Family Office, une activité en plein essor

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Avec de plus en plus de clients fortunés et de problématiques complexes, le recours aux cabinets de Family Office devient plus courant. Cette croissance du marché s’accompagne de la montée en puissance d’une clientèle nouvelle, plus riche rapidement, aux besoins et aux comportements nouveaux, et qui provoque l’arrivée d’une nouvelle génération de Family Officers.

Activité suprême dans le cadre de la gestion de fortune, le Family Office tend à se développer au niveau mondial, et en France plus particulièrement avec des acteurs liés à une seule famille (mono-Family Offices), et des structures qui s’adressent à plusieurs familles (multi-Family Offices) qui peuvent être indépendantes ou logées au sein de banques ou sociétés de gestion. « Le Family Office souffre d’un vrai déficit:le manque de réglementation. En effet, n’importe quel cabinet de CGP ou société de gestion peut prétendre faire du Family Office, le tout avec des modèles de rémunération variés. Néanmoins, nous sommes déjà étranglés par la réglementation. L’enjeu majeur se situe autour de la transparence de la rémunération avec des clients souvent perdus dans les schémas de rétrocession, courtage, frais de gestion déléguée… Pour les clients, le Family Office au nom mystérieux suscite des fantasmes divers et variés », lance Marie Vandermarcq-Saltiel, associée d’Amplegest, directeur général délégué en charge de l’activité de Family Office.

Alors que se cache-t-il derrière cette activité qui, comme celle de conseil gestion de patrimoine, n’a pas de cadre légale ? Pour Jean-Marie Paluel-Marmont, président de l’Affo (Association française du Family Office qui regroupe à la fois des mono et des multi-Family Offices), ces acteurs offrent « trois grands types de services:l’organisation juridique, la structuration et la surveillance du patrimoine financier; l’organisation des successions avec ses aspects gouvernance familiale et d’éducation des générations; et le sens des valeurs familiales (comme les investissements responsables, la philanthropie…). Au sein de l’Affo, nos membres s’engagent, via la signature annuelle d’une charte morale, à une obligation de transparence très forte, ce qui est un point important de différenciation par rapport à d’autres acteurs du marché de la gestion de patrimoine. Cette transparence est en effet indispensable pour la qualité du conseil et la nécessité de confiance ». Laurent de Swarte, associé-fondateur d’Agami Family Office et président du Club MFO (cf.encadré), propose, quant à lui, cette définition:« Le Family Officer est le chef d’orchestre du patrimoine du client avec une vision globale et une projection à moyen et long terme. Il s’appuie sur ses compétences internes et sur les experts historiques du client. Notre métier ne vaut que par sa neutralité ». Et selon lui, l’activité ne peut être réellement exercée qu’en tant qu’indépendant: « Au sein d’une banque, le service de Family Office est généralement le parent pauvre de la gestion, utilisé souvent en argument d’avant-vente, plus sporadiquement en fidélisation. Le conseil n’est d’ailleurs pas (ou peu) facturé et l’équipe d’ingénierie patrimoniale demeure un centre de coût. D’ailleurs, de plus en plus de banques privées nous apportent des clients. » Des modes de facturation différents Car la neutralité du Family Officer est primordiale et conditionne son mode de rémunération. Le modèle économique est ainsi fondé sur la facturation d’honoraires (avec éventuellement la rétrocession au client des commissions en cas d’intermédiation) et une totale transparence sur la rémunération du conseil. Ici plusieurs approches coexistent. Il peut s’agir d’un pourcentage des actifs supervisés avec un minimum et un maximum, de la mise en place d’un forfait annuel de conseil ou encore de la facturation selon un certain nombre de prestations prédéfinies avec le client.

Chez Amplegest Family Office, dont les services sont accessibles à partir de 40 millions d’euros de patrimoine financier, est pratiqué le pourcentage sur actifs supervisés. « Notre rémunération se compose uniquement d’honoraires qui sont calculés selon un pourcentage des actifs supervisés avec un minimum et un maximum. Pour des dossiers ponctuels, comme la restructuration d’une dette ou l’accompagnement lors d’un redressement fiscal, nous facturons notre prestation », précise Marie Vandermarcq-Saltiel. La structure qui conseille une douzaine de familles et supervise 850 millions d’euros d’actifs financiers est d’abord un spécialiste de la supervision d’actifs financiers.

