Face à une sinistralité en hausse, les contrats d’assurance en responsabilité civile professionnelle ont souvent évolué ces dernières années pour s’adapter aux besoins des cabinets sans exploser en tarification.
Récemment, une décision de la Cour de cassation est venue inquiéter la profession.
Celle-ci reste toutefois critiquable sur de nombreux points.
Chaque année, les cabinets de conseil en gestion de patrimoine doivent souscrire un contrat d’assu- rance en responsabilité financière et les garanties financières pour exercer leur profession. Le statut de CGP n’existant pas, ils doivent garantir chacune de leurs activités de conseil et d’intermédiation, dont les garanties minimales requises par la loi diffèrent. Le plus souvent, les conseils en gestion de patrimoine s’appuient sur le contrat négocié par leur association professionnelle. Ainsi, la Compagnie des CGP, la CNCGP, l’ANCDGP et la CNCEF Patrimoine ont négocié un contrat pour leur membre, dont la souscription peut être rendue obligatoire par l’association comme c’est le cas à la CNCGP. En revanche, l’Anacofi propose une offre multiple:les assureurs sont en effet libres de soumettre un contrat groupe aux membres de cette association professionnelle. Six contrats leur sont actuellement proposés. « Contrairement à l’an passé, il ne semble pas que des hausses tarifaires majeures aient été pratiquées, observe David Charlet, président de l’Anacofi. On a pu observer que certains contrats peuvent permettre d’accéder à certaines garanties ou prestations ou, au contraire, excluent certaines activités. Dans le premier cas, il peut s’agir d’une protection juridique ou, comme c’est le cas chez CGPA des activités annexes à hauteur de 10 % du chiffre d’affaires sans hausse de prime. Dans le second cas, il s’agit, par exemple, d’exclure des garanties la commercialisation de produits atypiques, d’opérations en Girardin industriel. Les assureurs semblent aussi logiquement plus attentifs vis-à-vis des clubs deals depuis les affaires Maranatha, Bio c’Bon et Marne & Finance. Sou- vent, les décisions de justice orientent les politiques des assureurs. Dans tous les cas, nous préconisons à nos membres de faire attention à leur contrat, notamment pour ce qui concerne les exclusions. »Au sein des contrats RCP, la hausse de la sinistralité (affaires DTD, Maranatha, sanctions AMF plus fréquente…) et la judiciarisation des rapports avec les épargnants ont conduit à des évolutions au sein des contrats. Des acteurs se retireraient même du marché.
Dans ce contexte, la CNCGP a décidé de faire évoluer son contrat. « Afin de répondre à un contexte assurantiel sensible et garantir à ses adhérents les conditions d’assurance les plus performantes, la CNCGP a engagé, sur deux ans, une refonte de son offre RCP, signale Grégoire Bourgeois, président de la commission RCP de la Chambre nationale des conseils en gestion de patrimoine. Elle a confirmé sa volonté de maintenir une police RCP commune à l’ensemble de ses adhérents, tout en instaurant une personnalisation du contrat pour plus d’équité. Les deux premières mesures ont permis d’ajuster les niveaux de garanties à la réalité des besoins et de mettre en place trois options franchise-primes pour permettre aux adhérents d’adapter le contrat à leur situation (effectivité 2020). La dernière mesure, entrée en vigueur en 2021, consiste en l’application de taux de prime adaptés selon les activités exercées et leur niveau d’exposition au risque. Concrètement, une activité plus exposée au risque de sinistres se verra appliquer un taux plus élevé qu’une activité moins exposée. » Un niveau de franchise devenu modulable Si globalement les tarifs ont peu augmenté, certaines modalités de certains contrat ont évolué. Il s’agit notamment des franchises.
Sur ce point, on observe que les contrats de la CNCGP, Compagnie des CGP et CNCEF Patrimoine – trois contrats souscrits auprès de Covéa Risks via le courtier BDJ – prévoient des montants de prime différents selon le niveau de la franchise.
