphine Sibony. Plus on est jeune, moins les cotisations sont élevées. » A trente ans, la cotisation représente en moyenne 0,15 à 0,20 % du capital garanti avec une temporaire décès/invalidité. Soit 150 à 200 euros par an pour 100 000 euros garanti. A quarante ans, c’est deux fois plus. Et à cinquante ans, au moins cinq fois plus qu’à trente ans.
On le voit, l’âge influe significativement sur la tarification, le risque de décès/invalidité augmentant avec lui, l’état de santé dégradé pouvant aussi nécessiter des surprimes. A soixante ans, la cotisation est autour de 1,70 %. Soit, cette fois, 1 700 euros par an pour une couverture décès/invalidité à 100 000 euros. Et à soixante-dix ans, 3 450 euros par an (taux de cotisation à 3,45 %). « Le prix est un élément important, bien sûr, confirme Jean-Baptiste Omnes. Il sera d’autant plus élevé que l’assuré opte pour des garanties additionnelles et qu’il est âgé. Pour les seniors, la prévoyance n’est pas à écarter pour autant. D’abord, parce que nombre d’entre eux continuent de travailler après soixante-cinq ans ou pratiquent un cumul emploi-retraite. Ensuite, parce qu’il existe une problématique importante pour eux : les droits de succession que paieront les héritiers. Souscrire un contrat de prévoyance décès dans ce but est envisageable, d’autant qu’on peut aménager la clause bénéficiaire du contrat, avec une désignation libre, et que fiscalement, le capital sera exonéré d’imposition pour le(s) bénéficiaire(s). Notre contrat MetLife peut être souscrit jusqu’à quatre-vingt-cinq ans et couvrir le risque décès jusqu’à quatre-vingt-dix ans. »
Le devoir de conseil
Le tableau est complet, mais il y manque un élément : le professionnel. Que peut-on attendre de lui ? « En matière de prévoyance, le rôle du courtier est primordial à plusieurs titres, analyse Amandine Rebecq. D’abord, il saura poser au client les bonnes questions sur sa protection. Par exemple, il l’invitera à avoir une approche globale du risque et à prendre conscience des conséquences financières sur sa vie professionnelle, mais aussi familiale. Ensuite, il est à même de proposer les contrats adéquats, “
d’en lire les garanties et exclusions, et de savoir les expliquer. Le courtier connaît aussi les assureurs gestionnaires des contrats, leur capacité de réaction en cas de sinistre, leur expertise dans certains domaines précis, par exemple en matière de dépendance. En somme, le courtier est un relais nécessaire pour disposer d’une couverture prévoyance globale, notamment pour les actifs les plus exposés que sont les non-salariés. »
L’utilité, donc la valeur ajoutée, du courtier spécialisé est ici évidente. Mais tous les intermédiaires, notamment les CGP, ne sont ni aguerris ni séduits par la thématique prévoyance.
C’est un tort, selon Benoît Sébille, inspecteur expert prévoyance chez Abeille Assurances : « les CGP négligent encore trop souvent cette matière, qui les oblige à sortir de leur zone de confort. Notons qu’ils sont aussi globalement en lien avec une clientèle plus âgée, qui a déjà de l’épargne et pour qui la prévoyance coûte évidemment plus cher. Attention, un CGP ne doit surtout pas s’exonérer de traiter la prévoyance de son client et être en mesure de justifier son conseil en cas de problème, même si les exigences réglementaires sont ici moins formalisées que sur l’épargne. Il faut bien admettre que la prévoyance est à la gestion de patrimoine ce que sont les fondations à la construction. Reste qu’un cruel déficit d’informations empêche cette prise de conscience dans la population et chez de nombreux professionnels. Dommage, car le potentiel de progression du marché est énorme. Il faut notamment déverrouiller le marché de la clientèle moyen-haut de gamme et permettre aux CGP de rentrer sur une clientèle plus jeune, en devenir. Aux assureurs d’être inventifs dans leurs formations, avec des cas concrets, et de lever les freins techniques des régimes obligatoires et de leurs produits, mais aussi d’avoir un bon back-office pour gérer les sinistres, car dans cette situation, le CGP n’a plus la main. Si un sinistre est mal traité par l’assureur, le client pourra en tenir rigueur au conseiller et retirer son épargne. »
Dérouler la pelote nous mène in fine sur le terrain de la gestion de patrimoine. Et donc du devoir de conseil auquel sont tenus les professionnels. « En matière de prévoyance, on ne va pas aussi loin sur le devoir de conseil que sur l’épargne, constate Delphine Sibony. Les obligations formelles sont aujourd’hui quasiment inexistantes, alors qu’un devoir de conseil ne devrait pas s’envisager sans intégrer la prévoyance. Bien que les CGP aient compris l’importance de la prévoyance, socle de la gestion de patrimoine, ils n’en font pas encore un point essentiel de la planification patrimoniale en l’intégrant dans leurs analyses. L’écueil porte avant tout sur la mise en application des solutions à apporter. C’est ici que Nevidis intervient en prenant le relais du conseiller en gestion de patrimoine qui a détecté un besoin chez son client. Notre offre de produits est multi-assureurs, lui permettant de couvrir toutes les situations, et notre accompagnement avec des processus simplifiés via le digital et la prise en charge complète de la gestion des contrats par une équipe d’experts, déchargeant le CGP de toute intervention. »
Droit au but
Pour (re)donner à la prévoyance sa juste place, il faut finalement joindre les deux bouts du marché.
D’un côté, en proposant aux ménages une couverture adéquate. « Pour faire de la prévoyance efficace, il faut recourir à une offre de qualité gérée par un assureur expérimenté, résume Jean-Baptiste Omnes. Ce qui signifie d’avoir un contrat aux garanties claires et évolutif dans le temps. Et que l’assureur ait une expertise longue sur ce terrain, permettant de faire du sur-mesure, avec une tarification au juste prix. Ensuite, il faudra penser à revoir sa protection dès que sa situation évolue, suite à un changement de situation professionnelle (statut, rémunération) ou familiale (naissance d’un enfant, mariage, divorce, etc.). »
De l’autre côté, il va falloir convaincre, donc inciter, les professionnels à davantage s’y intéresser avec un langage réaliste. « Cette activité n’apporte pas une rentabilité immédiate importante au conseiller, contrairement aux produits d’épargne, bien plus rémunérateurs quand les marchés financiers sont favorables, reconnaît Delphine Sibony. Elle s’inscrit clairement dans la durée, sachant que les contrats de prévoyance durent sept à huit ans en moyenne. L’augmentation des cotisations avec l’âge de l’assuré et la croissance du nombre des contrats garantissent une rémunération sur le long terme, non soumise aux aléas des marchés. Elle fidélise le client et devient un outil de différenciation. Autre élément : les contrats de prévoyance permettent de recontacter le client régulièrement, afin d’adapter éventuellement les garanties dans le temps. Cette prise de contact crée l’occasion d’aborder d’autres thématiques telles que l’épargne. »
1. Source Insee. En 2020, 667 500 personnes sont décédées : 567 992 étaient âgées de 65 ans ou plus, 99 508 de moins de 65 ans.
2. Source Sécurité sociale. En 2021, le nombre de pensionnés d’invalidité de droits propres (avant ouverture des droits à retraite), tous régimes confondus, est estimé à 909 000.
Zoom statistique
En 2023, l’assurance-temporaire décès enregistrait 2,5 milliards d’euros de cotisations, pour 834 millions de prestations versées par les compagnies régies par le Code des assurances (donc hors mutuelles et instituts de prévoyance), selon les données de France assureurs. On comptait, l’an dernier, 23,1 millions de contrats temporaires décès en cours, un nombre élevé mais avec une cotisation moyenne finalement faible (110 euros). Inversement, on dénombre moins de contrats décès « vie entière » en cours (6,3 millions). Mais les cotisations y sont nettement plus élevées, avec 2,1 milliards cumulés sur l’année (soit en moyenne 335 euros par contrat). Les prestations pour les contrats vie entière ont atteint 1,4 milliard en 2023, un montant plus élevé que sur les temporaires décès. Ajoutons à ce panorama les contrats obsèques (4,3 millions de contrats en cours, 1,4 milliard de cotisations en 2023) et les contrats emprunteurs (4,5 millions de contrats en cours, 1,1 milliard de cotisations). Du côté des assurances prévoyance Madelin, on dénombrait 1,2 million de contrats en cours, pour 1,8 milliard de cotisations et 1,2 milliard de prestations en 2023.
« Pour le CGP, s’occuper de la prévoyance de ses clients est une preuve de sa valeur ajoutée »
Alexis Teillant, CGP, cogérant du cabinet Axe Conseils Patrimoine, a mis la prévoyance au cœur de son activité. Il explique pourquoi et comment.
Investissement Conseils : Qu’est-ce que la prévoyance pour vous ?
Alexis Teillant : C’est avant tout recueillir le patrimoine du client. Ses revenus, ses besoins en cas d’arrêt de travail, combien il lui faut par mois pour vivre, voir s’il a un emprunt par ailleurs, etc. Bref, c’est de la gestion de patrimoine. Pour le CGP, s’occuper de la prévoyance de ses clients est une preuve de sa valeur ajoutée; mais attention, l’assurance n’est pas l’unique réponse. Des préconisations juridiques peuvent être faites, comme réaliser un mandat de protection future ou un mandat à effet posthume. Notre métier est de faire passer l’intérêt du client avant le nôtre. Nous avons aussi un devoir de conseil en la matière, même s’il n’est pas balisé par la réglementation, contrairement aux produits d’épargne. Pour éviter tout problème, chaque année, je fais signer un document stipulant que les garanties proposées correspondent toujours aux besoins du client, y compris en cas de baisse des garanties.
Qui est concerné en premier lieu ?
Les travailleurs non-salariés sont la cible numéro un pour l’assurance-prévoyance. Le contrat de base pour un indépendant, c’est couvrir le décès, l’invalidité et l’incapacité. Il faut alors tenir compte de la spécificité des métiers, prendre garde aux exclusions, notamment dans le sport, et déterminer les niveaux de franchise, qui auront un impact dans la tarification. Il faut aussi se pencher sur la définition de l’invalidité retenue par l’assureur pour savoir si elle concerne l’impossibilité d’exercer toute profession ou uniquement la profession que vous exerciez avant le sinistre. A l’arrivée, le but est de bien s’assurer, de manière raisonnée, c’est-à-dire avoir des couvertures proportionnelles – ni pas assez, ni trop – et de les ajuster quand ma situation change.
Vos recommandations de couverture sont-elles suivies ?
Pour différentes raisons – du fait que les clients ne se rendent pas forcément compte des conséquences fâcheuses d’un accident de la vie sur la gestion du patrimoine personnel et professionnel, de la nécessité de convenir d’un ou plusieurs rendez-vous avec le notaire pour la mise en place de certaines préconisations, des examens de santé à passer pour accéder à certaines couvertures d’assurance notamment –, nous pouvons rencontrer des difficultés à avancer sur des dossiers, qui parfois n’aboutissent pas malgré le temps passé dessus. Mais une fois les enjeux perçus, le client suit nos préconisations, ce qui renforce nos liens de confiance sur la durée.
Les dessous des contrats
Certains contrats ne couvrent que le décès par accident, les rendant nettement moins onéreux. Mais le degré de couverture est alors faible. Certains contrats prévoient le versement du capital uniquement si le décès est dû à une cause extérieure soudaine et imprévisible. Ce qui va exclure un décès par accident cardiovasculaire. La plupart des temporaires décès ont un cadre plus large, incluant aussi les décès par maladie, et l’état d’invalidité sévère (on parle de perte totale et irréversible d’autonomie, dite PTIA) qui devra être reconnu par un médecin expert de la compagnie. La cotisation est alors plus élevée. Il faut savoir que certaines maladies récidivantes (comme un cancer, par exemple) pourront être écartées. Les exclusions sont aussi de rigueur dans les assurances-décès, avec souvent des sports ou métiers à risques, certaines zones géographiques, les décès dans un conflit armé, etc. A noter : dans tous les contrats, le décès par suicide est garanti à partir de la deuxième année du contrat. Les délais de carence du contrat, ceux pendant lesquels l’assuré n’est pas encore couvert bien qu’il règle ses cotisations, sont un autre élément à analyser. Ils varient de plusieurs mois à un ou deux ans sur certaines garanties. Enfin, reste à savoir jusqu’à quel âge sont valables les garanties. Il faut là différencier deux âges. D’abord, celui qui permet de souscrire une temporaire-décès. Il court de 18 à 65 ou 70 ans pour la grande majorité des assurances-temporaires décès. Ce qui va fermer la porte aux septuagénaires et plus, sauf à se tourner vers quelques alternatives plus onéreuses. Ensuite, l’âge auquel les garanties cessent d’être actives. Pour le décès, c’est en général 70 ou 75 ans. Mais là encore, certains contrats poussent jusqu’à 80, voire 85 ou 90 ans. Concernant la couverture invalidité, elle cesse plus tôt, vers 60 ou 65 ans le plus souvent.
