Plus que de délivrer un conseil adéquat en matière d’investissement responsable, les cabinets en gestion de patrimoine auront la responsabilité d’accompagner et d’éduquer les épargnants, alors même que cette réglementation est encore en cours de construction.
Alors qu’un sondage Ifop (1) du 28 septembre 2021 révèle que six Français sur dix ont déclaré « accorder de l’importance aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placements » et que 44 % des personnes interrogées ont conscience de leur impact réel sur l’environnement, il est surprenant de constater que seuls 8 % des Français possédant un produit d’épargne ont souscrit un ou plusieurs placements dits ISR (investissement socialement responsable). Ce même sondage nous apprend également que 26 % seraient prêts à sauter le pas si on leur proposait.
En d’autres termes, si plus de la moitié des investisseurs semble sensibilisée aux questions environnementales et sociales, il apparaît que peu d’entre eux savent comment passer à l’action climatique (2).
Des exigences réglementaires
Les professionnels de la finance ont bien conscience de la nécessité d’aider au fléchage de l’épargne publique vers des entreprises soucieuses de réduire leurs empreintes carbone, mais ce sondage démontre que les conseillers financiers seront vraisemblablement la « pierre angulaire »de la conduite du changement climatique.
Plus que de délivrer un conseil adéquat, les cabinets en gestion de patrimoine auront la responsabilité d’accompagner et d’éduquer les épargnants, alors même que cette réglementation est encore en cours de construction. Dès lors, on peut comprendre les raisons qui ont poussé l’AMF (3) à renforcer les exigences de la certification professionnelle en élargissant, d’une part, la partie des questions qui a trait à la thématique relative à la finance durable et, d’autre part, en proposant un nouveau certificat aux conseillers souhaitant acquérir ces connaissances spécifiques.
Gageons, d’ailleurs, que le nouveau certificat AMF de finance durable, encore optionnel aujourd’hui, sera rendu obligatoire à toute la profession dans un avenir assez proche.
Cela étant dit, les conseillers financiers ont-ils toutes les clefs en main pour leur permettre d’appréhender sereinement les contours de cette nouvelle réglementation ? Rien n’est moins sûr lorsqu’on sait que plusieurs textes importants ne devraient pas entrer en application avant 2023 ou 2024, tels que, par exemple, certains règlements délégués en matière de taxonomie ou encore la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui doit permettre d’évaluer les performances environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), voire d’établir les règles de reporting extra-financier des sociétés assujetties. Alors pourquoi cette précipitation ? La réalité est que l’urgence climatique n’attend pas et que toute la profession est déjà emportée par la vague immersive réglementaire qui a été initiée avec les entrées en vigueur des règlements SFDR (4) et taxonomie (5).
Malgré cela, cette situation crée des incertitudes chez les fournisseurs, qui doivent évaluer les activités considérées comme durables, mais également chez les conseillers, qui doivent s’inspirer de leurs notations pour remplir leurs nouvelles obligations. C’est d’ailleurs ce qui devrait conduire Bercy à devoir reporter, au 1er janvier 2023, par voie d’arrêté, l’entrée en vigueur du règlement délégué qui devait s’appliquer, dès cet été, aux conseillers en investissements financiers et aux prestataires de services d’investissement.
En conséquence, sauf dernier coup de théâtre, les nouvelles mesures ne devraient s’appliquer le 2 août 2022 que pour les intermédiaires en assurance et les assureurs.
Ces deux textes sont ressemblants en ce sens qu’ils vont imposer de prendre en compte les facteurs de « durabilité » (5) et leurs risques (6) en matière de surveillance et de gouvernance des produits et imposer de nouvelles obligations en matière de finance durable pour les conseillers.