« Chez Amplegest, le Family Office est exercé de la même façon depuis dix ans et c’est pour nous un vrai métier aux côtés de nos activités traditionnelles de gestion privée et d’asset management. Notre valeur ajoutée repose sur la supervision des actifs financiers de nos clients, donc sur la valeur ajoutée de notre activité de société de gestion. Etre des gérants d’actifs nous rend légitimes et nous permet de disposer des ressources nécessaires pour auditer les sociétés de gestion et les banques de nos clients. Cet audit est, selon la taille des actifs et la famille, réalisé de manière trimestrielle ou semestrielle:chaque société de gestion ou banque est donc interrogée pour que nous puissions réaliser un reporting de la situation du client et pour mieux comprendre les performances. Tout cela se réalise sans conflit d’intérêts puisque dans le mandat signé avec nos clients, nous nous interdisons de gérer leurs actifs. En satellite, selon la famille, nous pouvons également superviser les actifs réels ou faire le tri pour eux des solutions qui leur sont proposées et nous collaborons avec les différents interlocuteurs de nos clients, en interprofessionnalité. Ainsi, progressivement, nous devenons le chef d’orchestre du patrimoine de la famille avec un rôle de traducteur des solutions proposées et nous nous attachons à faire travailler les différents conseils du client afin qu’ils ne se positionnent pas que selon leurs prismes, mais selon une vision commune de la famille ». La facturation de prestations préalablement définies est pratiquée par Agami Family Office qui a récemment mis en place ce système qui lui permet de toucher une clientèle plus large, notamment d’entrepreneurs. Laurent de Swarte expose sa démarche:« Le modèle économique initial des multi-Family Offices, introduit en France en 2001, a artificiellement segmenté le marché en facturant un pourcentage du patrimoine supervisé. Il fallait un minimum de patrimoine, fixé arbitrairement à 15 millions d’euros à l’époque, pour que le Family Office génère un minimum de chiffres d’affaires. Le problème était qu’avec ce modèle lié .

directement à la taille du patrimoine, certains clients payaient trois ou quatre fois plus que d’autres pour une prestation strictement identique. De plus, le modèle était structurellement générateur de frustration de part et d’autre, certains clients consommant beaucoup de services, donc peu rentables pour le Family Office ou, à l’inverse, laissant chaque année une facture difficilement justifiable à leur Family Officer. Face à ce constat, nous avons souhaité, au travers d’Agami Family Office, créer une nouvelle approche qui soit véritablement alignée avec les intérêts du client. Nous avons mis en place un modèle de consulting dans lequel nous construisons avec nos clients des lettres de missions successives, définissant très précisément le contenu de l’activité, un nombre de jours dédié à ces missions et donc un coût défini à l’avance sur lequel nous nous engageons. Ce modèle se veut simple, transparent et adaptable aux besoins et aux objectifs du client. Avec ce modèle novateur, nous n’avons aucun seuil d’entrée, ni montant d’actifs minimums à superviser pour accueillir un client. » Une offre qui se développe avec la demande Si ces services peuvent apparaître réservés à une élite, il n’en reste pas moins que le Family Office se développe d’année en année en France. En effet, le nombre de clients éligibles à ces prestations croît. « La dynamique du marché est favorable actuellement. Le nombre de fortunes dans le monde et en France est en forte croissance, et ses fortunes ont besoin d’être accompagnées. Clairement, le marché grossit, observe Jean-Marie Paluel-Marmont. De plus en plus, pour se pérenniser, les familles mènent une réflexion qui les amène à s’adresser à des Family Offices. Notre métier est aussi mieux compris et les demandes s’élargissent. Les familles sont aujourd’hui convaincues de la nécessité et de la pertinence d’un accompagnement. »Pour Laurent de Swarte, la profession se démocratise:« Le métier se développe aujourd’hui car il est devenu plus universel:il s’adresse à plus d’utilisateurs potentiels. Par exemple, chez Agami nous sommes aussi bien conseil d’entrepreneurs qui n’ont pas encore cédé leur société que de grands mono-Family Offices très connus:nous nous sommes totalement décorrélés de la taille du patrimoine de nos clients, pour nous concentrer sur les problématiques de structuration, d’organisation, de transmission… »Le dirigeant d’Agami Family Office observe également que la profession est plus visible car il existe plus d’acteurs et qu’il correspond aux attentes des clients:« Les clients nous font remarquer que leurs interlocuteurs traditionnels n’ont pas toujours de vision globale et travaillent souvent en silo. Aujourd’hui, 70 % de nos nouveaux clients nous contactent directement, et 30 % proviennent de recommandations de la part de notaires, d’avocats et de banquier privés ».