L’alternative du contrat viager
A côté des temporaires-décès, commercialisées un peu partout, certaines compagnies proposent des contrats viagers, dits « vie entière ». Cette fois, l’assureur s’engage à verser le capital garanti quand survient le décès, quelle que soit sa date. Le souscripteur d’un tel contrat sait ainsi que cette transmission s’effectuera avec certitude (contrairement à une temporaire-décès). Illustrons : à la souscription, le souscripteur détermine le capital garanti (par exemple, 100 000 €) que le bénéficiaire désigné touchera à son décès. En contrepartie, l’assureur lui indique la cotisation à payer. Cette dernière peut être versée en une fois (pour 100 000 € garantis, la cotisation est d’environ 55 000 € à 50 ans), pendant plusieurs années (pour dix ans et 100 000 €, environ 6 000 € par an pour une souscription à 50 ans) ou encore de manière viagère (mêmes hypothèses, autour de 2 500 € par an). Point clé : ce produit dispose d’une « valeur de rachat », permettant de récupérer un capital à tout moment. Ce montant est évolutif, mais les premières années, il sera inférieur aux cotisations versées (sauf cas de la prime unique) et éventuellement soumis à des pénalités. Ce n’est donc pas une assurance à fonds perdu : un jour ou l’autre, un capital est forcément récupéré. Soit par l’assuré s’il « rachète » son contrat. Soit par le bénéficiaire quand l’assuré décède. Autre avantage, la cotisation fixée à l’adhésion n’est pas modifiable par la suite selon l’âge et l’état de santé. Il existe toutefois des contreparties importantes à connaître : la cotisation est plus élevée que sur un contrat temporaire, les frais peuvent être excessifs, et l’assuré s’engage à payer ses cotisations. A défaut, le contrat est mis en réduction avec des garanties réduites. Gare aux confusions, puisque les contrats obsèques du marché sont aussi des assurances vie entière, mais avec une finalité bien différente.
Lexique utile
La PTIA est la perte totale et irréversible d’autonomie. Le médecin de l’assureur la détermine. Elle équivaut à la troisième catégorie de l’échelle définie par la Sécurité sociale sur l’invalidité. Certains contrats parlent d’IAD, pour invalidité absolue et définitive.
L’IPT, pour invalidité permanente totale, correspond à une personne qui ne peut plus exercer définitivement son activité professionnelle (voire toute activité professionnelle selon les contrats). C’est un état d’invalidité supérieur à 66 %.
L’IPP, pour invalidité permanente partielle, correspond à une personne qui ne peut plus exercer à plein temps son activité professionnelle (ou toute activité professionnelle selon les contrats). C’est un état d’invalidité compris entre 33 et 66 %.
L’incapacité est l’inaptitude temporaire (partielle ou totale) à exercer une activité professionnelle ou non.
45 milliards d’euros sont chaque année attribués aux bénéficiaires d’assurances-vie. Une manne qui échappe au cadre successoral… sauf cas de « primes exagérées ». Ce garde-fou est-il efficace ? Que dit la justice ? Quelle part de son patrimoine peut-on transmettre avec l’assurance-vie ? Le point sur un sujet épineux.
C’est bien connu, l’assurance-vie est une enveloppe incontournable pour optimiser la transmission d’un patrimoine financier au décès. Et le public de citer, en premier lieu, ses avantages fiscaux sur les sommes transmises.
Sauf que l’essentiel n’est pas là. La caractéristique clé de l’assurance-vie est d’ordre civil, puisque les capitaux décès n’intégreront pas la succession du défunt. En son article L.132-12, le Code des assurances énonce ainsi que « Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré». L’article suivant, le L. 132-13, enfonce le clou, statuant que ce capital n’est soumis «ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant ». Aucun autre placement n’est traité de la sorte, sauf le PER (plan d’épargne-retraite) assurantiel, qui repose juridiquement dans l’enveloppe du contrat d’assurance.
Autre point fondamental : le souscripteur du contrat est libre de gratifier qui bon lui semble (sauf quelques cas précis mais rares indiqués dans le Code des assurances), sans s’en tenir aux règles de partage légales. Reste un détail, qui va avoir toute son importance. L’alinéa 2 de l’article L. 132-13 précise en effet que « ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. » La sentence est lâchée : primes manifestement exagérées. Il existe donc bien une limite légale au caractère hors succession de l’assurance-vie.
Le casse-tête de la preuve
Voilà pour le cadre juridique. En pratique, qui peut actionner ce garde-fou et dans quel but ? Des héritiers du défunt, qui s’estimeraient lésés d’un capital financier attribué à d’autres (héritiers ou tiers). Pour obtenir réparation, c’est-à-dire récupérer la cassette et sa réintégration dans la succession, ils devront alors démontrer cette exagération devant un tribunal. C’est là une tout autre histoire qui démarre. « La loi expose le principe des primes manifestement exagérées en assurance-vie, mais elle n’est pas bavarde quant à ce qu’elles recouvrent, reconnaît Gaultier Lauriau, directeur des solutions patrimoniales chez Abeille Assurances. La jurisprudence est, en revanche, désormais bien établie pour savoir à quoi s’en tenir. L’âge, la situation patrimoniale et familiale du souscripteur, et l’utilité du contrat sont les critères pris en compte par les juges pour apprécier le caractère exagéré des primes. Il faut aussi préciser que ces critères s’apprécient au moment des versements, et non au décès de l’assuré. Partant de là, la preuve est évidemment difficile à apporter pour des plaignants, qui doivent construire des dossiers reposant sur des éléments souvent très anciens, les primes pouvant remonter à plusieurs années. Résultat, dans les cas portés devant la justice, gain de cause est rarement donné aux héritiers plaignants.» Et pour cause, les héritiers à l’origine de l’action doivent non seulement connaître l’existence du contrat, mais aussi reconstituer le patrimoine de leur proche décédé en se plaçant à toutes les époques où les versements ont eu lieu. Il faut ensuite confronter ces éléments au patrimoine du défunt, à ses revenus, à son âge et disposer d’un maximum de pièces pour étayer son dossier : déclarations de revenus, relevés d’épargne, situation professionnelle, train de vie… Un travail de recoupement long et minutieux, un casse-tête disent certains, qu’il est recommandé de mener avec un avocat spécialisé en droit des successions. A noter : le juge des référés peut aussi être saisi afin d’obtenir de la compagnie d’assurances une copie du contrat et l’historique des versements. En bout de course, l’appréciation des « primes exagérées » relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. La Cour de cassation, organe suprême de notre juridiction, a aussi rendu de nombreux arrêts pour préciser comment doivent être évaluées les primes exagérées. Ainsi, en 2015, la Cour précisait que l’excès « s’apprécie au moment du versement, au regard de l’âge, ainsi que des situations patrimoniale et familiale ». Ajoutons que l’emploi de l’adverbe « manifestement » dans le texte de loi renvoie à l’idée qu’il s’agit d’une prime qui, lors de son versement, outrepasse largement les facultés du souscripteur. Tous les professionnels – assureurs, avocats spécialisés en droit des successions, notaires, conseillers patrimoniaux – connaissent maintenant la règle du jeu, les épargnants moins semble-t-il.
L’utilité, le critère clé
A défaut d’être bâtie sur les critères précités, toute tentative d’héritiers sera recalée. Reprenons donc les éléments. Comme dit, pour statuer, les magistrats doivent regarder concrètement la situation de l’assuré au moment du versement de chaque prime, et non à son décès. L’importance de la prime par rapport au patrimoine du souscripteur doit être évaluée, sachant qu’aucun pourcentage ne saurait être établi en théorie. Sont pris en compte les revenus du souscripteur, ainsi que tous les éléments de son patrimoine (mobilier, immobilier). Autres points clés dans l’analyse : l’âge de l’assuré au moment des versements, son état de santé, son espérance de vie. Trois variables qu’il faut lier et non analyser indépendamment. On peut souscrire une assurance-vie à cinquante ans en étant très malade, comme à soixante-quinze ans avec une santé solide.
Au fil des années, notamment depuis un arrêt du 19 mars 2014, la Cour de cassation a aussi rappelé avec insistance, qu’il fallait étudier l’utilité (ou par ricochet l’inutilité) du contrat souscrit. « Ce critère est devenu central dans l’analyse des primes exagérées, confirme Gaultier Lauriau. Pour des souscriptions à des âges tardifs, qui peuvent être source de contentieux, il faut encore plus y veiller. Par exemple, un contrat sera considéré comme utile s’il permet à une personne âgée d’augmenter ses faibles revenus. Ou s’il a fait l’objet de la mise en place d’un plan de rachats partiels programmés. Concernant l’âge, il faut aussi que l’espérance de vie de l’assuré au moment du versement soit cohérente avec le but poursuivi. La règle fiscale des huit ans propre à l’assurance-vie est pertinente, et pourra être prise en compte pour mettre en place des retraits. Quoi qu’il en soit, faire vivre un contrat par des opérations de retrait, versement, arbitrage est un élément clé pour contrer l’accusation de primes exagérées versées, tout en s’affranchissant des règles de la réserve héréditaire. » « Faire vivre son contrat », selon l’expression de la doctrine, est un conseil donné par les assureurs pour éviter les litiges futurs. Quel juge niera en effet l’utilité procurée par un contrat qui a permis l’obtention de revenus complémentaires pour son détenteur ? Ou inversement que le capital disponible sur son assurance-vie est inutile puisqu’il permet de faire face en permanence à des dépenses ?
Gare aux chausse-trappes !
A bien y regarder, la liste des critères retenus par les juges n’est in fine pas si longue.
Mais attention, la jurisprudence rappelle fréquemment que tous doivent être étudiés lors d’une action. Aucune exclusion n’est possible : à défaut, la décision prise par les juges du fond sera probablement cassée par la Cour de cassation pour manque de base légale.
Levons d’autres malentendus. D’abord, pas de méprise, la Cour de cassation a tranché depuis 2004 en faveur de la date de versement des sommes par le souscripteur sur le contrat d’assurance-vie (« l’excès manifeste des primes s’apprécie au moment du versement »). Ensuite, sans doute par commodité, c’est l’ensemble des primes qui est réintégré le cas échéant, sans quantifier le montant de l’excès. Autrement dit, le juge ayant qualifié l’exagération manifeste des primes n’aura pas à scinder celles-ci, ce qui serait source de complications. Quid des plus-values ou intérêts du contrat, enfin ? Ils ne peuvent pas être réintégrés, puisque seuls sont pris en compte les versements. Dans un arrêt du 16 décembre 2020 (1re civ, n° 19-17517), la Cour de cassation avait cassé un arrêt de Cour d’appel sur ce point, cette dernière ayant rapporté l’ensemble du capital-décès dans la succession.
