Pourquoi et comment concevoir ses propres produits

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> Article paru dans le magazine n°: 833

De plus en plus, les CGP s’investissent dans la structuration de leurs propres produits pour satisfaire leurs clients finaux. Si la finalité ne doit pas être de percevoir une rémunération plus importante, les motivations sont multiples et les conditions de conception ne sont pas à la portée de tous les cabinets. Attention également à ce que le CGP ne perde pas de son objectivité.

Toujours plus sollicités par leurs fournisseurs de produits, les conseils en gestion de patrimoine franchissent de plus en plus souvent le pas de la conception de produits à destination de leurs clients. Selon Meyer Azogui, président du groupe Cyrus, « pour un CGP, créer ses propres produits n’est pas une obligation, mais cela devient de plus en plus nécessaire lorsqu’il monte en compétence et en gamme de clientèle. Chez Cyrus, la création de nos propres structures a toujours été dictée par le besoin client et son évolution. Ainsi, créer des structures de gestion nous permet de proposer des services et produits à forte valeur ajoutée et très différenciants ».

Des exemples multiples

Les conceptions de produits sont courantes, les créations de sociétés de gestion de portefeuilles par des cabinets multiples (Invest AM, WiseAM, Phi IM…), ainsi que les prises de participations (comme Olifan Group au sein de la Financière responsable). Les sociétés de gestion proposant de gérer des fonds dédiés pour un cabinet ou un pool de cabinets sont nombreuses, tandis que la conception de FIC, FID ou FAS au sein de contrats luxembourgeois est monnaie courante. Toujours sur le plan financier, la conception de produits structurés sur mesure s’est démocratisée au fil des années (cf. pages 30 à 34).

En assurance-vie, certains cabinets disposent de leur propre contrat. Récemment, le groupement Magnacarta a lancé le sien avec Vie Plus, Habeo. Autre exemple, celui du cabinet Scala Patrimoine qui a conçu – toujours avec la filière de Suravenir dédiée au marché des CGP -, le contrat Scala Life, notamment pour l’intégration des parts de clean shares et des ETF.

Dans le domaine immobilier, certains gros cabinets, à l’image d’Olifan, ont pu construire leur propre OPPCI, alors que Cyrus vient de faire agréer Eternam par l’AMF. D’autres se lancent dans des opérations immobilières physiques qui peuvent être de tout type : club deals sur de l’immobilier d’entreprise, rénovation d’immobilier d’habitation ancien…

Ainsi, les cabinets réalisent ces opérations, parfois en compagnie de partenaires spécialisés, ou créent leur propre structure, comme c’est le cas pour Cyrus Conseil avec Invest AM pour l’asset management financier et Eternam pour l’asset management immobilier. « Avant de franchir le pas, nous sommes passés par une étape intermédiaire : la création de fonds dédiés gérés par des partenaires. Cela fut le cas aussi bien pour le financier que pour l’immobilier », précise Meyer Azogui.

Dans tous les cas, pour Nebojsa Sreckovic, président de NS Groupe, le conseiller en gestion de patrimoine, ne doit pas perdre de vue sa mission : « N’oublions pas que le rôle du CGP est avant tout l’allocation d’actifs et d’assurer la bonne organisation du patrimoine de ses clients sur le plan civil, successoral, social et fiscal ».

Apporter de la valeur et du service aux clients

En effet, ces opérations sont motivées par différentes (bonnes) raisons et avant tout dans l’intérêt du client.

Fonds dédiés

Pour la création de fonds dédiés, il peut s’agir d’une plus grande proximité avec la gestion, davantage de réactivité et d’accéder à des actifs autres que ceux référencés dans les contrats d’assurance-vie.

Nebojsa Sreckovic affirme que « La création d’un OPC est, selon moi, une solution attractive. Alors que nous sommes contraints par l’offre référencée sur les plates-formes, le fonds dédié permet d’accéder à des solutions autres. Ici, se pose le problème de la taille pour pouvoir lancer un FID, un FIC ou un FAS sur les contrats luxembourgeois ou un fonds dédié pour les assurances-vie françaises. Le partenaire de la société de gestion doit rester le gérant : c’est leur compétence, pas celle du CGP ! Il accède également à une information plus exhaustive que le gestionnaire de patrimoine qui n’a qu’une photo partielle du portefeuille et à un instant passé… Le fonds dédié offre également plus de réactivité, alors qu’en passant par une plate-forme l’arbitrage est réalisé à, au mieux, J +2 ».

NS Groupe collabore depuis de nombreuses années avec plusieurs asset managers financiers. Nebojsa Sreckovic est également associé dans la jeune société de gestion, Phi IM. « Ces fonds dédiés nous permettent d’aller chercher les expertises de chacun. Chez Phi IM, c’est la gestion en ETF qui nous attire, et ma présence au conseil de surveillance vise à me permettre d’assurer la protection des intérêts de mes clients. Une autre motivation de la création de ces fonds a été de pouvoir accéder à des sous-jacents spécifiques, notamment en les faisant référencer sur d’anciens contrats à l’offre désuète. Enfin, l’autre avantage est qu’on maîtrise les frais et qu’on peut influer sur la philosophie de gestion en faisant remonter le ressenti des clients ».