Une clientèle qui évolue Les acteurs du marché observent une évolution de la typologie de client et donc des demandes. « Nous constatons une accélération des patrimoines de taille intermédiaire, avec à leur tête des personnes beaucoup plus jeunes qu’auparavant, indique le président de l’Affo. Hier, les patrimoines se construisaient sur plusieurs générations et avaient des besoins en termes de gouvernance. Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir des quadragénaires à la tête de patrimoines conséquents créés en quelques années. »Un constat partagé par Laurent de Swarte:« D’une clientèle d’entrepreneurs à la retraite ou de deuxième ou troisième génération, nos nouveaux clients sont désormais des entrepreneurs actifs, entre 30 et 50 ans, qui connaissent l’univers du conseil, sont vigilants, mais ont peu de temps pour traiter leur patrimoine et donc délèguent. Depuis vingt ans, les fortunes se font plus rapidement, parfois même en deux ou trois ans, alors qu’auparavant elles se construisaient sur deux ou trois générations. »Dès lors, les besoins et attentes ne sont pas les mêmes, tant en termes de conseil (structuration du patrimoine) que de composition du patrimoine (Private Equity) et d’aspirations (philanthropie et enjeux ESG).

Et cette évolution favorise l’émergence d’une nouvelle catégorie de Family Officers, comme le constate Jean-Marie Paluel-Marmont:« Les comportements et objectifs sont différents. Ces entrepreneurs cherchent d’abord à réinvestir ou bâtir un outil de travail familial. Ils restent donc actifs dans l’économie et veulent investir avec efficacité et à coût limité. Leurs demandes liées aux aspects de la gouvernance familiale viendront plus tard. Un nouveau type de Family Office apparaît donc pour répondre à cette demande croissante avec l’apparition de multi-Family Offices dédiées à cette clientèle. Tradi-tionnellement, le Family Office débutait sa relation client par des problématiques de gouvernance:succession et éducation des générations futures. Aujourd’hui, la relation démarre le plus souvent par des problématiques de gestion financière, notamment de Private Equity avec un appétit pour les co-investissements. On s’aperçoit ainsi que le Family Office est le troisième vecteur de souscription en Private Equity devant les banques, selon les chiffres de France Invest. Les nouvelles générations sont également conscientes de leur chance et du rôle qu’elles ont à jouer dans l’économie et la société. Elles cherchent à donner davantage de sens à leur patrimoine ». Et Laurent de Swarte se félicite de cette évolution:« Cette clientèle plus jeune nous ressemble dans les aspects relationnels, de communication et de mode opératoire. Les demandes portent généralement sur la transmission, le Private Equity, l’immobilier et la structuration du patrimoine.

La philanthropie est encore trop peu abordée à mon goût. Néanmoins, je pense que ce sujet va davantage se développer via l’entreprise car cela devient un facteur d’attraction des talents. La gouvernance familiale n’est pas toujours une préoccupation pour les jeunes clients, mais toutes les réflexions sous-jacentes ont des conséquences directes sur la famille ». Plus visible, de plus en plus sollicitée, toujours plus légitime, la profession de Family Office gagne chaque année des parts de marché grâce à sa neutralité et ses réponses face à la complexification des situations patrimoniales. Et son rôle prend d’autant plus de sens alors que nous traversons une crise sanitaire inédite car, comme l’explique le président de l’Affo, « le Family Office contribue à la pérennité des entreprises privées et des entrepreneurs qui constituent un élément essentiel du tissu économique français et donc de l’emploi ».

Uniquement accessible aux multi Outre l’Affo, une seconde association professionnelle réunissant des professionnels du Family Office a été créée en octobre 2019:le Club du Multi Family Office (Club MFO). Celle-ci a pour particularité de n’accueillir que des multi-Family Offices. Son président, Laurent de Swarte, expose:« Nous avons souhaité créer ce club pour bâtir un lieu d’échanges neutre et convivial entre multi-Family Offices pour développer les bonnes pratiques, et communiquer sur notre métier. Nous nous croisons assez peu sur les dossiers de prospection, signe que nous sommes encore dans un océan bleu. Il s’agit également de normaliser ce métier en créant une sorte de label autour des aspects de transparence, d’éthique et d’expertises. »Aujourd’hui, le Club MFO se compose de cinq structures indépendantes – Agami Family Office, Keepers Family Business, Family Partners, Letus Private Office et Xelis Family Office – ayant des équipes bien établies, une vision commune du métier et des modèles économiques tournés vers le client.

Une forte demande sur des banquiers privés seniors Edouard du Rusquec, consultant senior au sein du cabinet de recrutement Jobberry, nous expose les besoins des cabinets de multi-Family Office pour étoffer leurs équipes et les profils recherchés.