La piste des « faux » critères, c’est-à-dire inopérants, vaut aussi d’être citée. Sont ici considérés les éléments non reconnus par la Cour de cassation, alors que des magistrats les avaient pris en compte. Exemple : le dépassement de la quotité disponible. Ce n’est pas en soi une preuve de primes exagérées, signifiant à revers qu’il est tout à fait possible de verser davantage que le montant de la quotité disponible en assurance-vie, y compris si les bénéficiaires désignés ne sont pas les héritiers de l’assuré. Autre critère erroné : les facultés intellectuelles du souscripteur ou encore l’intention frauduleuse, qui ne sont pas liées aux articles du Code des assurances précité. Quid de la modification de la clause bénéficiaire (par exemple, sur la fin de sa vie, supprimer ses enfants pour désigner un tiers) ? Aucune jurisprudence n’a retenu ce critère pour appuyer la notion de primes exagérées, puisque ces dernières s’évaluent au moment du versement et non de la modification de la clause. Pour utiliser cet argument, ne faudrait-il pas davantage plaider un abus de faiblesse, « le client n’avait pas toute sa tête » lorsqu’on l’a poussé à changer de bénéficiaire ? Autant d’éléments à écarter, donc. Mais bizarrement, alors que la Cour de cassation a régulièrement rappelé la base légale pour dire si oui ou non des primes sont exagérées, bien des juges du fond (tribunal de première instance, cour d’appel) ont fait fausse route en associant ces critères selon la méthode du faisceau d’indices, tantôt en se référant à la quotité disponible, tantôt aux intentions du souscripteur ou aux conflits d’intérêts dans la famille, etc. D’où les nombreux arrêts favorables aux plaignants ensuite cassés par la Cour de cassation…
La bonne stratégie
Sans surprise, la controverse autour des primes exagérées gagne du terrain. Pas sur le terrain judiciaire, trop complexe au vu des critères retenus constatent certains, mais sur celui du conseil. « Nous n’observons pas vraiment une croissance des litiges pour primes exagérées chez nous, globalement la situation est stabilisée sur le marché, avec un certain statu quo sur cette question, confirme Gaultier Lauriau. En revanche, nous sommes de plus en plus interrogés par nos conseillers ou partenaires, ce qui est assez logique au vu de la transformation familiale de notre société avec notamment de plus en plus de familles recomposées et de potentiels problèmes dans le futur. » Avec l’avancée en âge, les ménages se tournent aussi davantage vers l’assurance-vie, arbitrant leur patrimoine immobilier plus lourd à gérer vers ce placement souple et attractif, disposant en outre d’un segment sécurisé (le fonds en euros). « La question de l’assurance-vie post-soixante-dix ans est aussi prépondérante, l’aspect civil du placement qui est hors succession prenant alors plus d’importance, dans le but de gratifier une personne chère ou une association, poursuit Gaultier Lauriau. Il sera alors prépondérant de faire vivre le contrat pour répondre au critère d’utilité en cas de contestation des héritiers. » Reste donc à adopter la bonne stratégie. Dans cette controverse autour des primes exagérées, le conseiller – CGP, courtier spécialisé – compte les points. Son défi ? Mettre en avant les vertus de l’assurance-vie, y compris civiles, son utilité certaine, tout en exposant la limite légale des « primes exagérées ». Un travail que les CGP qualifiés sont habitués à mener en suivant quelques règles de bon sens. « Pour éviter le risque de primes manifestassent exagérées, il convient d’éviter d’effectuer des versements élevés à un âge avancé, si l’on n’a pas déjà une épargne correcte et/ou un ou plusieurs biens immobiliers, conseille Benoît Berchebru, directeur de l’ingénierie patrimoniale chez Nortia. Il faut échelonner dans le temps le versement des primes, au fur et à mesure de la constitution de son épargne et/ou lors de la perception de revenus exceptionnels (cession de biens immobiliers, titres de société, etc.). Par exemple, si un souscripteur ouvre son premier contrat d’assurance-vie à soixante-dix-huit ans et verse les trois-quarts de ses revenus mensuels, ainsi que la totalité de ses livrets bancaires (livret A, LDD, etc.), il existera un fort risque de primes manifestement exagérées. ».
Bref, il faut assurément faire preuve d’une gestion progressive et non brutale de ses avoirs. La problématique est ici davantage dans le comment que le combien. Benoît Berchebru poursuit : « rien interdit de se retrouver au jour de son décès, avec comme seul patrimoine, un seul contrat d’assurance-vie sans autre patrimoine par ailleurs, dès lors que ce mode de détention est parfaitement autorisé, que le contrat d’assurance-vie n’a pas été ouvert la veille de son décès, que des opérations de rachats, d’arbitrage ont été réalisées sur le contrat (preuve de l’utilité du contrat) durant la vie du souscripteur, que des options financières au contrat ont été souscrites (stop-loss, écrêtement des plus-values, garantie décès, annuité garantie, etc.). Et ce, même si les bénéficiaires du contrat ne sont pas les héritiers réservataires. » En somme, un assuré peut avoir 100 % de son patrimoine en assurance-vie, aucun texte légal ne l’interdisant, dès lors que cette constitution n’est pas effectuée d’une seule traite à la fin de sa vie !
Un sujet toujours brûlant
Technique et juridique, la problématique des « primes exagérées » est aussi tout autant « politique ». Et ce pour trois raisons:l’efficacité réelle de ce dispositif, le caractère hors succession de l’assurance-vie, le poids maximal de ce placement dans un patrimoine. Reprenons ces trois points dans l’ordre.
Un, le garde-fou des primes exagérées issu du Code des assurances est-il opérant ? Oui, pour les assureurs, qui y voient un pôle de stabilité et sont davantage enclins (au vu de notre enquête) à ne pas en faire état sur la place publique. Non, pour de nombreux analystes extérieurs, qui indiquent que seuls les abus très conséquents sont éventuellement sanctionnés, quand de nombreux petits excès passent à la trappe. « Les contentieux sont l’écume des choses, souligne à couvert un assureur de poids. En réalité, beaucoup de situations s’arrêtent avant le contentieux car les chances d’aboutissement sont minces. Le recours au juge n’est donc pas systématique, loin de là, ce dont on peut se féliciter ou se désoler. Il est toutefois certain aujourd’hui que les gens qui veulent intenter une action pour primes exagérées doivent savoir que ce sera long, coûteux et souvent voué à l’échec. » D’où les appels, ici ou là, pour rendre les critères d’évaluation moins drastiques, en commençant par revenir sur celui de l’utilité, jugé trop englobant. C’est là un appel du pied à la Cour de cassation, que certains estiment trop proche de l’intérêt des assureurs-vie. L’évolution pourrait aussi se faire sur le terrain législatif, par une refonte du Code des assurances. Lors de sa 73e session, fin 2022, l’assemblée de liaison des notaires de France avait transmis au Conseil supérieur du notariat (CSN) le vœu d’une « définition des primes manifestement exagérées en assurance-vie », en vue d’engager « une démarche auprès du législateur pour faire compléter l’article L. 132-13 du Code des assurances par une définition précise de la notion de primes manifestement exagérées afin de limiter le contentieux à ce sujet et ainsi apaiser les relations dans le cadre du traitement des dossiers de successions ». C’est ce que réclament a minima les notaires. Plus fondamentalement, nombre d’entre eux militent pour la réintégration civile de l’assurance-vie dans les successions. Malgré nos sollicitations, le CSN n’a pas voulu commenter cette problématique.
Quid de la réserve héréditaire ?
La position du notariat est pourtant assez claire. Dans une note du 30 juin 2003, le président du CSN faisait ainsi valoir que « l’assurance-vie a parfois pour résultat de déshériter les proches du souscripteur en contrariété avec le respect de l’ordre public successoral, notamment la réserve héréditaire ». D’où des contentieux abondants et croissants dans les familles, est-il ajouté. « Tant en matière successorale que de liquidation de communauté, le recours à la notion de primes manifestement exagérées est périlleux et sources d’incertitudes ». Plus directement, certains notaires n’hésitent pas à dire que l’assurance-vie permet de court-circuiter la réserve héréditaire. C’est là le coeur du second hiatus « politique » évoqué. Au bon souvenir, le « rapport sur la réserve héréditaire » de Cécile Péres, professeur de droit privé, et de Philippe Potentier, notaire, remis au ministère de la Justice le 13 décembre 2019, contenait une recommandation radicale (n° 23) : « soumettre, pour les seuls aspects civils, l’assurance-vie au droit commun des successions et des libéralités ». Sans pour autant toucher aux avantages fiscaux du placement, qui seraient alors conservés.
Sans surprise, cette proposition révolutionnaire n’a pas été reprise. Immuables, les pouvoirs publics affichent une position qui n’a pas varié depuis 2016, quand fut donnée la réponse ministérielle à une question du sénateur Claude Malhuret (n° 18027, publiée au JO du 12 mai 2016) : « il ne paraît pas nécessaire de procéder à une modification du droit, les mécanismes proposés (primes exagérées, requalification en donation indirecte, ndlr) par la loi permettant déjà d’assurer aux héritiers une protection suffisante de leurs droits ». Ils doivent aussi compter sur l’analyse des assureurs, vent debout contre une évolution qui saperait les fondements de l’assurance-vie, rappelant que les capitaux versés aux bénéficiaires ne sortent pas du patrimoine du souscripteur mais bien de celui de l’assureur. C’est donc la stipulation pour autrui qui justifie l’absence de soumission au rapport et à la réserve, selon la doctrine assurantielle. Pour l’histoire, cette place à part de l’assurance-vie n’est pas fraîche, datant de 1930. On lit dans la loi du 13 juillet 1930 (article 68) que « les sommes payables au décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ne sont soumises ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers de l’assuré. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par l’assuré à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ». Nous y sommes toujours, mot pour mot.
La notion de « réserve héréditaire » est-elle du reste appelée à durer ? Pas certain, au vu des enquêtes menées par différents instituts de sondage. Selon l’Observatoire des solidarités intergénérationnelles Asac-Fapès/Ifop, dans une enquête réalisée ce printemps, plus de trois jeunes de moins de trente-cinq ans sur quatre pourraient léguer un héritage hors des schémas classiques de succession. Et plus d’un jeune sur quatre envisage d’utiliser l’assurance-vie dans ce but. Ce placement est même considéré par 42 % d’entre eux comme la première solution de transmission.
Rien d’étonnant pour Gaultier Lauriau : « la question des primes exagérées renvoie in fine à celle de la réserve héréditaire, qui est une spécificité du droit français. En réalité, l’assurance-vie est aujourd’hui la soupape de sécurité qui permet de maintenir la réserve héréditaire en place – dont le maintien n’est plus vraiment dans le sens de l’histoire – en donnant la possibilité à chacun de transmettre librement une partie de son patrimoine. Mais il faut chasser une idée fausse, encore répandue chez certains conseillers en gestion de patrimoine, affirmant que les primes versées en assurance-vie ne doivent pas dépasser la quotité disponible. C’est faux, l’atteinte à la réserve héréditaire n’est pas un critère de primes exagérées.»Voilà qui nous mène au troisième point:la part d’assurance-vie dans le patrimoine.
Combien en assurance-vie ?
Sur cette question, nulle limite légale n’existe. La Fédération des assureurs ne donne aucun chiffre non plus, ayant en revanche émis des recommandations pour « éviter les souscriptions qui fragilisent l’opération d’assurance-vie, tant sur le plan civil que sur le plan fiscal ». Et de préciser : « L’entreprise d’assurance doit mettre en place une procédure d’examen systématique pour les demandes de souscription au-delà d’un certain âge et, en tout état de cause, à partir de quatre-vingt-cinq ans, afin de vérifier l’opportunité, pour le souscripteur, de l’opération d’assurance-vie envisagée… Le montant des primes versées doit être adapté aux objectifs du souscripteur et à la composition de son patrimoine». Partant de là et sans surprise, les assureurs se montrent prudents. A demi mots, ils expliquent accepter entre 30 et 50 % maximum du patrimoine en assurance-vie. Sans fondement légal ou réglementaire, ces autolimitations sont du ressort de chaque enseigne et difficiles à vérifier, le client restant maître des informations divulguées à son conseiller. « Même s’il n’existe pas de montant limite à placer en assurance-vie, nous avons fixé le seuil à 50 % maximum du patrimoine chez Abeille Assurances, un plafond qui peut s’atteindre quand l’utilité des primes est double, par exemple dans le cadre d’une famille recomposée pour protéger son conjoint et aussi tirer des revenus complémentaires de son contrat et que l’âge lors des versements n’est pas trop avancé», illustre Gaultier Lauriau.