Christophe Goudal, associé-gérant du cabinet CG Finance à Valbonne-Sophia Antipolis, a mis en place, lui aussi, un produit dédié en compagnie de Sycomore Asset Management il y a un an, Sophia Valeurs Internationales (FR0013402336), avec un biais ISR. « L’objectif était de pouvoir opérer en toute transparence avec nos clients pour expliquer les performances ligne par ligne (vingt-huit actuellement). De même, nous avons réduit les frais globaux à 1,8 %, en rognant sur notre rémunération. Déçu par les performances des fonds diversifiés ces dernières années en ayant toutes les peines du monde à expliquer pourquoi à nos clients, nous avons décidé de faire évoluer nos allocations dès 2019. Ainsi, sur la partie dite sécuritaire des portefeuilles, nous associons le fonds en euro, des produits structurés et des parts de SCPI-SCI (sur le long terme). Sur la partie dynamique, nous associons ce fonds à des véhicules plus dynamiques, en particulier des fonds thématiques (eau, environnement, digital, intelligence artificielle, sécurité…) et quelques solutions de performance absolue, comme les fonds de H2O, qui même si les performances récentes sont désastreuses, nous ont permis de délivrer de la performance pendant de longues années ». A terme, un fonds d’allocation prudent devrait être créé par le cabinet.

Créer sa propre société de gestion

Cyrus Conseil est également passé par la case fonds dédiés avant de lancer Invest AM il y a dix ans. « Lorsque nous avons créé notre société de gestion de portefeuille, il s’agissait de professionnaliser nos allocations d’actifs et d’augmenter notre réactivité en évitant, grâce à la délégation de gestion, les contraintes administratives liées à la gestion des arbitrages, rappelle Meyer Azogui. Dans le même sens, pour offrir davantage de souplesse à nos clients au marché primaire et pouvoir opérer sur le secondaire, nous avons étendu notre agrément AMF pour pouvoir gérer des mandats de produits structurés. Au sein d’Invest AM, nous nous comportons comme des allocataires d’actifs en architecture ouverte, mais avec la puissance d’une équipe expérimentée dont c’est le métier exclusif. Nous sélectionnons les gérants, mais aussi les instruments financiers les plus larges (Futures, dérivées, devises…) pour construire des portefeuilles robustes, à l’image de la gamme Latitude dont les performances sont remarquables depuis de nombreuses années. »

Les fonds diversifiés de la société de gestion affichent les performances suivantes (données au 15 juin 2020, source : Quantalys) :

- Invest Latitude Patrimoine (part A) : + 30,40 % sur huit ans, + 11,04 % sur cinq ans et + 0,27 % YtD ;

- Invest Latitude Equilibre (part A) : + 58,93 % sur dix ans, + 67,07 % sur huit ans, + 22,31 % sur cinq ans, et –2,13 % YtD.

Immobilier

En immobilier, les choses se compliquent selon Nebojsa Sreckovic : « Il est difficile dans ce domaine d’industrialiser un process. Si une bonne opportunité peut être dénichée, il convient ensuite d’être en capacité de la reproduire, et cela nécessite de mettre des moyens pour y parvenir ».

Pour sa part, Christophe Goudal mène ponctuellement quelques opérations pour le compte de ses clients : « Sur l’immobilier, avec certains de nos clients des opérations en direct peuvent être menées, notamment sur des bureaux. Mais ce ne sont pas des opérations "classiques" et il ne s’agit que de biens que nous maîtrisons. Par exemple, nous avons récemment acquis des bureaux à une SCPI dans notre région, pour des clients locaux ».

Chez Cyrus Conseil, l’étape supérieure a été franchie avec la structuration de fonds, Eternam a reçu son agrément en tant que société de gestion en décembre dernier et a lancé, fin mai, le FPCI Alcyon dédié à l’hôtellerie. « Pour notre filiale immobilière Eternam, l’objectif a été de rendre accessibles à des particuliers des solutions traditionnellement réservées à des institutionnels ou des investisseurs très fortunés ».

Produits structurés

En matière de produits structurés, le développement de solutions dédiées s’est largement répandu. Dans ce domaine, Cyrus a obtenu son extension d’agrément. Chez CG Finance, des solutions dédiées sont lancées. « Dans ce domaine, nous ne conseillons que des produits dédiés ; notre clientèle nous le permet. Il s’agit toujours de solutions avec de fortes protections en capital et des coupons pouvant être versés même à la baisse et à effet mémoire ».