Investissement Conseils:Quelle est la tendance sur le marché du recrutement chez les multi-Family Offices ? Edouard du Rusquec:Depuis plusieurs années, la demande est forte pour ces structures qui conseillent une clientèle fortunée, attirée par un accompagnement et des services sur mesure. En ce qui concerne le recrutement, leurs besoins sont divers, mais nous sommes mandatés principalement sur deux typologies de métiers:les ingénieurs patrimoniaux pour leurs compétences juridiques et fiscales, et les banquiers privés pour la gestion patrimoniale, mais surtout pour leur capacité à transférer les mandats de gestion d’une partie de leur portefeuille.

Quel est le profil de ces banquiers privés ? E.d. R.:Il s’agit majoritairement de profils expérimentés, qui disposent d’un réseau important, d’une bonne notoriété et dont les portefeuilles sont dotés d’une clientèle HNI ou UHNI. On peut estimer à 15 ou 20 % les transferts de mandats de gestion pour les banquiers issus de pure players.

Comment les attirent-ils ? E.d. R.:Les Family Offices attirent ces profils grâce à des packages de rémunérations très attractives avec des fixes assez élevés (entre 100 000 et 200 000 euros bruts annuels) et des bonus déplafonnés. De plus en plus fréquemment, ils négocient le rachat de leur portefeuille lors de leur départ. Les Family Offices sont également des structures plus petites, donc plus agiles et plus réactives, ce que les banquiers recherchent.

« A la demande d’une famille » Conseiller en gestion de patrimoine au sein de différents cabinets bretons, Yuna Marquis lance Marquis Family Office en février 2017. « J’ai fondé Marquis Family Office à l’initiative d’une famille cliente qui souhaitait une approche holistique et personnalisée de son patrimoine. J’ai ainsi pu lui consacrer davantage de temps et l’accompagner lors d’une opération de transmission ayant soulevé de nombreuses problématiques, pas uniquement juridiques et fiscales, mais aussi de médiation et de gouvernance familiale avec trois générations de clients à accompagner ». Puis une seconde famille a souhaité être accompagnée par ses soins; c’est donc grâce à ces clients que Yuna Marquis a ainsi pu devenir multi-Family Office. Parallèlement, elle suit quelques clients qui lui sont recommandés en gestion de patrimoine « classique », à qui à elle peut apporter une réelle valeur ajoutée. Passionnée par la gestion de patrimoine, Yuna Marquis continue également d’enseigner à l’université de Rennes au sein du master 2 Ingénierie sociétaire et patrimoniale, lui permettant de s’inscrire dans le partage avec de futures générations de professionnels, mais également remettre régulièrement en question ses connaissances. Pour exercer, Yuna Marquis a fait le choix de rester seule, mais de s’entourer d’experts de leurs domaines. « Je reste une généraliste, mais qui met en place une équipe autour de la famille; un peu comme un chef d’orchestre qui met de l’huile dans les rouages à tous les niveaux:avec les avocats, notaires et experts-comptables… La notion d’interprofessionnalité étant primordiale dans ce domaine. Pour mon cabinet, je me suis attachée les services d’informaticiens, de professionnels de la communication, de la réglementation avec le cabinet MB 3C dirigé par Mikael Boscher… »Sur le plan personnel, Yuna Marquis s’épanouit davantage dans ce rôle que dans celui de CGP « plus commercial, alors que je suis une juriste de formation. L’activité est très stimulante intellectuellement, tant les professionnels avec qui je traite sont d’une grande technicité. J’apprends tous les jours à leur contact. Il existe un vrai besoin de faire connaître ce métier qui l’est surtout à Paris. L’accompagnement des générations héritières est important, tout comme celui des dirigeants d’entreprises. Quelque part, le Family Officer participe à la sauvegarde des entreprises en France en apportant les conditions à ce qu’elles restent dans les familles sur plusieurs générations. »Pour se perfectionner, elle s’inscrit à la première promotion du certificat Métier du Family Office délivré par l’Aurep en association avec l’Affo qu’elle vient d’obtenir, et se forme régulièrement avec un budget de formation significatif chaque année. « Je cherche à renforcer mes acquis en permanence. Le certificat de l’Aurep m’a notamment beaucoup apporté en matière de gouvernance familiale et de mise en place de projets philanthropiques afin de renforcer l’affectio familiae chez mes clients. »Son modèle économique est basé sur un forfait annuel, revu deux fois par an selon les missions réalisées. Chaque intervention est facturée.

 

 

 

 

 

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