Pas trop de primes en somme, pour ne pas fâcher les descendants écartés de leur bénéfice. Cette histoire est-elle surjouée ? Nombre de professionnels le disent, car les cas dans lesquels héritiers réservataires sont exclus du bénéfice des assurances-vie seraient rares. Et de constater que les Français souhaitent maintenir une stricte égalité entre leurs enfants. Prôner la modération des primes versées, alors que personne ne viendra se plaindre, est alors pour le moins malvenu. Idem quand l’assuré n’a pas d’héritiers réservataires. C’est pourquoi du côté des CGP ou des plates-formes qui les fournissent, le discours se veut souvent plus offensif. Pour Benoît Berchebru, « un contrat d’assurance-vie est d’abord ouvert pour soi-même (principe d’utilité), avant d’être souscrit pour ses bénéficiaires, héritiers ou non. Sachant qu’il n’existe aucun lien entre assurance-vie, réserve héréditaire et quotité disponible, limiter l’investissement de son patrimoine en assurance-vie à la quotité disponible est une hérésie juridique et économique. Rien n’empêchera un héritier réservataire non bénéficiaire du contrat d’assurance-vie, d’attaquer le contrat d’assurance-vie sur la notion de primes manifestement exagérées, même si celui-ci ne représente que la quote-part de la quotité disponible de l’actif de succession. Alors pourquoi s’autolimiter ? » La question vaut en effet d’être posée…
Décryptage juridique
La réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux revenant de droit aux héritiers réservataires. Les titulaires de cette réserve ne sont autres que les descendants du de cujus (premier ordre des héritiers).
Inversement, la quotité disponible est la part des biens et droits successoraux non réservée par la loi et dont le défunt peut disposer librement par des libéralités. C’est l’article 913 du Code civil qui indique le poids de cette quotité disponible selon le nombre d’enfants:moitié de la masse successorale avec un enfant, un tiers avec deux enfants, un quart avec trois enfants ou plus.
Partant de là, si la quotité disponible est dépassée et s’ils n’en sont pas les bénéficiaires, les héritiers réservataires peuvent intenter une action en réduction, la réduction étant la reconstitution du patrimoine du défunt visant à préserver l’égalité entre les héritiers.
Les autres voies de contestation
Requalification en contrat de capitalisation
Pour contrer les articles L. 132-12 et 13 du Code des assurances, l’angle d’attaque initial fut de confondre l’assurance-vie avec un contrat de capitalisation, c’est-à-dire un pur placement financier. Dans ce cas, l’opération d’assurance disparaît, l’aléa avec, et par ricochet le cadre hors succession au décès. Cette attaque a vécu voici vingt ans, depuis le 23 novembre 2004 précisément, lorsque quatre arrêts (n° 01-13582, 02-11352, 02-17507, 03-13673) de la chambre mixte de la Cour de cassation avaient confirmé la qualification d’assurance, fermant la porte à une possible requalification. L’argument phare ? Les effets du contrat dépendant de la vie humaine, ils contiennent donc un aléa au sens des articles 1964 du Code civil, et L. 310-1, 1° et R. 310-1, 20 du Code des assurances. Au passage, la Cour de cassation notait que l’existence du garde-fou des primes exagérées rendait compatible les dispositions contractuelles de l’assurance-vie avec le droit successoral.
Requalification en donation indirecte
C’est une autre alternative pour les héritiers lésés. Il s’agit ici de prouver que le contrat d’assurance-vie s’analyse en une donation indirecte. Ce peut être le cas, selon la Cour de cassation, si les circonstances dans lesquelles son bénéficiaire a été désigné caractérisent la volonté du souscripteur « de se dépouiller de manière irrévocable » (arrêt n° 06-12279 du 21 décembre 2017). La requalification en donation indirecte va induire la réintégration du capital versé au bénéficiaire, et pas seulement des primes. Donc, en y incluant les intérêts et plus-values éventuels. Dans les faits, ce motif est très rarement retenu par les juges. Il faut, en effet, que l’aléa propre au contrat d’assurance soit absent, ce qui sera le cas pour une souscription sur son lit de mort. A l’instar de cet arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation du 21 décembre 2007 : le souscripteur avait investi 85 % de son patrimoine en désignant sa concubine comme bénéficiaire, trois jours avant de décéder d’un cancer dont il se savait atteint.
« L’action en primes manifestement exagérées est aujourd’hui inefficace »
L’expert Pascal Pineau, gérant Atelier Formation Pascal Pineau, nous explique livre une analyse sans langue de bois autour des primes exagérées. Instructif.
Investissement Conseils : Quel bilan tirer du mécanisme des primes manifestement exagérées ?
Pascal Pineau : Revenons tout d’abord quelques années en arrière. Le rapport Pérès-Potentier sur la réserve héréditaire, remis à la ministre de la Justice en décembre 2019, proposait d’inscrire les capitaux versés au titre de l’assurance-vie dans la mécanique successorale.
En réaction sans doute, sur le terrain judiciaire, on pouvait observer que les magistrats répondaient un peu plus favorablement aux actions des héritiers arguant de primes exagérées. Les lignes commençaient donc à bouger, mais ce frémissement s’est vite éteint. Le constat est aujourd’hui évident:l’action en primes manifestement exagérées est largement inefficace.
Pourquoi cette inefficacité ?
Apporter la preuve que des primes sont exagérées a toujours été très difficile pour les plaignants. Il leur faut en effet s’en tenir à la situation du souscripteur au moment du versement des primes, en intégrant sa situation familiale et patrimoniale, ce qui nécessite de bâtir un dossier qui compile des éléments parfois anciens. Et la Cour de cassation a joué un rôle central pour accentuer encore les difficultés, en demandant aux magistrats d’étudier l’utilité de la souscription du contrat comme critère déterminant pour évaluer la notion de primes exagérées. Or, mis à part pour quelques cas à la marge, notamment pour des souscriptions «tardives»au regard de l’âge et de la santé, l’utilité du contrat d’assurance-vie est difficile, sinon impossible à nier.
Résultat : la partie est souvent perdue d’avance pour les plaignants et les contestations se font en toute logique plus rares. Comme je l’ai déjà écrit par le passé, l’action en primes exagérées devant les tribunaux a été «tuée»par cet argument. En principe, fort des nombreux arrêts rendus, les juges du fond devraient savoir comment ne pas se faire sanctionner par la Cour de cassation. Dans les faits, ce n’est toujours pas le cas. Preuve en est un récent arrêt de la Cour de cassation, qui a une nouvelle fois constaté que les juges d’appel n’avaient pas examiné la situation patrimoniale globale de l’assuré à la date du versement(1).
Cette situation est-elle tenable ?
A long terme, l’innocuité de l’action supposée être le garde-fou officiel de l’assurance-vie interroge. Bien sûr, beaucoup d’assureurs se félicitent de ce statu quo. Bien sûr, tout le monde n’utilise pas l’assurance-vie pour contourner la réserve héréditaire.
Mais force est de reconnaître que les privilèges exorbitants de l’assurance-vie, notamment au regard du droit civil, interpellent. Preuve en est le rapport précité. Ces privilèges sont-ils encore justifiés ? La question est légitime, d’autant qu’on applique aujourd’hui à l’assurance-vie des textes qui, historiquement, visaient l’assurance-décès.
Avec ce type de contrat, même si les montants transmis au décès pouvaient être élevés, les primes versées restaient généralement modiques. Avec l’assurance-vie, qui est un placement financier avant tout et qui draine des capitaux extrêmement importants, la donne a complètement changé. Le constat d’un mécanisme des primes exagérées largement inopérant fait craindre une réforme plus radicale, comme ce fut le cas en Belgique.
1. 1re chambre civile, 2 mai 2024, pourvoi n° 22-14.829.
Primes exagérées : la Cour de cassation dit non !
Un homme avait obtenu, en 2020 des juges de première instance, puis en 2022 des juges d’appel, la reconnaissance du caractère exagéré des primes versées par sa mère sur son assurance-vie. Cette dernière avait souscrit le placement en 2000 et avait effectué trois versements successifs en 2000, 2002 et 2010. A son décès en 2013, les fonds s’élevaient à plus de 86 719 euros et ont été versés au bénéficiaire désigné, sa fille. Le fils a d’abord obtenu en justice que sa soeur soit condamnée à restituer l’argent afin qu’il soit réintégré dans la succession. Les juges se sont surtout basés sur l’absence de revenus de l’assurée au moment de la souscription du contrat et du versement de la première prime. Mais ils n’ont pas étudié les autres critères. La fille a décidé de se pourvoir en cassation et a obtenu gain de cause. Les hauts magistrats ont considéré que les juges d’appel n’ont pas recherché, pour apprécier le caractère manifestement exagéré des primes, la situation patrimoniale globale de l’assurée décédée, notamment son patrimoine immobilier, son épargne et ses revenus à la date de chaque versement.
1re chambre civile, 2 mai 2024, pourvoi n° 22-14.829.
Une femme souscrit un contrat d’assurance-vie à 72 ans en y plaçant toutes ses économies, soit 81 000 euros. Elle décède moins de trois ans après la souscription, le capital étant attribué à des bénéficiaires non-héritiers. Estimant que les primes étaient exagérées, eu égard à ses facultés à l’époque des versements, ses petits-enfants indiquent que « l’âge de l’intéressée à la date de la souscription du contrat d’assurance-vie, la courte durée de ce contrat (deux ans et huit mois) et l’absence de tout actif successoral autre que ledit contrat d’assurance-vie (attesté par le notaire) » constituaient une présomption de primes exagérées. Les magistrats de la cour d’appel de Lyon, puis ceux de la Cour de cassation les déboutent, concluant à l’absence de « primes manifestement exagérées ».
2e chambre civile, 5 juillet 2006, pourvoi n° 05-15409.
Monsieur X., né le 18 novembre 1909 et décédé le 18 novembre 1997, a souscrit plusieurs contrats d’assurance-vie entre 1988 et 1992, étant alors âgé de 79 à 83 ans. Au moment du versement des primes litigieuses d’un montant de 228 844 euros, à l’excep-tion d’une retraite modeste et de l’usufruit de deux maisons, Robert X ne disposait que d’un capital de 131 151 euros. Les juges ont toutefois estimé qu’une prime valant 73 % du capital de l’assuré ne présentait pas un caractère manifestement exagéré.
2e chambre civile, 4 juillet 2007, pourvoi n° 06-14048.
Mariée sous le régime de la communauté universelle, Madame Y souscrit le 15 juillet 1992 une assurance-vie avec son époux pour bénéficiaire. Elle verse une première somme de 75 225 euros. Le 4 juin 1999, Madame Y modifie la clause bénéficiaire, en désignant ses frères et soeurs. Puis le 5 août 1999, elle réalise un nouveau versement de 76 225 euros. Madame Y décède le 29 septembre 1999, soit six semaines après. Ayant relevé qu’au cours des années 1999 et 2000, les époux détenaient un patrimoine de plus de 2,7 millions d’euros et que leurs revenus déclarés pour l’année 1997 s’élevaient à plus d’un million d’euros, les magistrats concluent au caractère non exagéré des primes versées.
1re chambre civile, 12 décembre 2006, pourvoi n° 04-17430.
A 82 ans, une dame ouvre un contrat pour y verser 32 014 euros, correspondant alors aux trois quarts du montant de la vente d’un bien immobilier. Bien qu’elle ne percevait pas de pension de retraite et que son seul bien propre était un capital de 48 783 euros issu de la vente d’un immeuble, les juges ne considèrent pas le versement comme exagéré, estimant que le contrat présentait «un intérêt pour la souscriptrice eu égard à sa situation familiale».
1re chambre civile, 27 mars 2007, pourvoi n° 05-15781.
A 73 ans, un homme en bonne santé verse sur deux assurances-vie des fonds provenant de la vente d’immeubles qui représentaient une partie importante de son patrimoine. Sa pension de retraite était suffisante pour lui assurer un train de vie normal, de sorte qu’il ne lui était pas nécessaire de mobiliser cette épargne. Les juges ont statué qu’à la date de leur versement, les primes ne présentaient pas un caractère manifestement exagéré et ne devaient pas être réintégrées à l’actif de la succession, constatant aussi l’utilité pour le souscripteur d’effectuer un placement à long terme.