La révision de la procédure de sélection et de gouvernance produits
Rappelons que, préalablement à la délivrance d’un conseil, tout conseiller doit mettre en place un processus de référencement et de validation de ses propres fournisseurs, mais également des produits financiers et d’assurance-vie qu’il aura soigneusement sélectionnés dans le cadre de sa stratégie de distribution. Le conseiller doit associer à cette procédure celle de « gouvernance produits » consistant à lui assurer que les critères de distribution prédéfinis par le fabricant soient compatibles avec les critères du groupe de clients dont le conseiller aura réservé la commercialisation. Concrètement, ces différentes phases permettent au cabinet de vérifier que le fournisseur et le produit sélectionnés répondent aux contraintes de commercialisation dictées par la réglementation. Elles vont également l’obliger à prendre le temps nécessaire à la bonne compréhension du produit. Le cas échéant, le conseiller recevra une formation adéquate avant la « mise en rayon » du produit auprès de sa clientèle. L’objectif recherché par le législateur est d’atténuer les situations de conflits d’intérêts et de réclamations pouvant surgir à l’issue de la conception d’un nouveau produit afin que celui-ci puisse être rapidement retiré du marché en cas de multiplication d’incidents liés à de mauvaises ventes. Or le cabinet devra dorénavant insérer les facteurs de durabilité dans son dispositif de marché cible. Cette nouvelle obligation aura pour effet de le faire participer, par son « analyse produit », à la lutte contre le Greenwashing (6) qui effraie aussi bien les professionnels de la finance que nos autorités de contrôle.
Quels sont donc les outils mis à la disposition des conseillers financiers ?
En assurance-vie, les conseillers pourront se référer aux documents d’information et au descriptif du marché cible communiqués par leurs partenaires assureurs. Si, depuis le 1er janvier 2022, les distributeurs ont l’obligation depuis la loi Pacte du 22 mai 2019 de proposer dans leur gamme de contrats au moins trois unités de compte devant répondre à certains critères quant à leur composition et leur labellisation (ISR, Finansol et Greenfin), ils devront aller beaucoup plus loin que le simple fait d’intégrer dans leur offre ces différents fonds (quand bien même ils seraient catégorisés (7) en fonds articles 8 ou 9). Le conseiller devra en effet s’astreindre à déterminer à quel groupe de clients le produit est destiné en tenant compte de ses objectifs d’investissement et ses préférences ESG.
Concernant les produits financiers, les conseillers pourront s’appuyer sur la documentation précontractuelle (prospectus, document d’information clé, etc.) et les fichiers European ESG Template (EET) qui viendront prochainement compléter les fichiers European MiFID Template (EMT). Dans le cadre de leurs obligations de transparence, les sociétés de gestion sont tenues, depuis le 10 mars 2021, de communiquer leur politique de risque en matière de durabilité. De manière générale, chaque cabinet doit élaborer sa propre politique générale en matière de durabilité qu’il devra implémenter dans sa propre procédure de sélection et de gouvernance produits. Il va sans dire que la procédure relative à la prévention des conflits d’intérêts et la politique de rémunération du cabinet devront pareillement être mises à jour de manière qu’elles soient conformes à une gestion saine et efficace des risques liés à la durabilité mais surtout qu’elles ne les enfreignent pas.
Les nouvelles obligations en matière de finance durable
Depuis avril 2021, l’ACPR (8) recommande, lorsqu’un conseiller délivre une recommandation personnalisée relative à des produits d’assurance-vie ou un conseil en investissement, de publier sur son site Internet, les informations relatives à la prise en compte des facteurs (9) et des risques (10) de durabilité dans son conseil. Le régulateur demande également que soient précisées les incidences négatives (11) sur les critères ESG ou, dans le cas contraire, de justifier la non-pertinence des risques de durabilité. Pour peu qu’un cabinet de gestion de patrimoine n’ait créé aucun site Internet, on peut affirmer que ces mêmes informations doivent être également retranscrites sur le document d’entrée en relation qui sera remis au client lors de la première rencontre ou lors de la mise à jour de son dossier administratif.
Dans tous les cas, toutes les informations relatives à la politique de durabilité sont à mentionner dans la documentation précontractuelle d’information et de conseil. La réforme conduit les conseillers à jouer un rôle beaucoup plus incisif auprès de leur clientèle puisque d’une part, ils devront collecter les préférences ESG au moyen d’un recueil d’information adapté et, d’autre part, ils devront déterminer le profil extra-financier du client avant de lui préconiser un produit.
La collecte des préférences ESG
C’est le fondement même de nos obligations réglementaires qui, au travers du principe du KYC (Know Your Customer) impose de connaître parfaitement les besoins et les objectifs du client avant de lui proposer un quelconque investissement. La réglementation relative à la finance durable va ainsi rajouter à ce principe le besoin de collecter ses préférences ESG.