A La Compagnie des CGP, deux formules de franchises sont proposées. « L’une des évolutions majeures de notre contrat est la mise en place de deux tarifs selon l’option de franchise choisie par le CGP:5 000 ou 10 000 euros, note Laurent Lefeuvre, responsable de la commission RCP. Dès lors, si la formule retenue est celle d’une plus faible franchise, le montant de la prime sera plus élevé. En effet, même si la sinistralité est faible chez nous, l’assureur a souhaité revoir cet aspect du contrat. »Par exemple, le contrat d’assurance RCP de la CNCEF Patrimoine permet de choisir entre trois niveaux de franchise:5 000 euros, 10 000 euros ou 15 000 euros (pour les jeunes adhérents la franchise par sinistre est fixée à 3 500 euros pendant trois ans). Dans ce cas, les primes provisionnelles s’élèvent à 1 735 euros TTC pour la franchise à 5 000 euros; 1 597 euros TTC pour une franchise à 10 000 euros et 1 458 euros TTC pour une franchise à 15 000 euros. Quant à l’incidence sur le taux de taux de révision sur les chiffres d’affaires HT de l’année N-1, elle est la suivante:-franchise à 5 000 euros:0.89 % TTC pour les cabinets dont le chiffre d’affaires et inférieur à 700 000 euros et 0,78 % au-delà; -franchise à 10 000 euros:respectivement 0,82 % et 0,72 %; -franchise à 15 000 euros:0,72 % dans le premier cas et 0,65 % dans le second cas. Pour les jeunes adhérents, notons que la prime est forfaitaire:726 euros TTC la première année, 932 euros TTC la deuxième et 1 184 euros la troisième année. Notons d’ailleurs que le contrat de la CNCEF compte désormais une protection juridique.
Une deuxième fortement conseillée Par ailleurs, eu égard à l’augmentation de l’activité des cabinets, de dossiers de taille plus importante, d’une réglementation toujours plus invasive et d’un plus grand risque de mise en jeu de la responsabilité des CGP, une couverture complémentaire – dite de deuxième ligne – peut être souscrite par les cabinets et tend à se généraliser. Cette garantie s’exerce en complément et/ou après épuisement du montant de la garantie RC professionnelle accordée au titre du contrat principal de première ligne.
A la Compagnie des CGP, cette garantie complémentaire s’élève à 3 millions d’euros par sinistre et par an, avec une limite à un million d’euros pour la commercialisation d’opération Girardin. La prime varie selon le chiffre d’affaires réalisé par le cabinet:490 euros TTC pour les cabinets réalisant moins de 1 million d’euros de CA et 940 euros TTC au-delà. Pour les adhérents de la CNCEF Patrimoine, le montant de garantie est fixé à 3 millions d’euros par sinistre et par an (limité à un million d’euros pour la commercialisation d’opérations Girardin), avec une cotisation annuelle forfaitaire .
de 720 euros TTC pour les adhérents réalisant moins de 700 000 euros de chiffre d’affaires et 1 120 euros TTC au-delà.
Pour les adhérents de la CNCGP, le montant de garantie pour la deuxième est au choix du cabinet:2,5 millions d’euros, 4 millions d’euros ou 8 millions d’euros, le tout avec une limite de garantie générale appliquée pour la commercialisation d’opérations de défiscalisation Girardin fixée à 2 millions d’euros par sinistre et par an.
Pas de changement pour le contrat de l’ANCDGP Pour cette année 2021, l’ANCDGP n’a pas fait évoluer les conditions de son contrat groupe à adhésion facultative négocié auprès de l’assureur AIG via le courtier Oria Conseils.
Son contrat (qui est accessible également aux membres de l’Anacofi) est destiné aux cabinets dont le chiffre d’affaires HT est inférieur ou égal à 5 millions d’euros.
Particularité:la prime est forfaitaire, c’est-à-dire sans révision de prix sur le chiffre d’affaires réalisé, dès lors que le contrat n’est pas modifié.
Le contrat dispose des conditions tarifaires suivantes:-675 € pour les chiffres d’affaires inférieurs à 50 000 €; –810 € entre 50 001 et 150 000 €; –1 170 € entre 150 001 et 250 000 €; –2 205 € entre 250 001 et 500 000 €; –2 880 € entre 500 001 et 750 000 €; –3 465 € entre 750 001 et 1 million d’euros; –4 500 € entre 1 000 001 et 1,5 million d’euros.
—5 760 € entre 1 500 001 et 3 millions d’euros.
-7 600 € entre 3 000 001 et 5 millions d’euros.
L’ensemble des autres clauses du contrat reste inchangé. Une responsabilité civile exploitation est incluse, ainsi qu’une ligne dédiée frais de défense.
Sur option, des garanties financières, sans maniement de fonds, sont ouvertes à la souscription en matière d’immobilier (prime de 300 euros TTC), d’assurance (400 euros) et d’IOBSP (400 euros), une couverture responsabilité des dirigeants (550 euros).