1re chambre civile, 15 mai 2018, pourvoi n° 17-17303.
Sur un marché immobilier fragilisé par la hausse des taux et les corrections de valeurs, le choix de la sécurité tend à s’imposer. Préparer sa retraite, se constituer un capital, optimiser une transmission ou encore valoriser un patrimoine immobilier : la nue-propriété répond à de nombreuses stratégies d’investissement. La fiscalité avantageuse du démembrement et la possibilité d’y souscrire en pierre-papier participent à la notoriété grandissante de ces opérations.
En voie de démocratisation, la nue-propriété a de beaux jours devant elle. Le volume des opérations de démembrement immobilier s’accroît peu à peu chaque année, et d’aucuns anticipent déjà un effet report des investisseurs en Pinel, un dispositif fiscal qui prendra fin en décembre prochain, vers ce marché en pleine expansion. « Avec l’extinction progressive des différents dispositifs fiscaux sur le neuf, l’on observe un retour de flamme des particuliers pour le démembrement. Ainsi, sur les huit cents ventes en immobilier locatif que nous avons réalisées en 2024, la nue-propriété représente une part significative qui devrait atteindre 15 à 20 % dans les années à venir », indique Philippe Lauzeral, directeur général de Finzzle groupe. Plus nombreuses, les offres d’investissement en démembrement se font aussi plus diversifiées, portant sur des tickets d’entrée plus faibles, pour des logements de type studio ou T1 en résidences étudiantes, par exemple. « En s’élargissant, le marché trouve plus facilement son public et comprend aujourd’hui des immeubles auparavant destinés à la clientèle du dispositif Pinel dans les grandes métropoles », poursuit le directeur. Désormais commercialisé dans tous les réseaux de distribution, le démembrement a été porté par ses acteurs historiques, comme Perl, Fidexi ou Inter Invest, mais également par les plates-formes d’investissement dans la pierre-papier qui ont simplifié les démarches de souscription et proposent un pilotage sur mesure de son placement.
Création de valeur
Sur un marché de l’immobilier en crise, l’achat en nue-propriété délivre un potentiel de création de valeur intéressant, grâce à une décote à l’achat de l’ordre de 25 à 40 % appliquée sur la valeur vénale du bien. Cette décote sera fonction de la durée de démembrement acquise par l’usufruitier bailleur social : ainsi, plus la durée de ce dernier sera longue plus la décote sera importante. « La nue-propriété est une stratégie qui permet de se constituer un patrimoine différemment, transformant un actif immobilier, par nature distributif, en un produit d’investissement capitalisant et non fiscalisé pendant la durée du démembrement », explique Guillaume Berthiaux, président de Sofidy Gestion Privée. Cependant, l’opération ne générant aucun revenu – la décote à l’achat représentant le montant des loyers non perçus –, le prix d’entrée va déterminer la valeur de l’opération. « Alors que la capacité d’épargne des particuliers s’est réduite avec la hausse des taux d’intérêts, bien négocier l’achat du bien immobilier est essentiel pour capter toute la valeur du démembrement », souligne David Regin, directeur commercial de Consultim Groupe. Il conseille aux épargnants de se montrer d’autant plus scrupuleux sur les conditions d’acquisition et d’estimer, en premier lieu, la valeur de la pleine propriété et son adéquation aux prix du marché. L’effet de levier est encore plus puissant sur le marché secondaire, précise-t-il, où les investisseurs peuvent profiter de la décote sur une durée de démembrement plus courte.
Convention de démembrement
La durée moyenne d’une opération de démembrement oscille entre quinze et vingt ans, mais elle peut être bien plus courte (à partir de trois ans) dans le cadre d’un investissement en SCPI (société civile en placement immobilier) ou, à l’inverse, s’étendre jusqu’à vingt ans. Durant la période de démembrement, le nu-propriétaire est exempté de charges : c’est l’usufruitier qui peut tirer les fruits de l’usage du bien (revenus locatifs, rentes) et qui assurera les réparations d’entretien des parties privatives et communes, à l’exception des gros travaux définis dans les articles 605 et 606 du Code civil. Au terme de la période de démembrement, l’investisseur recouvre, sans frais supplémentaires et automatiquement, la pleine propriété du bien, qu’il est libre de vendre, louer, léguer ou conserver. « Lorsque l’usufruit s’éteint, la pleine-propriété, qui additionne l’usufruit (usus + fructus) et la nue-propriété (abusus), se recrée entre les mains du propriétaire », rappelle Guillaume Berthiaux. L’opération est régie par une convention de démembrement qui encadre les relations entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, y compris la restitution du bien au plein-propriétaire. Mieux vaut toutefois, selon David Regin, être accompagné par un spécialiste de la nue-propriété qui fera l’interface entre le nu-propriétaire et l’usufruitier. « Ce tiers de confiance s’assurera que le processus vis-à-vis du locataire en place sera respecté et que la remise en état du bien sera correctement réalisée », indique-t-il. Si l’investisseur souhaite en plus optimiser et anticiper sa transmission, il peut choisir un montage adapté à cet objectif dans le cadre de cet investissement.
L’attrait fiscal
La fiscalité est l’atout majeur du démembrement de propriété qui, contrairement au Pinel, ne dépend d’aucune loi d’exception sur le logement mais ressort du Code civil, assurant ainsi une stabilité aux propriétaires. Pour les nus-propriétaires déjà lourdement imposés, notamment soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), cette stratégie d’investissement permet de réduire l’assiette fiscale, ainsi que leur niveau d’imposition, puisqu’ils ne tirent aucun revenu durant l’opération de démembrement. L’usufruitier est aussi gagnant puisque la base fiscale est calculée sur la valeur de l’usufruit et la part du bien dont il dispose. L’impôt foncier (taxe foncière) reste toutefois à sa charge. Ce dernier peut, en contrepartie, bénéficier d’une baisse de l’impôt sur le revenu s’il met le bien immobilier démembré en location.
Les loyers perçus seront imputés à son barème fiscal et donneront lieu à un abattement de 30 % sur les impôts fonciers, si les revenus locatifs sont inférieurs à 15 000 euros. A cela s’ajoute la déduction des charges et des frais d’entretien (travaux éventuels) de l’assiette de l’impôt foncier. Dans le cas d’une mise en location par l’usufruitier (location nue, d’une durée minimale de trois ans et maximale de neuf ans), le nu-propriétaire pourra déduire certaines dépenses effectuées pour la réparation et la conservation du bien (article 606 du Code civil) au titre du déficit foncier, lui permettant une économie d’impôt allant jusqu’à 10 700 euros par an, reportable pendant dix ans sur les revenus fonciers. A la revente du bien, l’imposition sur la plus-value s’applique sur la valeur de la nue-propriété et non de la pleine-propriété : une « fleur fiscale » qui donne tout son intérêt à l’investissement en démembrement.
L’usufruit locatif social (ULS) et intermédiaire (ULI)
S’inscrivant dans le champ d’action des politiques publiques en faveur du logement, l’usufruit locatif social (ULS) met en relation des bailleurs sociaux (entreprises sociales pour l’habitat, sociétés d’économie mixte ou offices publics de l’habitat) et des épargnants, dans un partenariat public-privé. Dans le cadre de l’ULS, les deux parties se partagent la propriété sur une durée convenue, de quinze à vingt ans : le bailleur acquiert l’usage du logement et l’épargnant acquiert la nue-propriété. Ce dernier n’intervient pas durant toute la durée de l’usufruit laissant au bailleur la liberté dans la gestion locative du bien. Pionner sur le marché il y a vingt-quatre ans, Perl est à ce jour le seul acteur à se prévaloir d’avoir opéré un cycle complet de démembrement de propriété. « Le débouclage de nos opérations a confirmé la promesse initiale de Perl d’accompagner les nus-propriétaires et usufruitiers, du début à la fin du démembrement, jusqu’à la revente du bien, de s’assurer que chacune des parties respecte ses obligations et de trouver des solutions de relogement pour le locataire en place », indique Nicolas de Bucy, directeur général de Perl. Une expertise qui atteste, également, de la pertinence de l’investissement et de la solidité du modèle. « L’ULS est porté par la demande locative sur les territoires tendus, telles que les grandes agglomérations ou les communes du littoral qui cherchent à loger les salariés et un besoin des bailleurs institutionnels d’étoffer leur parc locatif », ajoute le directeur, convaincu que l’ULS est un outil pour accroître la production de logements abordables.
Outil de préparation à la retraite
Fréquemment utilisé à des fins de transmission de patrimoine, en raison de la faible taxation sur la succession – les droits de donation sont calculés sur la valeur de la nue-propriété et non sur la pleine propriété, ce qui réduit d’autant les frais de succession –, le démembrement s’impose, de plus en plus, comme un outil de préparation à la retraite. « Il y a cinq ans, nous ne vendions aucun lot à des investisseurs âgés de moins de quarante-cinq ans. Aujourd’hui, cette cible représente 25 % de nos clients qui vont aller chercher un produit correspondant à leur effort d’épargne mensuel pendant leurs années d’activités pour, in fine, toucher le capital acquis à la retraite », observe Nicolas de Bucy. Perl propose en démembrement des produits essentiellement vendus en Vefa, (vente en état futur d’achèvement) allant du studio au T3 qui font le gros de l’offre. Si le ticket moyen s’élève à 200 000 euros, l’écart de prix part de 60 000 euros pour un logement étudiant en province, jusqu’à un million d’euros pour un appartement avec terrasse à Paris (par exemple dans le quartier Arsenal, dans le IVe arrondissement). « Nous nous positionnons sur des appartements familiaux ou des résidences étudiantes ou jeunes actifs dès lors que la localisation entre dans une logique patrimoniale », résume Nicolas de Bucy. En novembre, Perl livrera soixante-six logements étudiants en ULS situés dans le Carré des Invalides (Paris VIIe) et vient de lancer l’opération ID’Halle, à Tours : vingt-sept appartements en nue-propriété dans le prolongement du centre-ville, proche du tramway et du jardin des Prébendes d’Oé, au prix moyen de 2 826 euros le mètre carré.Profondeur de marché
Après une trentaine d’opérations lancées en 2023, Fidexi compte encore sur une hausse des ventes en démembrement en 2024. Pour Alban Gautier, directeur général de la société, la raison de ce succès est claire : « c’est, à date, le meilleur investissement immobilier sur le rapport rendement-risque, sans aucune contrainte de gestion, dans un contexte où les propriétaires s’interrogent tous sur l’avenir de la fiscalité autour de l’immobilier ». Pour répondre aux nouveaux paramètres du marché, Fidexi a choisi de diminuer légèrement le ticket moyen des opérations, à hauteur de 190 000 euros, afin de préserver la capacité de financement de sa clientèle, face à la hausse des taux. « Nous avons baissé de 5 à 10 % le prix de référence de nos opérations de démembrement dans le neuf par rapport au pic de 2022 et ajusté nos volumes », indique le directeur qui cible une nouvelle génération de primo-investisseurs en quête d’un placement sécurisé. La société, qui s’intéresse particulièrement aux résidences étudiantes depuis quatre ans, a lancé quatre opérations à Lyon, Nantes, Nice et Marseille, pour des tickets moyens à moins de 100 000 euros. « Le marché du logement étudiant est en forte pénurie, avec un nombre d’étudiants croissant dans les dix grandes métropoles de France et un stock de biens à louer sur le marché privé divisé par deux en un an », explique Alban Gautier. Il rappelle que selon une étude OpinionWay publiée en 2023, 12 à 17 % des étudiants sont contraints de renoncer à leurs études faute de logements.Elargissement de l’offre
De l’autre côté du spectre, Fidexi propose des opérations prime dans les communes de l’Ouest lyonnais, dans le centre-ville de Rueil-Malmaison ou encore à Chamonix, pour des biens allant de 130 000 à 700 000 euros. Depuis cette année, le groupe commercialise également une offre innovante baptisée Nue-pro’ Evasion, en partenariat avec un usufruitier spécialiste de l’immobilier à la montagne depuis 2008. La durée du démembrement a été optimisée sur douze ans, et la valeur de la nue-propriété (hors séjour) fixée à 60 % de la pleine propriété. Fait inédit : l’acquéreur peut opter pour un droit de séjour lui permettant d’occuper le bien selon différentes formules à la carte de valorisation de l’investissement et ainsi profiter des atouts du bien, de son emplacement et de son attractivité. « Il s’agit d’une alternative unique entre valorisation patrimoniale et investissement plaisir qui vient élargir le marché de la nue-propriété aux produits immobiliers saisonniers », résume Alban Gautier. A la fin du démembrement, le nu-propriétaire choisit de revendre ou de louer le bien. Le plein propriétaire devra conserver l’affectation locative en hébergement avec services para-hôteliers jusqu’à la vingtième année après livraison du bien. Au-delà de vingt ans, il pourra occuper le bien dans le respect de la destination de la résidence et, le cas échéant, des règles relatives à la loi montagne.
