En pleine croissance, le family office demeure une activité peu connue et dédiée à l’accompagnement des familles sur plusieurs générations. Evelyne Brugère, vice-présidente exécutive de l’Affo (Association française du family office), structure dédiée aux professionnels du secteur, nous en expose les contours et les évolutions récentes.
Investissement Conseils : Pourriez-vous nous rappeler qu’est-ce que l’Affo ?
Evelyne Brugère : Créée en 2001 et présidée depuis janvier 2022 par Frederick Crot, l’Association française du family office (Affo) a pour objectif de promouvoir et développer le métier de family officer qui n’est pas encore bien connu et n’est pas réglementé par un statut. Certains acteurs exercent ainsi cette profession sans réellement le savoir, tandis que d’autres prétendent l’exercer… Nous représentons une centaine de professionnels aussi bien des multi-family offices, qui accompagnent plusieurs familles fortunées, que des mono-family offices qui officient pour une seule famille et qui sont donc salarié(s). Un multi-family office travaille pour un nombre limité de familles, car il est difficile de démultiplier ce modèle qui repose sur l’humain et le temps passé auprès des familles. De leur côté, les mono-family offices sont de plus en plus nombreux chez nous.
Quelle est votre définition du family office ?
Il s’agit d’un métier bien particulier, qui se caractérise par une approche de long terme dans l’accompagnement de familles dont le patrimoine est capable de se perpétuer sur plusieurs générations. Cela crée des problématiques particulières de transmission, souvent au sein de la famille, et donc de gouvernance. Il s’agit aussi de former les nouvelles générations à la gestion de ce patrimoine, aussi bien pour le recevoir que pour le perpétuer. Pour cela, le family officer propose et met en place des solutions sur mesure. Dans ce sens, il n’est pas un distributeur de produits. L’allocation d’actifs sera propre à chaque famille. Cela repose souvent sur des actifs non cotés – immobilier, actifs privés (dette privée et Private Equity) –, tandis que les actifs cotés seront toujours, la plupart du temps, gérés via des fonds ou des mandats dédiés. Cette activité requiert donc des compétences pointues et variées – gouvernance, éducation des générations, investissement, droit, fiscalité, etc. –, qui permettent au professionnel de dialoguer avec l’ensemble des autres experts travaillant au service d’une famille.
Le family officer doit-il uniquement se rémunérer par le biais d’honoraires ?
Sur le principe, la facturation d’honoraires est la seule solution permettant d’écarter tout conflit d’intérêts. Cela ne signifie pas que la perception de commission est synonyme de conflit d’intérêts, mais que le risque existe. Cependant, ce modèle 100 % honoraires est, en pratique, difficile à mettre en œuvre, ne serait-ce que pour la souscription d’un contrat d’assurance-vie qui peut se heurter à la politique commerciale de l’assureur ou à l’absence de clean-share au sein du contrat.
Dans les faits, peu de family offices se rémunèrent exclusivement via les honoraires, et les autres adoptent un modèle hybride.
Assistez-vous à une consolidation du marché comme sur le marché des CGP ?
Non. Selon moi, il est impossible d’industrialiser le métier de family officer et d’avoir un effet d’échelle. Dans notre profession, la confiance est clé, c’est pourquoi la famille n’a généralement qu’un seul interlocuteur. Le family office reste une profession d’artisan. Par ailleurs, beaucoup de multi-family offices se créent, ce qui prouve que la profession attire et que notre marché s’élargit.
A l’inverse, certains CGP et certaines sociétés de gestion ouvrent des départements de family office. Selon moi, il ne s’agit pas du même métier:ces professions fonctionnent différemment. On ne peut être family officer à mi-temps.
Quelles évolutions observez-vous actuellement sur votre marché ?
Nous constatons une plus grande professionnalisation des acteurs. Auparavant, et cela concernait les single family offices notamment, le professionnel était avant tout concentré sur les aspects juridiques et fiscaux. Désormais, le family officer a développé des compétences plus pointues en matière d’investissement. Cela s’explique, notamment, par la plus grande volonté des familles d’avoir un impact sur leur patrimoine, d’en être l’acteur. Les familles fortunées sont essentiellement issues de l’entrepreneuriat, et cet ADN se transmet. Dans ce sens, elles souhaitent accompagner d’autres entrepreneurs, d’où l’engouement actuel pour les actifs privés, que ce soit via la dette ou le capital, qui représentent 25 % de leurs investissements. Porté par un meilleur dialogue entre générations, on observe également le besoin des familles d’échanger davantage entre elles, mais aussi le fait que les nouvelles générations fonctionnent beaucoup en réseau.
Observez-vous une évolution des attentes chez les nouveaux entrepreneurs faisant fortune rapidement ?
Leurs préoccupations sont les mêmes que celles des générations précédentes ou plus « classiques » : que faire de mon patrimoine ? quel en est sa finalité ? comment le transmettre ?… Les questions sont exactement les mêmes ! Néanmoins, il est vrai que ces entrepreneurs sont traités de façon un peu différente car ils prennent généralement des décisions plus rapidement, fonctionnent plus en réseau et utilisent les nouveaux outils de communication et d’information.
Dans les investissements des familles fortunées, notez-vous une plus grande appétence pour l’ISR ?
Les familles se sont toujours préoccupées des sujets sociaux. En tant que dirigeantes d’entreprise, ces familles ont bien conscience de leur rôle dans la société. Nos clients sont bien évidemment conscients des enjeux environnementaux. Et comme ils sont davantage acteurs de leur patrimoine, leurs investissements doivent respecter des critères sociaux et environnementaux, toujours avec une vision sur le très long terme. On note également leur appétence autour de la thématique de la réindustrialisation de la France.
Par ailleurs, la philanthropie a toujours été une dimension forte pour les familles que nous accompagnons et la nécessité de donner une finalité à leur patrimoine.
Quels services proposez-vous à vos membres ?
L’Affo dispose de différentes commissions qui rendent compte de leurs travaux avec des newsletters régulières sur l’immobilier, des afterworks organisés par la commission sur l’investissement durable… Des livres blancs thématiques sont également édités chaque année : « Les actifs privés » en décembre prochain, « L’allocation d’actifs » l’an passé, « L’Investissement socialement responsable » en 2021 ou encore « La gestion des Risques » en 2020.
Tant au niveau national que régional, nous proposons également de nombreuses animations tout au long de l’année, Au niveau national, nous avons récemment lancé « La journée du family office by Affo », qui a eu lieu début juillet sur le thème « Faire confiance aux nouvelles générations », et organisons chaque année nos rencontres annuelles en décembre. Au niveau régional, nous avons mis en place plusieurs délégations, d’abord dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par Martine Collonge, et Paca, représentée par Françoise Vial-Brocco, puis récemment dans le Grand Ouest, représentée par Yuna Marquis et Alexandre Maillard, et prochainement dans le Grand Est.
Nous avons aussi souhaité permettre à un plus large public d’exercer ou d’appréhender notre profession avec la création du certificat Métiers du family office en collaboration avec l’Aurep, ce qui a également permis de donner un joli coup de projecteur à notre métier. En 2024, il s’agira de la cinquième édition.