Les montants garantis peuvent être sur option sensiblement rehaussés Les montants garantis peuvent être sur option sensiblement réhaussés, pour répondre aux besoins supplémentaires des assurés.
Une jurisprudence qui fragilise la profession « L’arrêt du 24 septembre 2020 rendu par la Cour de cassation est en quelque sorte une victoire à la Pyrrhus », se félicite Philippe Loizelet, président de l’ANCDGP.
En effet, cet arrêt, très attendu par les CGP, ainsi que par leurs assureurs en responsabilité civile professionnelle, a rejeté le pourvoi formé par le cabinet de CGP Hedios à l’encontre d’un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris, le 9 janvier 2018.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, en effet, approuvé la cour d’appel de Paris qui avait condamné ce cabinet à réparer à hauteur de 80 % le préjudice fiscal subi par l’investisseur. Il s’agissait de la souscription de parts de SEP commercialisées par la société DTD (opérateur en Girardin industriel, dont le dirigeant et ses complices ont été condamnés pour escroquerie en bande organisée).
Un sinistre non sériel Elle a également validé l’analyse de la cour d’appel de Paris qui a décidé que le caractère sériel du sinistre, au sens de l’article L.1241–1 du Code des assurances, n’était pas applicable. « La Cour de cassation a jugé que les obligations d’information et de conseil du professionnel envers chaque client étaient individualisées par nature; l’existence d’un fait dommageable unique ne pouvant, selon elle, être retenue », explique Dounia Harbouche, avocate au Barreau de Paris.
En conséquence, si l’on suit le raisonnement de la Cour de cassation, le plafond de garantie et la franchise contractuellement convenus entre le CGP et l’assureur doit s’appliquer pour chaque réclamation. « Par cette décision, chaque client ayant été lésé peut donc être indemnisé, quel que soit le nombre d’opérations DTD ayant été commercialisé par le cabinet », précise Philippe Loizelet. Si cela n’avait pas été le cas, la situation aurait été plus préoccupante s’agissant particulièrement d’Hedios. Ce cabinet, qui a le plus largement diffusé ce produit, a en effet dépassé le plafond de garantie.
Risque de faillite Cependant, pour tous les autres cabinets CGP, cet arrêt n’est pas satisfaisant, compte tenu des conséquences de l’évolution des contrats RCP dans le temps. En effet, un cabinet pourrait avoir conseillé des opérations Girardon avec un niveau de garantie et de franchise donné, mais ce sont les garanties et franchises du contrat applicables au jour où sa responsabilité est mise en jeu qui s’appliqueront. « Or ces dernières années, les assureurs en RCP, observant le nombre de sinistres progresser dans le domaine du Girardin ou de l’intermédiation en biens divers, ont augmenté, lors des renouvellements les niveaux de franchise des contrats d’assurance RCP », constate Philippe Loizelet.
Le montant de la franchise a augmenté dans certains contrats ou est devenu modulable. « La garantie en RCP jouant pour chaque sinistre, avec application de la franchise pour chaque dossier; un cabinet étant condamné pour plusieurs contrats se verrait donc contraint de verser le montant de la franchise pour chacun de ses contrats… Cela pourrait donc le mener à mettre la clé sous la porte. Cette évolution dans le temps des contrats est pénalisante pour les CGP et devient un enjeu majeur. Les contrats groupe à adhésion obligatoire en cela montrent particulièrement leur limite. Pour limiter la hausse des tarifs, on a vu récemment des contrats groupe accepter le rehaussement de franchises des contrats en cours. Autant, il est possible de prévoir des surlignes augmentant les plafonds de garantie selon l’importance de son activité, garantir dans le temps le montant des franchises, dans un contrat groupe est quasi impossible », poursuit-il.