Souplesse de l’ULI
Afin de répondre à la demande croissante de logements à loyers abordables dans les métropoles et grands bassins d’emplois, le gouvernement a créé en 2014 une nouvelle catégorie de logements dits intermédiaires, dont le niveau de loyer se situe entre celui du parc social et du parc privé. La loi de finances 2021 a rendu possible le montage d’opération en démembrement intermédiaire sur le même modèle que le démembrement social. Bénéficiant d’une TVA à 10 % et ne nécessitant plus de délivrance d’agrément préfectoral (montage simplifié), l’usufruit locatif intermédiaire séduit les investisseurs par sa souplesse et sa portée sociale. « L’objectif est d’aller capter l’épargne privée pour financer le logement social et intermédiaire et de flécher l’investissement dans les zones très tendues où les gens ont besoin de se loger dans l’optique d’apporter, ainsi, une réponse à la crise du logement ainsi qu’un accompagnement du parcours résidentiel des locataires », explique Isabelle Peene-Dupont, directrice générale d’Inter Invest Immobilier. Pour compléter son développement en Ile-de-France et dans les grandes métropoles, le groupe a largement développé son offre sur l’Arc méditerranéen et atlantique, où les investisseurs se projettent pour leur retraite. Il s’est aussi ouvert aux jeunes investisseurs qui, faute de pouvoir financer l’achat de leur résidence principale, s’orientent vers la nue-propriété pour se constituer un premier apport, à terme. A destination de ces nouveaux profils, Inter Invest développe des petites opérations d’une dizaine de logements, partout sur le territoire, à l’image du programme Terra Mera de Pléneuf-Val-André, en Bretagne, qui propose des T2 et T3 à partir de 123 000 euros, avec une décote de 36 % et un prix de la nue-propriété à 2 700 euros le mètre carré.
Un investissement responsable
Outre la souplesse du démembrement – il est possible de sortir de l’opération pour revendre à tout moment grâce à l’organisation d’un marché secondaire – et sa vocation à répondre à différentes stratégies patrimoniales, la notion de responsabilité de l’ULS et de l’ULI interpelle de nombreux investisseurs qui veulent donner du sens à leur épargne. « Le partage de l’usage et de la propriété, ou démembrement, est, par nature, un dispositif RSE car il contribue au logement des populations fragiles dans des conditions exceptionnelles et durables », assure Isabelle Peene-Dupont. Cette dernière affirme ne travailler qu’avec des promoteurs qui livrent des logements neufs, bénéficiant des dernières normes environnementales et techniques (RE2020). Pour le programme Terra Mera, le groupe a choisi le promoteur Promoty (filiale de Sepimo), spécialisé dans les logements neufs en Bretagne et, comme usufruitier, le bailleur La Rance (groupe Action logement) qui déploie ses services en matière d’habitat au nord de l’Ille-et-Vilaine, dans les Côtes-d’Armor et dans la Manche, avec une ambition : répondre aux attentes des collectivités et de la population en s’adaptant à l’évolution des modes de vie et aux exigences des habitants. « S’associer à un bailleur social est un gage de garantie pour l’investisseur, car il œuvre à la pérennité du modèle et à la sécurisation du parcours résidentiel du locataire, et, par voie de conséquence, du nu-propriétaire », ajoute la directrice.Marché de l’ancien
Numéro un du démembrement sur le marché de l’ancien, Monetivia commercialise des actifs dont l’usufruit est détenu par des particuliers et la nue-propriété vendue à un autre particulier ou à un investisseur institutionnel. « En fonction des besoins du vendeur, nous lui proposons soit de vendre la nue-propriété de son bien en conservant un usufruit temporaire, au terme duquel l’investisseur récupère le bien, soit, s’il souhaite conserver le bien au-delà, de souscrire une assurance au bénéfice de l’acheteur qui l’indemnisera chaque mois pendant toute la durée d’occupation, préservant ainsi son taux de rendement interne (TRI) », explique Amaury de Calonne, président de Monetivia. Pour ce dernier, pour répondre aux problématiques des investisseurs, de nouveaux schémas immobiliers s’imposent : « L’investissement locatif devenant de moins en moins attractif en raison d’une fiscalité élevée, des coûts de gestion et des risques d’impayés ou de vacance, il devient nécessaire de développer et valoriser des solutions permettant d’en corriger ses limites », affirme-t-il. La nue-propriété en fait partie, cumulant de nombreux avantages : droits de mutation plus faibles grâce à la décote (un gain équivalent à un an et demi de loyers nets), une décote défiscalisée, épargne-retraite sécurisée non soumise à la volatilité des marchés financiers, solution idéale pour se constituer du patrimoine ou optimiser la transmission (les descendants récupèrent une pleine-propriété libre de droits).
Supprimer les aléas
Lancé en 2017, le contrat Monetivia, adossé à la compagnie d’assurance Allianz, est un produit phare du groupe, qui vise à supprimer les aléas liés à la durée variable de conservation du bien. Lors de la signature de l’acte de démembrement, vendeur et acheteur règlent chacun 3,5 % de la valeur du bien à Monetivia. Le vendeur verse 3 % supplémentaires à Allianz qui l’utilise pour constituer la rente à verser à l’acheteur dans le cas où le vendeur serait toujours vivant à l’issue de la période prédéfinie. En cas de décès prématuré du vendeur, les héritiers reçoivent une indemnisation correspondant aux années d’usufruit dont ce dernier aurait dû bénéficier. L’acquéreur qui finance cette indemnisation récupère alors la pleine propriété. Si le vendeur est encore vivant au terme de la période prédéfinie, il garde un droit d’usage et d’habitation et peut jusqu’à son décès continuer à vivre dans son logement. Cependant, la compagnie d’assurance Allianz prend le relais et verse à l’acheteur une rente mensuelle. Au terme de l’opération, l’acheteur récupère la pleine propriété, sans droits ni frais à payer. La possibilité d’occupation future peut séduire des futurs retraités, mais aussi, des expatriés qui, satisfaits de leur investissement à distance sans aléas, disposeront, à leur retour en France, d’un patrimoine non fiscalisé.
SCPI en démembrement
Contributrices au déploiement du démembrement, les plates-formes d’investissement dans la pierre-papier gagnent du terrain sur le marché. Leur atout ? La possibilité de piloter un investissement sur mesure, en fonction des besoins et des moyens des épargnants et parfois sans aucuns frais d’entrée. « Les SCPI sont capables de tirer parti d’un marché immobilier qui a décoté », affirme Guillaume Berthiaux. Une réactivité qui convainc jusqu’aux chefs d’entreprises qui achètent des parts de SCPI en usufruit, via leur société, pour placer leur trésorerie et en retirer un rendement attractif. Preuve de l’intérêt des investisseurs pour les SCPI en démembrement, elles représentent jusqu’à 20 % de la collecte de certaines sociétés de gestion. Finzzle, qui commercialise une gamme de SCPI diversifiées et européennes, a même organisé sa propre salle de marché interne pour faciliter la recherche de contrepartie entre nus-propriétaires et usufruitiers, au sein de leur réseau, et accélérer, ainsi, le processus de souscription. Seul bémol à cette option, l’illiquidité du placement en démembrement. « C’est un élément à bien intégrer avant d’investir, car il reste compliqué de sortir en cours de route d’une opération de démembrement », concède Guillaume Berthiaux. Enfin, alors que les SCPI ont traversé une année 2023 chahutée pour nombreuses d’entre elles, mieux vaut ne pas « mettre ses œufs dans le même panier » et diviser son enveloppe d’investissement – par exemple, 200 000 euros distribués en quatre tickets de 50 000 euros alloués à quatre SCPI différentes – en prenant le soin d’opter pour les véhicules les plus performants et des sociétés de gestion dynamiques.
Diversifier les risques
Investir dans des parts de SCPI démembrées permet de mutualiser et diversifier les risques. « Là où l’investissement en direct fait peser tout le risque sur un seul actif, la SCPI le dilue sur plusieurs locataires, différentes typologies d’actifs, zones géographiques et durées d’investissement », souligne Mathilde Krieger, présidente du directoire de Novaxia Investissement. La SCPI Novaxia Neo compte ainsi trente-six actifs immobiliers (hôtel, activité, bureau, etc.), répartis, à 44 % à l’étranger et à 56 % en France. Experte en recyclage urbain, la société de gestion applique une double lecture pour sélectionner ses actifs : en plus de répondre aux critères fondamentaux (emplacement, bail), ils doivent être réversibles et transformables. « Nous investissons dans des produits immobiliers qui s’inscrivent dans l’avenir et sommes “actifs sur nos actifs” pour conjuguer recherche de performance et résilience », précise la présidente. Novaxia Neo, qui affiche un taux de distribution supérieur à son objectif (non garanti) de 6 % depuis sa création en 2019, vise les 500 millions d’euros de capitalisation, à fin décembre. Autre levier de performance propre aux SCPI « nouvelle génération », selon la présidente : l’absence de commission de souscription, une innovation créée par Novaxia Neo. « Les SCPI sans frais d’entrée donnent une plus grande liberté dans les montages en démembrement, avec la possibilité d’en sortir à la valeur de souscription sans être décotées des 10 à 12 % de frais d’entrée (en acquittant les frais de sortie) et d’améliorer, ainsi, de 1,5 % le TRI de l’opération », calcule-t-elle. Une flexibilité qui attire notamment les jeunes actifs qui privilégient des durées d’investissement plus courtes (cinq ans), quitte à renouveler l’opération.
Une SCPI thématique
Pour Romain Welsch, président de Theoreim, il est judicieux d’envisager la souscription de SCPI en nue-propriété, « un outil d’ingénierie patrimonial puissant », qui plus est lorsque le sous-jacent est fortement générateur de valeur. C’est le cas, notamment de la SCPI thématique Log In, spécialisée dans l’immobilier industriel (locaux de production et de stockage, centres R&D) et logistique (entrepôts, messagerie) : deux classes d’actifs qui performent. « La SCPI Log In travaille sur la réindustrialisation de l’Europe et sur le rapatriement des chaînes de production sur le territoire européen afin d’assurer la souveraineté industrielle, logistique et numérique », explique le président. Les importants besoins en fonciers du secteur industriel et logistique tirent les loyers vers le haut et sécurisent les revenus des porteurs de parts de la SCPI. Log In propose des modalités de démembrement temporaire sur toutes les maturités – généralement entre cinq et dix ans – au moment de la souscription à la SCPI, offrant une visibilité sur le long terme. « Nous travaillons sur des actifs immobiliers qui abritent la création de valeur des entreprises et intègrent les problématiques d’avenir, comme la production d’énergies renouvelables », précise Romain Welsch. La SCPI qui a bénéficié d’une collecte dynamique au premier semestre 2024 (29 millions d’euros souscrits, portant sa capitalisation à 138 millions d’euros, à fin juin 2024) annonce un taux de distribution cible, compris entre 6,10 % et 6,30 % en 2024, en ligne avec 2023. La SCPI a fait le choix de ne pas investir en France, pour privilégier une fiscalité plus douce et s’est installée, pour l’instant, en Allemagne, en Espagne, en Italie et au Royaume-Uni.