En revanche, Nebojsa Sreckovic se montre circonspect vis-à-vis de cette pratique. « Je ne suis pas convaincu par la création de produits structurés dédiés. S’ils permettent d’être plus réactifs ou de capter un bon point d’entrée, contrairement aux produits de campagne, je ne suis pas certain que mes confrères maîtrisent réellement l’ensemble des paramètres de ces produits. Souvent, il s’agit de percevoir une rémunération supérieure… »

Mais encore…

Outre l’asset management financier et immobilier maîtrisé sur toute la chaîne, Cyrus Conseil est, depuis peu, à l’initiative d’un produit spécifique dans le domaine du Private Equity. « Notre positionnement d’assembleur de solutions s’étend également au non-coté depuis peu, indique son président. Nous avons créé des véhicules qui offrent à nos clients, à partir de seulement 200 000 €, la possibilité d’investir dans des fonds de capital-investissement ou de dettes privées des plus grands gérants mondiaux (Ardian, Bridgepoint…). »

Cyrus Conseil dispose également de deux contrats dédiés assurés par Spirica et AEP. « Ici aussi, il s’agissait de répondre à un besoin client. L’objectif était de pouvoir disposer d’enveloppes souples en termes de gestion et de référencement de solutions de gestion. Ainsi, toute la palette de supports et de services est disponible en même temps au sein de ces contrats : fonds en euros, gestion libre, produits structurés, SCPI, gestion pilotée ou encore gestion sous mandat. Et ici aussi, avoir du volume est nécessaire pour que ce type de produit dédié soit "viable" dans la durée. Ainsi, plus de 600 millions d’euros sont investis à travers ces deux compagnies ».

Quelles conditions réunir ?

Car tout CGP n’est pas en capacité de créer ses propres produits ou créer sa société de gestion. La clientèle doit être conséquente et en développement. Lorsqu’un produit est conçu en partenariat avec un fournisseur, ce dernier attend un certain volume d’actifs pour rentabiliser son investissement. Pour un fonds dédié, l’objectif est souvent d’atteindre rapidement autour d’une dizaine de millions d’euros (parfois moins chez quelques asset managers). « La taille est une problématique, confirme Nebojsa Sreckovic. Pour créer un fonds dédié, il convient d’avoir un cabinet en développement car la société de gestion requiert l’atteinte d’un certain volume de collecte. Attention donc à ce que le CGP ne perde pas de son objectivité… »

Et pour la création d’une filiale de gestion, le volume à atteindre est encore plus important. « Ce type d’opération nécessite des moyens importants, techniques et humains afin de couvrir les frais fixes et sécuriser les process sur toute la chaîne de valeur, estime Meyer Azogui. C’est un investissement à moyen/long terme qui ne doit pas être sous-estimé. Invest AM n’a connu l’équilibre qu’au bout de la troisième année seulement. Les perspectives de développement du cabinet doivent être fortes. Ce ne sont pas uniquement les stocks, mais les flux futurs qui doivent guider la réflexion du CGP. »

Dans tous les cas, l’objectif premier ne doit pas être de percevoir une rémunération supplémentaire. Meyer Azogui poursuit : « si le gain de marges supplémentaires se concrétise à long terme – sans que cela ne coûte au client final -, il n’est pas suffisant pour justifier de la demande d’un agrément auprès de l’AMF ».

Ce dernier reste, par ailleurs, dubitatif vis-à-vis des structures associant plusieurs cabinets de gestion de patrimoine. « Je suis moins convaincu par la stratégie qui consiste à prendre des participations très minoritaires au sein d’une société de gestion. L'affectio societatis ne sera pas suffisant pour surmonter les périodes de difficultés qui ne manquent pas ».

Etre associé d’une société de gestion n’est d’ailleurs pas l’objectif de Christophe Goudal « pour des questions de gestion des conflits d’intérêts. De plus, une société de gestion nécessite des moyens colossaux en termes de ressources humaines et de systèmes d’information, ce qui peut être un frein à la performance… Mais chacun est libre de choisir son modèle de développement ! »

Dans leur exercice, les CGP se doivent également de limiter la proportion de produits « maisons » conseillés à leurs clients. Par exemple, chez CG Finance, le fonds Sophia Valeurs Internationales ne représente que 3,5 % des allocations. Chez Cyrus, les fonds Invest AM représentent moins de 15 % de nos encours globaux. « La règle reste donc l’architecture ouverte, les fonds gérés par Invest AM constituent le plus souvent la base de l’allocation de nos clients qui sont complétés par les fonds de partenaires externes ».

Et dans tous les cas, « quoi qu’il en soit, le juge de paix pour le client final reste la performance », conclut le président de Cyrus Conseil.

Le groupe Cyrus compte s’adresser à ses confrères CGP dans les prochains mois. Meyer Azogui expose : « Notre volonté est de proposer des produits et services vraiment différenciants et complémentaires de l’offre existante. Si les fonds d’Invest AM sont déjà actuellement accessibles, nous construisons une offre plus large composée de club deals, de SCI accessibles en assurance vie, ou encore de FPCI ou de fonds dans des actifs non cotés. Cet axe de développement externe est un de nos défis majeurs pour les cinq années à venir ».

 

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