Une décision loin d’être convaincante Dounia Harbouche remarque que « dans cette affaire, l’assureur et le CGP avaient tous deux, durant l’instance, sollicités l’application d’un sinistre sériel, l’enjeu étant l’application d’un seul plafond de garantie et d’une franchise ». Selon Dounia Harbouche, la thèse d’un fait générateur unique semble bel et bien, en l’espèce, caractérisé:« ce que les investisseurs DTD ont unanimement reproché à leur CGP est précisément de ne pas avoir sélectionné, selon eux, ce produit avec soin, leur proposant malencontreusement l’opération DTD, plutôt qu’une autre. Or, lorsqu’un CGP sélectionne un partenaire, il réalise ses investigations sur son sérieux au moment de la concrétisation du partenariat. Il n’interrompt la distribution du produit sélectionné qu’en cas de manquements caractérisés et avérés du monteur et non pas sur de simples rumeurs. En l’espèce, DTD a été un fournisseur retenu par plus de deux cent-cinquante professionnels de la gestion de patrimoine; un franc succès car il permettait une rentabilité pouvant atteindre environ 59 % par an, soit pour 10 000 euros investis, une économie d’IRPP de 16 000 euros. Or on peut observer que les griefs invoqués à l’encontre du CGP, examinés par la Cour de cassation, ne reposaient pas (comme dans tous les autres contentieux DTD) sur un défaut d’adéquation du produit aux besoins du client, mais sur une défaillance lors de la sélection de ce dernier, qui comme démontré ci-dessus, consiste, selon moi, en un manquement unique et non pas multiple. Jusqu’ici, les appréciations des juges du fond sur le caractère sériel des opérations dans les affaires DTD variaient du tout au tout d’une juridiction à l’autre. A titre d’exemple, la CA de Dijon exclut l’application du sériel reprenant la dernière analyse de la Cour de cassation dans son arrêt du 24 septembre 2020. La CA de Rennes se prononce également pour une exclusion du sériel et, en outre, pour l’application d’un plafond de garantie, pas simplement par investisseur, mais pour chaque opération DTD réalisée par ce dernier. En revanche, les juridictions judiciaires et commerciales de Rennes, ainsi que les première et troisième chambres de la CA de Versailles, appliquent le sériel (la 12e chambre retenant le caractère sériel, mais considérant cependant qu’une franchise doit s’appliquer pour chaque investisseur). »Dounia Harbouche en conclut:« La Cour de cassation a sans nul doute poursuivi un objectif de protection des investisseurs. Il n’en demeure pas moins que l’éviction du sériel peut s’avérer non seulement préjudiciable pour les CGP, mais également in fine pour leurs clients. Dans la plupart des cas, les CGP font face à des sinistres inférieurs à 4 millions d’euros même s’ils ont proposé le produit DTD à bon nombre de leurs clients entre 2007 et 2009. Ces cabinets seront dans l’impossibilité de faire face au règlement de multiples franchises, et pourraient malheureusement déposer le bilan et être liquidés. Dès lors, l’investisseur ne serait remboursé par l’assureur que pour les sommes excédant la franchise et pourrait ne percevoir aucun dédommagement dans les hypothèses où les sommes dues seraient inférieures à son montant. Ce résultat n’est pas souhaitable dans une ère où la protection des consommateurs est un impératif ».
Les CGP premières victimes de cette escroquerie Dounia Harbouche observe plus largement:« nous espérons légitimement un revirement de jurisprudence qui reconnaisse le travail effectif des professionnels. Nous sommes dans le cas d’une escroquerie en bande organisée, jugée pénalement. Dans ces affaires, les CGP ont été les premières victimes de cette escroquerie:aucun d’entre eux n’a été mis en cause pour complicité dans le cadre de la procédure pénale définitivement close depuis l’arrêt confirmatif de la chambre correctionnelle de la CA de Paris du 7 mai 2018. La preuve d’une quelconque connaissance de cette escroquerie par un CGP n’a jamais été rapportée. Leur bonne foi n’est donc pas remise en cause. Alors comment expliquer une telle sévérité de la part de certaines juridictions ? »Là encore, « les condamnations sont aussi différentes d’un tribunal à l’autre. Par exemple, la CA de Dijon a récemment estimé qu’il n’y avait pas de préjudice financier réparable, mais un préjudice moral forfaitaire », ajoute Dounia Harbouche.
L’avocate rappelle toutefois que la plupart des juridictions déboutent les investisseurs DTD (notamment les TJ et CA d’Angers et de Besançon, les TJ de Dijon et de Brest, le TC de Nantes) et que pour condamner le CGP, une faute doit être établie, ainsi qu’un préjudice en lien avec cette faute. « Or, en l’espèce, le lien de causalité me semble rompu puisque le préjudice subi par l’investisseur résulte précisément de l’escroquerie du monteur. Celle-ci était indétectable au moment où le CGP a décidé de conclure le partenariat et durant toute son exécution. Ce point n’est pas toujours pris en compte par les juridictions », s’étonne Dounia Harbouche.
« C’est comme si le médecin était responsable des médicaments qu’il aurait prescrits, de leur production et de leur qualité », conclut Philippe Loizelet.