L’importance de la clé de répartition
La souscription en démembrement peut se faire en acquérant la nue-propriété de la part ou son usufruit, c’est sur ce dernier que la demande est la plus forte, provenant, notamment, des entreprises qui, par ce biais, placent leur trésorerie sur des horizons de trois à dix ans, l’amortissent et en tirent un rendement intéressant après fiscalité. « Soit le conseiller en gestion de patrimoine (CGP) nous envoie deux souscriptions : l’une en nue-propriété, l’autre en usufruit, soit nous nous chargeons de fournir la contrepartie », explique Jean-Marie Souclier, président de Sogenial Immobilier. Afin de suggérer des clés de répartition, Sogenial travaille avec France Valley, investisseur en usufruit de parts de SCPI (3,4 milliards d’euros d’actifs en SCPI gérés), notamment via les fonds de souscription d’usufruit temporaire de la gamme Usufruimmo. « Pour un démembrement de la SCPI Cœur de Régions sur dix ans, les clés proposées sont 63,5 % pour la nue-propriété et 36,5 % pour l’usufruit », indique le président. Les SCPI Cœur de Régions et Cœur Europe, qui sont les plus gros véhicules de la société de gestion, en capitalisation comme en rendement, recueillent le plus de souscriptions. « Sur notre SCPI Cœur de Régions, nous enregistrons 16 % de souscriptions en démembrement, pour des durées de trois à vingt ans », indique Jean-Marie Souclier, convaincu que le marché va continuer à se développer. « C’est un schéma vertueux pour les investisseurs fortement fiscalisés, qui ressemble à un réinvestissement automatique des dividendes investis dès la souscription par l’usufruitier et la création de valeur dans le temps », résume-t-il.
Ciblez les SCPI qui collectent
Sur un marché de la pierre-papier à deux vitesses, les investisseurs ont tout intérêt à cibler les SCPI qui affichent une forte collecte, preuve de leur dynamisme et de leur capacité à profiter des opportunités de marché. C’est particulièrement le cas des jeunes fonds. Lancée fin 2021 par Espicap Reim, la SCPI Epsilon 360 a dépassé début juin la barre symbolique des 100 millions d’euros de capitalisation. Fort d’une collecte nette de 17,5 millions d’euros sur le deuxième trimestre, sa capitalisation a atteint 108,8 millions d’euros au premier juillet. « Dans un marché où la collecte globale a nettement ralenti, Epsilon 360° fait partie des quelques fonds qui bénéficient toujours de la confiance des investisseurs et des CGP. Notre collecte nette a atteint près de 30 millions d’euros sur le premier semestre et nous visons les 60 millions d’euros de collecte, d’ici la fin de l’année », annonce Baptiste Camerini, directeur du développement, associé d’Epsicap Reim. La SCPI Epsilon 360 vise à atteindre les 140 millions d’euros de capitalisation en 2024, pour un objectif de performance globale cible de 8 % et un niveau de taux de distribution à 6,5 %, en hausse de 0,25 % par rapport à 2023. « Nous avons revalorisé le prix de la part de + 0,80 %, de 250 à 252 euros, ainsi que l’acompte sur dividende mensuel prévisionnel, qui passe à 1,37 euro par part à compter du mois de juillet, contre 1,35 euro par part sur le premier semestre 2024 », annonce le directeur. Epsilon 360, qui détient 82 % de son portefeuille immobilier dans des villes moyennes dynamiques et des métropoles régionales, adopte une stratégie opportuniste sur toutes les typologies d’actifs. La SCPI compte 25 % de ses souscriptions en démembrement, démontrant l’intérêt de cette stratégie pour les épargnants.
Optez pour le versement programmé
La baisse de prix de certains types d’actifs immobiliers, qui continue d’impacter la pierre-papier, impose aux sociétés de gestion de se montrer encore plus sélectives qu’avant en matière d’allocations. La valorisation du patrimoine par rapport au prix de la part et le taux de distribution des SCPI sont plus que jamais des indicateurs à ne pas négliger. Le nouvel indicateur dit rendement global immobilier (RGI) synthétise bien ces facteurs. « Plus le taux de distribution est élevé, meilleure sera la clé de répartition pour les nus-propriétaires », rappelle Franck Inghels, directeur de la distribution d’Inter Gestion Reim. Il estime l’environnement de marché actuel propice à entrer dans des SCPI qui « collectent bien ». « La valeur de nos patrimoines est supérieure de 6 % et 9 % par rapport au prix de part de nos SCPI, nous laissant ainsi une réserve pour augmenter le prix de part, au bénéfice du nu-propriétaire », annonce-t-il. La société de gestion dénombre 65 % de ses versements programmés en opération de démembrement et 25 % de sa collecte en 2024. « Inter Gestion Reim est la première à avoir ouvert le principe de versement programmé en nue-propriété, la rendant ainsi accessible à toutes les typologies d’investisseurs, et notamment les plus jeunes, séduits par la logique de décimalisation mise en place à partir de 25 euros par mois », constate Franck Inghels. Pour la SCPI Cristal Life, par exemple, avec un apport de 1 000 euros et un effort d’épargne mensuel, sous la forme d’un versement programmé de 250 euros pendant vingt ans, l’investisseur disposera, au terme, de près de 100 000 euros d’épargne immobilier et activera près de 6 000 euros de revenus annuels. « Grâce au double bénéfice de la décote en nue-propriété et de la régularité de performance de nos fonds, vous récupérerez environ 30 % de plus que ce que vous avez versé pendant vingt ans, sans fiscalité, et générerez, au terme, des revenus complémentaires réguliers », assure le directeur, qui constate l’appétence des Français à anticiper leur future indépendance financière.
Investir en viager
Porté par des fonds grand public accessibles depuis les contrats d’assurance-vie ou les plans d’épargne-retraite (PER) – la SCI Viagénérations de la société Turgot AM et la SCI Novalife d’Etxea Capital en tête –, le viager creuse son sillon sur le marché du démembrement temporaire de propriété. « Nous enregistrons 2 à 3 % de croissance en 2024, sur un marché baissier, et accompagnons vingt mille contrats de démembrement viager », se réjouit Stanley Nahon, directeur général du groupe familial Renée Costes, qui a fêté son centenaire en 2021. Avec six mille opérations par an, le viager reste un marché de niche, à destination des populations seniors de plus de soixante-cinq ans, et largement dominé par les ventes entre particuliers. Deux tiers des opérations réalisées sont des viagers avec rente, comprenant un bouquet, somme reçue immédiatement, complétée de rentes à vie, qu’elles soient mensuelles ou trimestrielles, dont le montant est déterminé par rapport à l’espérance de vie de l’usufruitier établi selon la table de mortalité, et un tiers de la nue-propriété (viager occupé sans rente). « Ces deux propositions de valeur permettent aux vendeurs de monétiser une partie de leur patrimoine immobilier, tout en en percevant les bénéfices, sous forme d’occupation ou de revenus locatifs », confirme le directeur.
Un bail à vie
Avec douze millions de foyers de seniors et environ soixante mille d’entre eux ayant choisi cette solution de maintien à domicile, le viager détient un potentiel de développement important. « La valeur immobilière du marché pèse aujourd’hui 1,5 milliard d’euros, soit 0,5 % du marché de l’ancien, alors même que la population des plus de soixante-dix ans va augmenter de 50 % dans les cinq années à venir et que la majorité souhaitera vieillir à domicile », précise Stanley Nahon qui estime à 3 milliards d’euros la valeur immobilière détenue par les retraités français. Plébiscité par les expatriés (15 % des investisseurs), pour son confort de gestion, le viager commence à séduire les multi-investisseurs qui multiplient les petits tickets (à partir de 30 000 euros d’apport et 300 euros de rente mensuelle) sur plusieurs actifs ou renouvellent l’opération tous les trois ans. En 2024, Renée Coste a lancé un contrat de cession-bail à vie, reposant sur un bail dérogatoire qui permet au vendeur de rester chez lui et de monétiser la valeur de son patrimoine en tant que locataire privilégié. « Le vendeur récupère 100 % de la valeur de son bien, devient locataire de son acquéreur et lui verse un loyer mensuel », explique Stanley Nahon. Une innovation juridique qui vient compléter la palette d’offres du groupe.
Rationaliser ses portefeuilles, disposer de plus de réactivité face aux fluctuations des marchés, avoir un accès direct aux gérants et à l’information… Les raisons poussant à la création d’un fonds sur mesure sont multiples.
La liste des sociétés de gestion proposant de créer des fonds sur mesure pour le compte d’un ou plusieurs cabinet(s) de gestion de patrimoine, voire pour un groupement, est longue, notamment du côté des sociétés de gestion entrepreneuriales. C’est qu’il existe un besoin chez les professionnels du patrimoine de s’appuyer sur un fonds (parfois plusieurs) construit et géré pour leur compte, selon un cahier des charges défini en compagnie de la société de gestion. L’objectif pour le conseiller en gestion de patrimoine consiste, le plus souvent, à rationaliser le suivi des portefeuilles de ses clients, à réduire ses contraintes réglementaires et administratives liées aux arbitrages proposés à chacun d’eux, et de disposer d’une solution réactive face aux soubresauts des marchés financiers. Pour autant, avant de lancer ce type de véhicule – potentiellement plus rémunérateur –, le CGP doit s’assurer que cette solution s’adapte à son offre globale et qu’il puisse drainer les encours suffisants pour que la solution soit viable. « Dès lors qu’un cabinet gère plusieurs dizaines de millions d’euros d’encours, il paraît même indispensable pour les cabinets d’avoir un fonds dédié pour réduire la pression administrative et faire face à la volatilité des marchés », résume Laurent Durin Monteillet, directeur général adjoint en charge du développement et associé chez Claresco Finance.
Une gestion personnalisée
Dans tous les cas, un fonds dédié est créé et géré selon un cahier des charges établi en compagnie du ou des conseillers en gestion de patrimoine. « Le plus souvent, il s’agit de portefeuilles exposés à l’international et très flexibles pour s’ouvrir tout le champ des possibles », poursuit Laurent Durin Monteillet.
Avant tout flexible et diversifié
Dans les cas les plus fréquents, il s’agit donc de fonds patrimoniaux/diversifiés. Leur gestion est mise en musique via toute une palette d’instruments financiers, même si les dispositions de Value for Money semblent limiter le recours aux fonds gérés activement. « Ce cadre nous contraint également à ne pas trop faire tourner les portefeuilles », indique Romain Mahieu, directeur gestion sous mandat et solutions de Richelieu Gestion (cf. également encadré page 92). « Dans la gestion de nos fonds, nous utilisons aussi bien des OPC traditionnels, avec des parts institutionnelles ou des clean shares, mais aussi des ETF, des titres vifs (actions, obligations, obligations convertibles), des produits structurés (généralement 20 % maximum) et des produits dérivés listés (notamment en couverture) », liste Sébastien Grasset, directeur général asset management chez Auris Gestion. Roni Michaly, président-directeur général de Galilee AM, ajoute : « Le CGP peut choisir une gestion réalisée en titres vifs, en multigestion ou qui combine l’ensemble de ses outils. Chez Galilee AM, nous observons que c’est la multigestion qui est privilégiée par les CGP. Par ailleurs, nous privilégions les gestions pures (100 % OPCVM ou ETF ou titres vifs) car elles sont plus faciles à suivre et présentent chez nous empiriquement des meilleurs couples rendement-risque. » Un exemple concret : chez Richelieu Gestion, le fonds sur mesure Stella Maris vise une allocation cible composée à 70 % d’actions et 30 % de produits de taux, avec à l’intérieur des OPC (20 % maximum de fonds Richelieu Gestion), des ETF et des titres vifs (européens et américains). Dès lors, ces fonds dédiés à profil patrimonial sont « souvent utilisés comme le premier pilier de l’allocation d’actifs cotés », note François Jubin, CEO de Zenith AM. Sébastien Grasset complète : « Pour le CGP, le fonds sur mesure est le plus souvent l’unité de compte de base de ses allocations, généralement autour de 30 à 40 %. Cela lui permet ainsi de rationaliser ses portefeuilles. Il s’agit généralement d’un fonds mixte international, avec un SRI 3 ou 4, même si nous avons des demandes spécifiques plus ou moins risquées. Généralement, les CGP adhèrent à notre approche macroéconomique, mais nous avons aussi des demandes spécifiques, comme l’intégration d’une exposition aux commodities, aux actifs numériques ou encore le déploiement d’une gestion davantage tactique (par le recours plus dynamique à des couvertures). » Outre l’accès à des fonds qui ne sont pas référencés dans les contrats d’assurance-vie, Guilaine Perche, responsable distribution auprès des conseillers en gestion de patrimoine chez Lazard Frères Gestion, observe que « Le fonds sur mesure permet également aux CGP d’accéder à des instruments financiers auxquels ils n’accèdent pas en direct, comme les produits de taux ou les devises. » Lazard Frères Gestion a développé une offre de fonds sur mesure depuis plus d’une dizaine d’années, avec un premier fonds dédié lancé en 2012. La société de gestion gère aujourd’hui dix-huit fonds, avec de nouveaux fonds en cours de création, pour un total de 400 millions d’euros d’encours.