Mais ne nous y trompons pas, la complexité et la technicité des textes ne doivent pas nous faire perdre de vue que nous devons proposer des questionnaires simples et compréhensibles. Il nous appartient de déployer toute la pédagogie nécessaire pour traduire en langage simple les demandes de nos législateurs qui souhaitent que nous réclamions au moyen du questionnaire client :
- la quote-part de proportion de son portefeuille qu’il souhaite voir investi dans les activités durables au sens du règlement taxonomie;
- la quote-part de proportion de son portefeuille qu’il souhaite voir investi dans les investissements durables au sens de la réglementation SFDR;
- la quote-part de proportion de son portefeuille qu’il souhaite voir investi dans des produits prenant en compte les principales incidences négatives de leur investissement ESG.
Qui plus est, dans la mesure où le cadre réglementaire de la finance durable n’est pas encore stable, le conseiller devra alerter l’investisseur sur le fait que ce questionnaire est provisoire et qu’il pourrait faire l’objet de prochaines évolutions nécessitant de le recontacter.
Le profil de risque extra-financier
Jusqu’à maintenant, les conseillers devaient uniquement s’assurer que les placements proposés aux clients étaient en parfaite adéquation avec leur profil de risque lequel était fonction de leur tolérance au risque, leur capacité à subir des pertes et leur horizon de placement. Les révisions des directives MIF II et DDA incitent désormais les conseillers à définir leur profil de risque extra-financier. Autrement dit, ils devront déterminer leur degré d’appétence pour les activités et les investissements durables et préciser la manière dont l’objectif a été (ou sera) respecté, y compris sur la durée. Ce n’est qu’à ces conditions de double adéquation que les conseillers seront en mesure de proposer un produit conforme aux attentes.
Les règles du jeu sont maintenant connues. Lorsqu’on sait qu’un acteur financier américain de grande envergure a récemment fait l’objet d’une lourde amende par la SEC (12) au motif qu’il n’avait pas respecté son processus ESG de sélection de fonds pour certains produis financiers qu’il conseillait, on peut aisément imaginer la suite qui sera donnée à ces nouvelles obligations.
Gianni Roméo, directeur juridique et réglementaire de Primonial Ingénierie & Développement
Achevé de rédiger le 18 juillet
1. Données du sondage du 28 septembre 2021 de l’Ifop, « Les Français et la finance responsable ».
2. Tribune de Coline Pavot, « Refus d’obstacle » du 16 juin 2022, lfde.com.
3. Communiqué AMF du 10 février 2021 « L’AMF renforce les exigences de certification professionnelle en matière de finance durable ».
4. Règlement européen (UE) 2019/2088 dit Sustainable Finance Disclosure (SFDR):il prévoit des obligations de transparence concernant la durabilité des produits financiers et d’assurance-vie.
5. Règlement 2020/852 du 18 juin 2020 dit taxonomie. Il prévoit un système de classification des activités économiques dits durables sur le plan environnemental (lutte contre le changement climatique, biodiversité, etc.).
6. Appelé aussi « écoblanchiment »:procédé utilisé par une entreprise souhaitant donner une fausse image de responsabilité écologique à des fins purement commerciales (notamment afin de doper ses ventes).
7. Les fonds article 8 du règlement SFDR promeuvent des caractéristiques environnementales et/ou sociales mais sans quantification des engagements. Les fonds article 9 SFDR procèdent à des investissements durables dans le cadre de processus d’investissement normés permettant de quantifier les objectifs d’investissement
8. Publication d’avril 2021 de la Revue de l’ACPR « Un pas important pour la finance durable en Europe:les obligations de transparence créées par l’entrée en application du règlement SFDR »
9. Les facteurs de durabilité sont les facteurs en faveur de prérogatives environnementales, sociales et/ou de gouvernance (ESG).
10. Les risques en matière de durabilité sont des événements ou situations dans le domaine ESG ayant une incidence négative importante réelle ou potentielle sur la valeur d’un investissement (impacts financiers).
11. Les incidences négatives de durabilité sont les incidences emportant des conséquences négatives sur les décisions d’investissement au regard des facteurs de durabilité (impacts non financiers).
12. « Etats-Unis:la SEC veut plus de transparence sur les investissements ESG », latribune.frdu 26 mai 2022.