Une demande qui évolue
Si l’appétit des CGP s’est d’abord fixé sur des fonds au profil patrimonial/flexible, il semble évoluer vers des solutions plus pures, obligataires ou actions. « C’est notamment le cas des grands groupes de CGP disposant souvent de leur propre société de gestion et qui choisissent le modèle de sous-délégation sur des expertises spécifiques, avec un cahier des charges précis, indique Guilaine Perche. Les demandes se portent actuellement sur des fonds obligataires, eu égard au niveau actuel des taux, mais aussi sur des fonds actions internationales avec une approche de stock-picking sur des titres de qualité à prix raisonnable. » Chez Galilee AM, on observe une grande diversité dans les styles des fonds gérés sur mesure. « Nous assurons la gestion de six fonds dédiés avec des profils très différents, notamment un fonds actions internationales, un fonds basé sur un modèle systématique, un fonds carte blanche ou encore un fonds small et mid-caps », indique Roni Michaly.
Uniformiser les allocations et accroître la réactivité
Parmi les différentes motivations incitant les professionnels du patrimoine à créer ces fonds sur mesure, la rationalisation des allocations des clients – et la réduction des contraintes administratives et réglementaires qui en découle – et l’accès à une gestion plus réactive arrivent en tête. « Le fonds sur mesure répond à la volonté du conseiller en gestion de patrimoine d’homogénéiser ses portefeuilles, notamment la poche stratégique de ses allocations avec le fonds en euros, aux côtés de la poche tactique constituée d’autres actifs, estime Laurent Durin Monteillet. Cela lui offre également de la réactivité face aux évolutions de marché (sans avoir à justifier les arbitrages), avec un gérant professionnel aux commandes du fonds, mais aussi le décharge de la gestion administrative. Il gagne un temps considérable. ». Guilaine Perche abonde dans ce sens : « L’avantage du fonds sur mesure est qu’il offre de la réactivité et de la flexibilité aux CGP, sans avoir à procéder à des arbitrages. Le conseiller rationalise ainsi ses allocations et simplifie sa gestion administrative. » Elle ajoute : « Pour les gros cabinets cela est essentiel, notamment pour ceux qui procèdent à des rachats de portefeuilles et qui voient ainsi leur éventail de fonds à suivre augmenter sensiblement. » Le recours à un fonds sur mesure adoptant une gestion « patrimoniale » permet donc au professionnel de limiter ses arbitrages. Cela assure également une rapidité d’exécution qui est loin d’être le cas dans le cadre de l’assurance, quand bien même les compagnies et plates-formes ont digitalisé leurs processus. « Même si les démarches sont désormais totalement digitalisées chez la plupart des assureurs, réaliser un arbitrage demande plusieurs jours, entre l’envoi de la proposition au client et sa réalisation au sein du contrat. Par ailleurs, avec un fonds sur mesure, tous les clients sont arbitrés au même moment », assure Roni Michaly. Les clients bénéficient alors d’une gestion plus efficiente de leurs portefeuilles. Romain Mahieu expose : « La crise du Covid, puis la guerre en Ukraine ont révélé la nécessité pour les CGP d’avoir plus de réactivité pour faire face aux pics de volatilité et aux rotations sectorielles. Or, le passage d’ordres sur les contrats d’assurance-vie est fastidieux et chronophage. Le fonds dédié permet également d’arbitrer les clients de façon équitable, tous en même temps. »
Une vision éclairée de l’allocation et des marchés
Eu égard au lien étroit entretenu entre le CGP et la maison de gestion, les sociétés proposent à leurs partenaires une communication de proximité et un accès facilité aux gérants. « Durant la vie du fonds, nous apportons un maximum d’informations au partenaire CGP pour qu’il puisse suivre l’allocation d’actifs. Il bénéficie également d’un accès direct aux équipes de gestion », confirme Sébastien Grasset. Chez Auris Gestion, onze personnes sont dédiées à la gestion des fonds sur mesure, une activité stratégique pour la société de gestion, avec plus de soixante fonds créés pour 480 millions d’euros d’encours. « Le CGP bénéficie également d’un accès privilégié à l’information, tant sur la gestion du fonds que sur les marchés. L’ensemble des services associés au fonds dédié est important chez nous : rapport de risque, transparisation, accès direct au gérant… », assure également Roni Michaly. La transparence et la proximité sont en effet des enjeux cruciaux pour les CGP selon François Jubin : « Chez Zenith AM nous gérons deux fonds sur mesure : l’un depuis cinq ans, l’autre depuis près de quatre ans (entre 15 et 20 millions d’euros d’encours chacun). Le premier est totalement géré en titres vifs (actions US et européennes, et obligations gouvernementales et Investment Grade), le second à 50 % en titres vifs et 50 % en fonds et ETF. Dans les deux cas, ces CGP souhaitaient bénéficier d’une solution transparente sur la stratégie et le processus d’investissement afin d’avoir une bonne visibilité sur l’évolution du portefeuille, le tout avec un positionnement international et l’intégration de titres vifs. Cette formule vient également améliorer leurs dispositifs de contrôle des allocations. Cela permet au CGP d’avoir une bonne compréhension de la stratégie du fonds, compte tenu du contexte de marché, et donc de bien cerner les enjeux pour ses clients. Ainsi, il peut restituer l’information à son client de façon plus facile. Par ailleurs, ce lien privilégié avec le CGP permet d’élargir la discussion sur d’autres offres de la société de gestion. »
Le CGP conseiller du fonds
Pour aller plus loin, le CGP peut être nommé conseiller du fonds, ce qui est généralement le cas. Cependant, tous les asset managers affirment leur fermeté : les décisions de gestion restent leur prérogative. « Sur les fonds patrimoniaux, les CGP peuvent être conseil du fonds (pas sur les fonds purs). Ils nous apportent leur vision de l’allocation et leur connaissance des clients. Dans tous les cas, nous restons maîtres de la gestion », indique notamment Guilaine Perche. François Jubin ajoute : « Pour chacun des deux fonds sur mesure que nous gérons, le CGP partenaire est conseil. Dans les deux cas, ces CGP avaient auparavant exercé sur les marchés financiers, au sein de sociétés de gestion. Sans être gérants, ils peuvent faire entendre leur voix, Zenith AM restant maître de ses décisions d’investissement ». Le gestionnaire de patrimoine peut également être accompagné d’une société conseil en allocation d’actifs et/ou sélection de fonds. « Certains CGP souhaitent bénéficier de conseils externes, comme ceux de Cros Investing ou EOS Allocations », confirme Laurent Durin Monteillet. « Ce schéma de “co-conseillers” nous convient parfaitement, à partir du moment où il est bien orchestré et formalisé », affirme, pour sa part, Sébastien Grasset. « Par exemple, notre fonds Stella Maris, créé avec les cabinets BJ Finance, DG Sport et Numa Conseil, bénéficie du soutien de la société Fundesys, spécialiste dans la sélection de fonds et de l’allocation d’actifs », indique Romain Mahieu.
Pour quels cabinets ?
Si la question de l’utilité d’un fonds dédié doit donc être mûrement réfléchie, il convient également de disposer des encours nécessaires pour qu’il soit bénéfique à l’ensemble des parties. Par le passé, certaines initiatives n’ont pas rencontré le succès escompté, le cabinet n’ayant su – ou pu drainer – des encours suffisants. « Entre les objectifs initiaux, notamment commerciaux, et la réalité, il y a souvent un écart, indique un professionnel du secteur. Les CGP ont en effet souvent tendance à surestimer leur capacité de traction de leurs clients sur ce type de solution. Le CGP doit ainsi bien positionner son fonds sur mesure dans sa proposition de valeur. Attention à ne pas perdre de vue ce que les clients recherchent en s’adressant à eux, à savoir une offre en architecture ouverte. Le cabinet doit être suffisamment mûr et avoir une surface d’encours suffisante avant de créer un fonds dédié. » Le plus souvent, les sociétés de gestion considèrent que le cabinet doit être en capacité de drainer une dizaine de millions d’euros d’encours rapidement, généralement sous douze à dix-huit mois. La gestion d’un fonds dédié engendre différents frais qu’il convient de supporter avant d’atteindre la rentabilité : frais du dépositaire, coûts liés au commissaire aux comptes, frais de valorisation… Chez Lazard Frères Gestion, le seuil est fixé à 10 millions d’euros : « Le CGP doit disposer de la surface financière pour pouvoir drainer suffisamment d’actifs vers le fonds, tout en diversifiant bien les portefeuilles de ses clients, note Guilaine Perche. La plupart de nos cabinets partenaires sur ce type de solutions disposent d’au moins 80 à 100 millions d’euros d’encours, ou sont en fort développement, notamment grâce à leur croissance externe. » Une société de gestion fait figure d’exception. En effet, Auris Gestion vise à atteindre les 3 millions d’euros d’encours dans les neuf à douze mois qui suivent son lancement. « Nous avons pu négocier des frais fixes mesurés auprès de nos partenaires : dépositaire, valorisateur et commissaire aux comptes, et cette négociation joue à plein à partir de 3 millions d’euros d’actifs », précise Sébastien Grasset. Avant de se lancer, les asset managers cherchent donc à identifier le potentiel du cabinet en scrutant le niveau global d’encours du cabinet, mais aussi la typologie des sous-jacents utilisés dans les portefeuilles, c’est-à-dire la part du fonds en euro, la composition de la poche d’unités de compte, par exemple, et des clients. La plus ou moins large diversification des partenaires assureurs est également observée pour des questions de référencement du fonds sur mesure qui, lui aussi, à un coût non négligeable chez certaines compagnies. « Chez Claresco, nous pouvons envisager de créer un fonds sur mesure dès lors que l’on estime que le cabinet peut collecter 10 millions d’euros sous dix-huit mois, confie Laurent Durin Monteillet, dont la société de gestion qui gère trois fonds dédiés. Cela est donc possible pour un cabinet dont les encours s’élèvent à 50-60 millions d’euros et restent concentrés chez un nombre restreint d’assureurs. Cela revient à ce que le cabinet alloue 20 à 35 % de ses portefeuilles dans le fonds. » Roni Michaly conseille, quant à lui, aux conseillers en gestion de patrimoine de « s’assurer que la gestion de fonds sur mesure constitue une activité stratégique pour la société de gestion avec qui ils s’associent. Beaucoup de sociétés de gestion ont, par le passé, proposé ce service de façon accessoire et uniquement pour capter des encours, ce qui a pu contribuer à donner une image moyenne aux fonds sur mesure. »
Contraints par Value for Money
Selon Roni Michaly, PDG de Galilee AM, le cadre de Value for Money pénalise la multigestion. Il invite les assureurs à prendre en compte les spécificités des fonds sur mesure. « Pour entrer dans le cadre Value for Money, les multigérants sont contraints de construire leurs allocations via des ETF. Le cas spécifique de la multigestion n’a pas été pris en compte par les assureurs, et le risque est de détruire une partie de la gestion actions française, qui est pourtant la plus puissante d’Europe, et, parallèlement, de renforcer les gérants d’ETF qui sont le plus souvent américains… Chez Galilee AM, nous avons déjà fortement augmenté notre poche d’ETF qui représente désormais 50 % de nos fonds sur mesure ».
Dans un portefeuille, les fonds actions long-short (positions acheteuses versus positions vendeuses) permettent aux investisseurs à la recherche de rendements de miser en Bourse, tout en diminuant leur exposition aux marchés. Et donc de réduire les risques. Mode d’emploi.